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Clotilde Leton rend hommage à Anita Conti, une femme d'exception née à Ermont. Interview passionnante !

 

Clotilde Leton, documentaliste iconograhe, a mené pendant cinq ans une mission documentaire aux Archives de la mairie de Lorient et a découvert, à cette occasion Anita Conti une Ermontoise au destin exceptionnel : première femme océanographe, écologiste, journaliste, écrivain…

 


« Ce qui est extraordinaire pour moi, c'est sa liberté d'esprit » : c'est pourquoi Clotilde Leton a décidé de faire partager son travail au grand public. Partons à sa rencontre  pour comprendre sa démarche si précieuse.

 

 

 

Clotilde, vous publiez un livre sur Anita Conti, née à Ermont et qui fut une aventurière et la première océanographe française. Qu'est-ce qui vous a touché dans son parcours, dans sa vie ?

 

Mon premier contact avec Anita Conti a été lors d'une exposition de ses photographies au pavillon des arts à Paris, au début des années 2000. J'y ai découvert le parcours exceptionnel de cette femme, qui après avoir été une relieuse d'art reconnue et même médaillée à plusieurs expositions universelles dans les années 1930, a choisi de parcourir les mers. C'est ainsi qu'elle est finalement devenue la première femme océanographe française.
Ce qui est extraordinaire pour moi, c'est sa liberté d'esprit. Pour une femme de son milieu, mais surtout de son temps (elle était née en 1899), la façon dont elle a mené sa vie comme elle l'entendait, tout en s'accommodant des conventions de son époque, est remarquable. Mariée pour être plus libre, elle courait les mers d'Afrique sur des pirogues, seule femme à bord bien entendu ! mais veillait par exemple à la blancheur de ses cols, consciente que l'apparence, et l'apparence d'une femme en particulier, était primordiale pour être respectée.

 

Une autre chose qui m'a fortement marquée, c'est sa conviction que les connaissances théoriques et livresques ne suffisent pas, et que l'action, l'expérience, le vécu, le ressenti physique des choses, sont tout aussi importants. Selon moi, c'est aussi grâce à cette croyance qu'elle a eu un parcours hors-norme, en lien avec certaines institutions comme l'OSTPM (ancêtre d'Ifremer), mais toujours à la périphérie, prête à redevenir un électron libre quand le besoin s'en faisait sentir. C'est comme ça qu'elle a monté sa propre pêcherie de requins en Guinée en 1947, après que le gouvernement en place avait décidé de ne plus subventionner ses recherches qui visaient à palier les carences alimentaires des populations locales. Car poussée par la soif d'apprendre et de comprendre, elle agissait aussi par générosité, et son intérêt pour une exploitation rationnelle des ressources marines était lié à son espoir que ces ressources pouvaient permettre d'éviter les famines. 
C'est aussi par générosité qu'elle fut journaliste, photographe et écrivain, afin de pouvoir transmettre et partager ses connaissances et ses expériences avec le plus grand nombre.

 

Peut-on dire qu'Anita Conti est une pionnière, et même une écologiste avant l'heure ?

 

Je pense en effet qu'Anita Conti a été une pionnière, même dans son travail de reliure pour lequel elle a inventé de nouvelles techniques, indépendamment de celles habituellement utilisées à son époque !

 

Elle a également fait partie des pionniers défendant une exploitation rationnelle des océans, puis l'une des premières à s'intéresser à l'aquaculture.

 

Par exemple, lorsqu'elle crée sa pêcherie en Guinée en 1947, elle le fait avec le souci de mettre en place « un système d'exploitation qui veut être durable ». Elle souhaite « pêcher, non dépeupler » dit-elle en s'appuyant sur une « méthode rationnelle » qui tiendrait compte notamment des mouvements des poissons et de leurs périodes de reproduction mais aussi de l'Humain, c'est à dire des conditions de vie à long terme de la population locale.
À partir des années 1950, elle donne de nombreuses conférences pour sensibiliser l'opinion sur les ressources marines et met ouvertement en cause les techniques de chalutage dévastatrices utilisées. Dans les années 1960, elle se tourne finalement vers l'aquaculture et multiplie les études et les expériences pour tenter de mettre au point une technique d'élevage de poissons en pleine mer.

 

Comment avez-vous procédé avec toutes les archives que vous avez consultées pour faire un livre "grand public" ?

 

La sélection des archives s'est faite de manière plutôt naturelle car la majorité des écrits d'Anita Conti sont très accessibles. J'ai donc considéré que ce qui m'interpelait interpellerait probablement d'autres que moi, que ce qui résonnait en moi trouverait sûrement d'autres échos chez d'autres personnes. L'idée du livre est d'ailleurs venue en consultant ses archives et non pas l'inverse. C'est en les consultant lors d'une longue mission documentaire que j'ai faite pour la mairie de Lorient que l'idée que ce trésor devait être partagé est venue.

 

Ce qui a été plus difficile, c'est d'agencer les différents documents pour montrer toute leur diversité, tout en construisant un ouvrage très lisible sans qu'il soit rébarbatif. C'est comme cela que je suis arrivée à une organisation très structurée en 21 chapitres thématiques, ce qui permet de naviguer dans le livre d'un chapitre à l'autre de façon linéaire ou non-linéaire selon les envies de chacun !

 

Les photos (350 documents) tiennent une place importante dans votre livre. Comment les avez-vous choisies ?

 

J'ai choisi les documents selon ma sensibilité propre dans l'idée de transmettre l'image que je m'étais faite d'Anita Conti. J'ai aussi essayé de donner le meilleur aperçu possible du fonds pour en montrer toute la richesse. Pour les photographies, j'ai aussi voulu montrer des images que personne ne soupçonnait se trouver dans ce fonds, comme par exemple celle de l'exode de 1940.

 

Qu'aimeriez-vous que le lecteur retienne de votre livre ? Est-ce une "réhabilitation" d'Anita Conti qui reste trop méconnue à vos yeux ?

 

Je ne dirais pas qu'il s'agit d'une « réhabilitation » mais plutôt d'un hommage. Mais c'est vrai que je pense que la façon dont elle a mené sa vie mériterait d'être connue d'un public plus large, surtout aujourd'hui où le conformisme gagne tous les jours un peu plus de terrain avec l'idée que nous n'avons pas d'autre choix.

 

J'aimerais aussi offrir aux gens qui connaissent déjà Anita Conti une vision à la fois plus large et plus intime que celle que l'on donne habituellement. On dit « c'était une aventurière » ou bien « c'était une photographe » mais ça ne suffit pas pour la définir. C'était, comme chacun d'entre nous, quelqu'un de très complexe et j'espère que mon livre en donne à voir les multiples facettes. En réalité, j'aimerais que d'un côté on prenne la mesure de son destin extra-ordinaire, mais que d'un autre côté on ait conscience de son humanité, et que ce sont sa volonté et sa liberté d'esprit qui lui ont permis de se forger un tel destin quand elle aurait pu en choisir d'autres bien plus faciles pour une femme de son milieu au début du 20ème siècle ! J'aimerais que mon livre, à travers ce personnage exceptionnel, dise : « c'est possible ».

 

Enfin, je me posais la question : Anita est née à Ermont mais est-elle revenue dans la région pour certaines occasions lors de son existence ?

 

La famille maternelle d'Anita Conti était originaire d'Ermont. Bien que vivant avec ses parents à Neuilly-sur-Seine, elle a passé dans la propriété familiale d'Ermont de nombreuses heures de son enfance. Elle se souvenait particulièrement de la bibliothèque de son grand-père qui contenait des milliers de volumes qui lui firent connaître l'aventure et firent d'elle, encore très jeune, « leur captive émerveillée ». Par contre, je ne sais pas si elle eut l'occasion d'y retourner à l'âge adulte.

 

Grand merci Clotilde pour votre disponibilité et votre hommage exceptionnel rendu à Anita Conti.

 


 

Anita Conti - Portrait d'archives de Clotilde Leton (texte et iconographie). Préface de Loïc Josse. 208 pages - 350 documents. 35 €. Editions Locus Solus

 

 

 

source : http://www.journaldefrancois.fr/clotilde-leton-rend-hommage-a-anita-conti-une-femme-d-exception-nee-a-ermont.-interview-passionnante.htm

 

 

 

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