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Thomas Guénolé : « La ligne antisociale gouverne le pays »

Le Comptoir : Les différentes mesures de démantèlement de l’État social sont régulièrement présentées sous l’angle de la modernisation de l’économie et de l’adaptation du modèle français au monde globalisé d’aujourd’hui. Vous rappelez pourtant dans votre livre que la retraite à 65 ans correspond à la situation qui prévalait en 1910 et que l’uberisation renvoie aux ouvriers de la fin du XIXe siècle payés à la tâche. Comment expliquer ce paradoxe ?

Thomas Guénolé : C’est la technique de la diabolisation. On n’argumente pas sur le fond : on se contente d’accoler à la cible des épithètes négatives, on s’accole à soi les épithètes positives antonymes, et l’on répète le tout en boucle. En l’occurrence, cela consiste à répéter que les protections sociales, les droits sociaux, les services publics, sont “archaïques”, “rigides”, ou encore qu’ils “nuisent à la compétitivité” ; tandis que les mesures qui cassent ces protections, ces droits et ces services publics, elles, symétriquement, sont réputées “modernes”, “flexibles” et “compétitives”. Cela permet de pratiquer en permanence le stratagème rhétorique du choix caricatural : soit vous êtes pour le projet politique de l’Antisocial ; soit vous êtes contre la modernité et la flexibilité, ce qui fait de vous un archaïque rigide. Sur le fond, cette argumentation est un tissu de mensonges. Par exemple, parler de “modernisation” de la SNCF alors que la réforme consiste à revenir au marché ferroviaire d’avant 1936, cela ne tient pas. Mais si l’argumentaire des partisans de l’Antisocial est faux, pourquoi est-ce devenu le discours dominant ? Pour cette raison simple et glaçante que la propagande, ça marche.

En 1968, le psychologue Robert Zajonc a conduit l’expérience suivante : il a exposé des cobayes à des mots ne signifiant rien dans aucune langue, en variant l’intensité de l’exposition. Le résultat était que plus les mots leur étaient matraqués, plus les cobayes développaient une opinion positive à leur endroit bien qu’ils n’aient aucun sens. Par ailleurs, la neurologie nous apprend que quand le cerveau humain se fait asséner en boucle qu’il doit penser ceci ou qu’il doit avoir envie de cela, notre libre-arbitre est protégé par le cortex préfrontal : mais cela signifie réciproquement que quand nous sommes peu concentrés, inattentifs ou fatigués, comme c’est le cas de millions de Français lorsqu’ils subissent le bruit de fond de la télévision ou de la radio, la propagande rentre facilement dans notre cerveau. C’est suivant ce mécanisme que, sous l’effet du matraquage propagandiste des mass medias ayant presque tous cette ligne politique, le catéchisme de l’Antisocial a pris valeur d’évidence pour le grand public. Ses partisans ne prennent donc même plus la peine d’argumenter sur le fond : ils se contentent de traiter leurs contradicteurs d’hérétiques via divers qualificatifs d’excommunication :  “populiste”, “nationaliste”, “extrême”, par exemple.

Vous noterez qu’on retrouve ici le rôle d’“appareils idéologiques d’État” que Louis Althusser attribuait déjà aux mass medias en 1970 : répéter en boucle le credo du système pour maintenir l’hégémonie culturelle de la classe dirigeante et par conséquent, sa domination sur les 90 % qui n’en font pas partie. On peut aussi se référer à Walter Lippmann : dans Public Opinion, en 1922, il décrivait déjà les mass medias comme un système de « fabrication du consentement » des masses à l’ordre social voulu par la classe dirigeante – un processus que contrairement à Althusser il estimait souhaitable. Le problème des mass medias en tant que machines de propagande pour installer le catéchisme des dominants n’est donc pas nouveau. Ce qui l’est, c’est d’une part leur force de frappe absolument énorme – l’audiovisuel de masse atteint tous les jours les cerveaux de millions de Français ; d’autre part la conversion de l’audiovisuel public français à la ligne politique antisociale alors que dans les années 1980 encore, sa ligne tantôt sociale-démocrate tantôt socialiste préservait un relatif pluralisme. Ce second point a une explication simple. Depuis plus d’un quart de siècle, la ligne antisociale gouverne le pays quasiment sans nuance. Or, les carrières des dirigeants et des éditorialistes de l’audiovisuel public dépendent, en définitive, de décisions prises indirectement par le gouvernement. C’est pourquoi le 20 heures de France 2 et la matinale de France Inter ont adopté une ligne antisociale. Et c’est aussi pourquoi France Culture a pu accueillir l’éditorialiste Brice Couturier, qui quand on écoute ses positions politiques n’a pourtant de gauche que le fait de s’en revendiquer.

Toujours est-il qu’aujourd’hui l’Église médiatique est globalement univoque dans sa récitation du catéchisme de l’Antisocial. À cet égard, nombre d’éditoriaux ressemblent aux prêches de télévangélistes – je pense par exemple à Dominique Seux sur France Inter. Et certaines émissions de débat ressemblent plutôt à des réunions de télévangélistes – je pense bien sûr à C dans l’air. Dans ce contexte, deux formes d’activisme médiatique sont indispensables. D’une part, il faut continuer à créer et à déployer des médias alter-système, écrits et audiovisuels. Par parenthèses, ces médias doivent, je crois, faire l’effort de développer des émissions de divertissement : car face à l’adversaire, qui fait cet effort, n’avoir que des contenus sérieux est un gros handicap. D’autre part, nos porte-paroles politiques, nos intellectuels engagés, les acteurs d’ONG alter-système, doivent faire l’effort d’intervenir dans les mass medias pour y porter une parole dissonante. Sur ce point, il n’y a pas lieu d’opposer ceux qui privilégient l’expression dans des médias dissidents, comme Frédéric Lordon, à ceux qui privilégient les mass medias, comme Thomas Porcher : ces tactiques sont complémentaires et si notre camp refusait l’une ou l’autre, il se couperait bêtement une jambe.

Contre toute attente, vous soulignez qu’Adam Smith, fondateur du libéralisme, dénonçait la coalition des patrons pour tirer les salaires des ouvriers vers le bas et affirmait que tout homme devait être guidé par la morale et l’altruisme. En quoi le libéralisme originel est-il, d’après vous, différent du mouvement de remise en cause des droits sociaux que l’on qualifie souvent sous ce même terme ?

Dans La Richesse des nations, Adam Smith a écrit, pour les en blâmer, que « les maîtres sont en tout temps et partout dans une sorte de ligue tacite, mais constante et uniforme, pour ne pas élever les salaires au-dessus du taux actuel. » Dans sa Théorie des sentiments moraux, il juge que l’altruisme doit guider tout homme. Et dans sa relecture attentive de Smith, Amartya Sen observe qu’il préconise l’intervention active de l’État pour l’éducation et pour la redistribution des richesses. Autrement dit, Adam Smith est un énième cas de grand intellectuel dont la pensée est caricaturée, déformée, au point de lui prêter des positions contraires aux siennes. Cela vient de ce grand fléau du débat d’idées : la vaste majorité des gens qui citent des auteurs ne les ont en réalité pas lus.

Aucune idéologie ne naît hors-sol. Le libéralisme originel est apparu dans le contexte des sociétés d’Ancien Régime tardif. Contre un ordre social oligarchique essentiellement fondé sur le pouvoir arbitraire, la stratification en castes, les corporations, et la rente foncière, il propose une société fondée sur la liberté politique et économique de l’individu, rendue possible par des droits et libertés individuels inviolables, en particulier le droit à la propriété et le droit à un procès équitable ; par la séparation des pouvoirs et leur contrôle par des contre-pouvoirs ; par la libre concurrence entre initiatives privées ; ou encore par le rôle pour l’État d’arbitre, mais aussi de fournisseur de grands services publics, idée qu’on trouve aussi bien chez Smith que chez Léon Walras, le théoricien des bienfaits de la concurrence pure et parfaite ! Par conséquent, invoquer l’étendard du libéralisme pour défendre l’Antisocial, projet politique qui a pour but la résurrection d’un ordre social oligarchique, c’est une usurpation intellectuelle pure et simple. Les partisans de l’Antisocial ne sont pas des “néolibéraux” : ce sont des oligarchistes, voilà tout.

« Quand on est pour le progrès social, on doit nécessairement être également protectionniste. »

Vous mettez aussi bien en cause l’indépendance d’organismes comme l’Institut Montaigne ou l’iFRAP (Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques) régulièrement invités sur les plateaux de télévision pour faire la promotion des réformes antisociales, que le concept de neutralité du chercheur en sciences humaines. Dès lors, où doit se situer la frontière entre le chercheur engagé et le militant ?

L’Institut Montaigne n’est pas un centre de recherches : c’est un lobby créé par Claude Bébéar, ancien dirigeant de la compagnie d’assurances AXA, et financé par des entreprises, au premier rang desquelles des firmes du CAC 40. C’est pourquoi ses notes préconisent notamment la privatisation croissante de l’Assurance maladie, qui aurait pour conséquence de livrer un vaste marché supplémentaire aux compagnies d’assurance.

L’iFRAP aussi est un lobby, enregistré comme tel auprès de l’Assemblée nationale. Il est financé par des donateurs privés anonymes et il a été fondé par Bernard Zimmern, cofondateur de l’association Contribuables associés, d’orientation minarchiste – c’est-à-dire pour un État réduit au minimum minimorum. C’est pourquoi sa directrice, Agnès Verdier-Molinié, conclut invariablement sur l’inévitabilité de réduire les prélèvements obligatoires, le nombre des fonctionnaires, la voilure des services publics, et de faire reculer le rôle de l’État dans l’économie.

Quant au devoir de neutralité politique du chercheur dont on attribue la paternité à Max Weber, en réalité c’est une légende. En voici l’origine : le sociologue français Julien Freund a traduit la Wertfreiheit de Max Weber par « neutralité axiologique », qu’il a définie comme un principe de non-engagement du savant, sommé de poser un regard neutre sur son objet de recherche. Or, Max Weber ne peut pas avoir soutenu cette idée puisqu’il fut lui-même militant dans un parti politique en même temps qu’il était enseignant et chercheur ! En réalité, quand on le lit à la source, son concept de Wertfreiheit est juste un principe de non-imposition des valeurs : par honnêteté intellectuelle, le chercheur doit préciser dans ses propos ce qui relève du travail scientifique et ce qui relève du militantisme. Je m’astreins toujours à cette discipline de dire quand je parle en militant et quand je parle en politologue. A contrario, les économistes pro-Antisocial ne se privent pas, eux, de déguiser en propos scientifique ce qui n’est que leurs opinions politiques anti-keynésiennes et anti-marxistes : Pierre Cahuc et André Zylberberg en sont un bon exemple, qui sont allés jusqu’à comparer leurs confrères opposés à l’Antisocial aux négationnistes contestant l’existence historique des chambres à gaz.

Au milieu des nombreuses idées reçues que vous déconstruisez, vous montrez que la part de la richesse produite captée par l’impôt sur le revenu des ménages en France est inférieure à celle qui est captée en Allemagne ou en Grande-Bretagne. La France ne serait donc pas cet “enfer fiscal” qu’on présente régulièrement ?

La France n’est pas fiscalement anti-riches, puisqu’elle permet au contraire aux fortunes de nos oligarques de grimper en flèche. Le magazine Challenges constate ainsi en 2017 que la fortune des dix Français les plus riches a été multipliée par douze – par douze ! – depuis 1996. De surcroît, en 2017 la France est classée septième destination mondiale la plus attractive pour les investissements directs étrangers. Présenter la France comme un enfer fiscal anti-riches est donc de la pure propagande. Au fait : le mythe de l’exil fiscal massif des Français riches, c’est aussi un mensonge. Le nombre de personnes quittant effectivement la France pour fuir l’ISF est évalué par la Direction générale des Finances publiques à environ 500 personnes par an : c’est-à-dire 0,2 % des personnes qui le payent. Soit dit en passant, cela représente pour l’État un manque à gagner fiscal de 170 millions d’euros. Or, au motif d’enrayer cet exil fiscal, Emmanuel Macron a fait passer une réforme de l’ISF qui fait perdre à l’État des recettes fiscales de quatre milliards…

Quant au mythe de l’exode massif des Français diplômés pour fuir notre fiscalité, c’est encore un mensonge. En réalité, moins de 5 % de la population française hautement qualifiée s’est expatriée : c’est moins que l’Allemagne, qui dépasse 7 %, et c’est largement moins que le Royaume-Uni, à 15 %, que les mass medias nous ont pourtant régulièrement présentés comme des eldorados pour réfugiés fiscaux français.

À vos yeux, le succès des grandes grèves de 1919-1920, de 1936 et de 1968 met en évidence l’importance de combiner manifestations et grèves de blocage de l’économie afin d’obliger le patronat et le gouvernement à négocier. Cette stratégie n’a-t-elle pas perdu de son poids dans un contexte d’économie ouverte où les puissants peuvent désormais se livrer à un chantage sans précédent à la délocalisation et se jouer des frontières ?

Non, pour cette raison fondamentale : si l’offre de la France est en concurrence avec l’offre du monde entier, en revanche, notre État a le monopole des conditions d’accès à notre demande, qui est l’un des plus gros marchés consommateurs de la planète. Donc, la réponse appropriée au chantage permanent à la délocalisation, c’est d’instaurer des taxes protectionnistes sur les produits d’importation qui nous livrent une concurrence déloyale par le dumping fiscal, social ou écologique. Ces taxes anti-dumping sont autorisées par l’OMC [Organisation mondiale du commerce, NDLR] : articles VI-1 et VI-2 de l’accord du GATT [Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, NDLR]. Comme l’a dit et répété mon “Maître Jedi” Emmanuel Todd, il s’ensuit que quand on est pour le progrès social, on doit nécessairement être également protectionniste.

« Les maîtres sont en tout temps et partout dans une sorte de ligue tacite, mais constante et uniforme, pour ne pas élever les salaires au-dessus du taux actuel » Adam Smith, La Richesse des nations, 1776

Dans son livre Pourquoi les riches votent à gauche ?, Thomas Frank explique que le Parti démocrate a cessé d’être le parti du peuple pour devenir celui des “créatifs” de Wall Street et de la Silicon Valley, qui donnent le la moral, financier, intellectuel, culturel et technologique. Pris d’une fièvre technolâtre, souligne le journaliste américain, ils chantent l’esprit d’innovation et font preuve d’un esprit critique quasi inexistant vis-à-vis du “progrès”. À l’heure où Emmanuel Macron entend faire sa campagne pour les élections européennes de 2019 autour du clivage entre progressistes et nationalistes, les notions de progrès et de progressisme que vous revendiquez ne sont-elles pas ambivalentes et ne devraient-elles pas être repensées ?

Depuis plusieurs décennies, la propagande de l’Antisocial subvertit les mots de la gauche un par un pour leur inoculer un sens contraire. On songe irrésistiblement à la novlangue imaginée par George Orwell dans 1984. De fait, comme dans la dystopie orwellienne, déployer une pensée critique est rendu d’autant plus difficile que les mots pour l’élaborer et pour l’exprimer ont été subvertis. Le mot “gauche” lui-même est touché, puisque des macronistes, favorables à la facilitation des licenciements et haineusement anti-grève des cheminots, osent se prétendre de gauche.

Je ne pense pas pour autant qu’il faille abandonner ces mots qui sont les nôtres à l’adversaire qui les usurpe. Ce serait capituler dans l’ordre des idées : inacceptable. Nous devons au contraire revendiquer sans relâche tous ces mots, tous ces concepts. Pour ce faire, il suffit de ne jamais laisser passer sans riposte les occurrences d’usurpation dans le débat public. Toujours les relever ; toujours prouver en quelques phrases l’escroquerie. Par exemple, quand je prends des macronistes en flagrant délit d’usurpation du champ lexical du “progrès”, je les interpelle systématiquement en demandant qu’on me cite un exemple de progrès social obtenu sous Emmanuel Macron ; et en même temps, j’accumule les exemples concrets de mesures d’Emmanuel Macron qui sont incontestablement de droite.

« Comme dans la dystopie orwellienne, déployer une pensée critique est rendu d’autant plus difficile que les mots pour l’élaborer et pour l’exprimer ont été subvertis. »

Quant au storytelling “les progressistes contre les nationalistes” qu’il essaie de construire pour les élections européennes, c’est un double mensonge : d’une, Emmanuel Macron n’est pas progressiste, puisqu’il est de droite, aussi bien sur sa politique économique que sur sa politique envers les demandeurs d’asile ; de deux, la France insoumise n’est pas nationaliste, puisqu’elle est internationaliste, comme le prouve son alliance avec Podemos, El Bloco, et bien d’autres formations altermondialistes, en vue de renverser la table aux élections européennes de 2019.

Le rapport de la gauche aux flux migratoires ne fait pas l’unanimité, comme l’ont rappelées les réactions suscitées par les déclarations de Jean-Luc Mélenchon aux AMFiS d’été de la France insoumise ou la nouvelle orientation proposée en Allemagne par Sarah Wagenknecht, représentante du parti Die Linke. Comment repolitiser la question de l’immigration en rejetant aussi bien la xénophobie que l’idéalisme sans frontières ?

Ces derniers jours, des journalistes politiques, par exemple Abel Mestre pour Le Monde ou Frédéric Says pour France Culture, répètent à l’envi que La France insoumise serait « en difficulté », « prise en étau », et ainsi de suite, sur la question de l’immigration. C’est faux. La ligne de la France insoumise sur l’immigration est claire, précise, et Jean-Luc Mélenchon l’a encore rappelée le 25 août 2018 dans son discours aux AMFiS d’été de notre mouvement.

Primo, nous combattons tous ceux qui, responsables politiques, intellectuels, éditorialistes, mass medias, essaient de propager la peur d’un raz-de-marée migratoire alors que dans les faits, chiffres à l’appui, un tel raz-de-marée n’existe pas. Même chose envers les mêmes qui essaient de provoquer la peur d’une grande invasion de réfugiés méditerranéens qui, elle aussi, chiffres à l’appui, n’existe pas.

« Déduire qu’il faut jeter la pierre aux immigrés, c’est se tromper d’adversaire. Ce qu’il faut, c’est ôter au patronat les moyens de jouer ainsi des travailleurs les uns contre les autres. »

Deuzio, conformément au droit de la mer, depuis des siècles, tout navire proche doit se porter au secours des réfugiés en détresse en Méditerranée. Et si les côtes françaises sont les plus proches, c’est à la France de les recueillir. De même, doit-on porter secours aux réfugiés qui passent en montagne au péril de leur vie. Tenir une autre position, c’est dire qu’il faut laisser délibérément des êtres humains mourir : consciemment ou pas, c’est être un monstre d’inhumanité. Parallèlement, il faut évidemment répartir équitablement l’accueil des réfugiés entre les États : livrer à elles-mêmes l’Italie, la Grèce, Malte, l’Espagne, c’est irresponsable. L’Union européenne peut servir de cadre pour organiser cette répartition. À défaut, un accord multilatéral peut y pourvoir.

Tertio, il est inhérent au capitalisme sauvage contemporain de provoquer l’aggravation colossale des inégalités au profit d’une infime minorité oligarchique ; et la destruction de l’écosystème indispensable à la survie de l’humanité. La pauvreté de masse, les guerres civiles, les conflits régionaux, les catastrophes écologiques locales, qui forcent des millions de réfugiés à l’exil, résultent de ce problème central. Pour tarir les crises migratoires, il faut remplacer la guerre économique permanente par un commerce international équitable, et remplacer le pillage des pays pauvres par le codéveloppement durable. Ce ne sont pas des utopies : c’est affaire de volonté politique. Enfin, il est incontestable que le patronat des pays riches instrumentalise l’immigration de travail venue des pays pauvres, pour tirer les salaires de tous vers le bas. On retrouve ici le concept d’armée industrielle de réserve théorisé par Karl Marx. Mais en déduire qu’il faut jeter la pierre aux immigrés, c’est se tromper d’adversaire. Ce qu’il faut, c’est ôter au patronat les moyens de jouer ainsi des travailleurs les uns contre les autres. Il faut donc augmenter le salaire minimum, supprimer les contrats de travail précaires, et désobéir à la directive européenne des travailleurs détachés pour qu’“à travail égal, rémunération et cotisations égales”. Ainsi la pression à la baisse sur les salaires disparaîtra.

Je pense que cette ligne politique répond à votre question : elle va résolument contre la xénophobie ; elle identifie franchement les problèmes posés, mais c’est pour leur donner une réponse humaniste, écologiste et responsable. Cette ligne est donc doublement conforme au devoir d’un grand mouvement politique progressiste qui se prépare à gouverner le pays.

 

Source : Le Comptoir

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