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Que dit exactement Sarah Wagenknecht sur l'immigration ? (Libé.fr/checknews-4/09/18)

Sahra Wagenknecht au bundestag le 15 décembre 2016

 

Check News a traduit pour vous plusieurs extraits d'interviews et de discours, où Sahra Wagenknecht expose sa vision d'une politique d'immigration en Allemagne.

 

Question posée le 04/09/2018

 

Bonjour,

 

Vous nous avez demandé le verbatim en français des propos polémiques de Sahra Wagenknecht.

En ce mardi 4 septembre 2018, la femme politique allemande, figure important du parti Die Linke, lance un nouveau mouvement politique nommé Aufstehen (en français: Debout), qui intéresse la presse étrangère.

Ainsi Le Monde parle de «l’émergence d’une gauche antimigrants», le HuffPost titre «un mouvement politique de gauche radicale et anti-migrants lancé en Allemagne», Libération note au sujet de Wagenknecht que «l’une des cadres de Die Linke va lancer début septembre un mouvement qui reprend les accents de l’extrême droite sur la question migratoire» et Grazia ose même la présenter comme «l’Allemande à cheval entre Mélenchon et Le Pen». Dans ces articles, on peut lire que cette égérie de la gauche radicale allemande a décidé de défendre une politique antimigrants pour récupérer le vote des électeurs des couches populaires qui se seraient tournées vers le parti d’extrême-droite Alternative für Deutschland (AfD).

 

Vous souhaitez savoir ce que propose ou du moins ce que déclare exactement Sahra Wagenknecht sur le sujet de l’immigration. Check News a donc consulté ses discours et ses interviews récents sur ces sujets et publie ici des extraits traduits :

Pour un respect du droit d’asile, dont il faut combattre les causes, mais critique d’une immigration de travailleurs étrangers

 

On peut résumer ses positions ainsi. Sahra Wagenknecht défend le droit d’asile dans sa forme actuelle et s’est opposée à son durcissement. Elle estime cependant que pour régler la crise des réfugiés, il ne suffit pas d’ouvrir les frontières du pays, mais de traiter les causes, qui justifient que des personnes quittent leur pays en guerre. Ainsi elle est contre la vente d’armes à des pays étrangers, notamment la Turquie ou l’Arabie Saoudite.

 

En ce qui concerne les immigrés, qui ne relèvent pas du droit d’asile, elle estime qu’une position d’ouverture totale des frontières n’est pas une position de gauche, car l’immigration de main-d’œuvre étrangère augmente la concurrence entre les travailleurs allemands et immigrés et tire, selon elle, les salaires vers le bas. Elle y voit une politique souhaitée par le patronat pour baisser le coût de la main-d’œuvre.

 

Aussi Sahra Wagenknecht considère que cette main-d’œuvre supplémentaire pour l’Allemagne, notamment les travailleurs qualifiés, est un manque à gagner pour les pays d’origine de ces immigrés. Elle défend la mise en place de «limites à la libre circulation des marchandises» pour que ces pays en voie de développement ne soient pas abusés par les pays industrialisés.

 

Extrait du discours au congrès de Die Linke le 10 juin 2018.

 

Elle commence ce discours par se féliciter des résultats de Die Linke en progrès lors des élections fédérales du Bundestag, puis insiste sur le fait que Die Linke doit capter l’électorat ouvrier, qui s’est éloigné du parti dans des zones sinistrées, telles que le bassin ouvrier de la Ruhr ou les Länder de l’Allemagne de l’Est. Les propos traduits ici, font suite à un passage, où elle explique qu’elle est fière que son parti s’oppose à la livraison d’armes aux pays étrangers.

 

«Chers camarades, nous sommes également d’accord pour dire que les guerres sont une cause majeure des mouvements de migration mondiaux. Et nous convenons que les personnes persécutées doivent se voir accorder l’asile. Je suis fier que le groupe parlementaire au Bundestag ait voté contre tout durcissement de la loi sur l’asile et qu’il continuera à le faire. Je pense que cela montre où nous en sommes dans ce dossier.

 

Et nous sommes également d’accord sur le fait que les réfugiés de guerre doivent être aidés. Il n’y a personne dans Die Linke qui s’interroge à ce sujet. Et je ne pense pas qu’il soit élégant de toujours prétendre que c’est différent. Non, ce n’est pas différent.

 

Ce dont nous discutons, c’est de savoir si un monde sans frontières dans des conditions capitalistes peut vraiment être une revendication de gauche. Même là, il y a quelque chose qui n’est pas controversé. Nous défendons le droit des pays pauvres de défendre et de protéger leurs marchés, leurs économies, avec des tarifs douaniers contre nos exportations agricoles. Mais cela signifie aussi fixer des limites à la libre circulation des marchandises. Nous exigeons un contrôle des capitaux pour empêcher les spéculateurs financiers de décider des devises, des taux d’intérêt et du sort d’économies entières. C’est pourquoi nous voulons bien entendu fixer des limites à la libre circulation des capitaux.

 

Oui, beaucoup d’entre nous sont probablement d’avis qu’il est irresponsable d’éloigner les pays pauvres de leurs spécialistes qualifiés parce que la pauvreté et la misère sur le terrain ne font qu’augmenter. Oui, nous discutons de la question de savoir s’il devrait y avoir des limites pour la migration de main-d’œuvre et, si tel est le cas, quelles sont-elles. Mais pourquoi ne pouvons-nous pas le faire objectivement, sans diffamation ?

 

Le politicien de gauche Bernie Sanders a également une opinion très tranchante à ce sujet. Je cite Bernie Sanders : «Ouvrir les frontières. Non. C’est une suggestion des frères Koch.» Ce sont de grands industriels avec 40 milliards d’actifs. Je cite Bernie Sanders : «Ce que la droite aime dans ce pays, c’est une politique d’ouverture des frontières. Amenez beaucoup de gens qui travaillent pour deux ou trois dollars de l’heure. Ce serait formidable pour eux. Je n’y crois pas. Je crois que nous devons travailler avec le reste des pays industriels pour lutter contre la pauvreté dans le monde. Mais nous ne pouvons pas le faire en appauvrissant la population de ce pays.» Voilà ce que dit Bernie Sanders. Et quand Jeremy Corbyn parle sur le sujet, ça sonne pareil. Vous n’avez pas à partager cette opinion, mais Bernie Sanders et Jeremy Corbyn ne sont en aucun cas des gens qui courent après la droite et adoptent leurs arguments. Qu’est-ce que c’est que cette non-culture du débat!

 

Bien sûr que non. Mais ce que j’attends, c’est une discussion solidaire. Et si moi et d’autres camarades de mes propres rangs sommes accusés de nationalisme, de racisme et de proximité avec l’AfD, ou si l’on suppose que nous cédons à l’ère du temps droitiste, alors c’est le contraire d’un débat solidaire !»

 

Interview avec la Frankfurter Rundschau le 11 août 2018

 

Dans cet entretien avec la Frankfurter Rundschaud le 11 août 2018, Wagenknecht se défend des critiques la présentant comme une nationaliste d’extrême-gauche.

 

«Il y a au moins trois objections à votre mouvement. La première est que vous êtes fondamentalement nationaliste et hostile aux réfugiés. La dernière preuve en est que vous avez parlé de la «morale générale d’une culture de l’accueil sans limites», qui doit être rejetée au même titre que les ressentiments de l’AfD.

 

Je trouve cela déjà aventureux, que certaines personnes s’opposent de manière réflexive contre le mouvement de rassemblement qui est actuellement en cours de création. Ma position dans la politique des réfugiés est bien connue et m’accuser d’hostilité envers les réfugiés ou de nationalisme est malveillant. J’ai toujours défendu le droit d’asile, qui a été mis à mal ces dernières années. Je suis convaincue que les personnes persécutées ont besoin de protection - mais que le problème de la pauvreté dans le monde ne peut être résolu par une immigration sans frontières. Au contraire, nous devons tout faire pour que l’Allemagne et l’Europe ne continuent pas à détruire les perspectives de vie dans les pays pauvres. Les gens ont besoin d’une perspective dans leur pays d’origine.»

 

Interview avec la Rhein Neckar Zeitung le 11 juin 2018

 

Dans cet entretien au lendemain de son discours au congrès de Die Linke, Sahra Wagenknecht défend ses différences avec la ligne majoritaire du parti, notamment sur la question des immigrés. Elle considère que la décision d’ouvrir les frontières en 2015 aux demandeurs d’asile a été une erreur.

 

«La cheffe du parti Katja Kipping exige que le vote de la conférence du parti pour l’ouverture des frontières soit maintenant accepté et respecté…

 

Je ne vois aucune raison de changer de position en raison de l’adoption de la motion principale. L’exigence de «frontières ouvertes pour tous» - c’est-à-dire que tous ceux qui le souhaitent peuvent venir en Allemagne - n’est pas incluse dans la proposition principale. Nous voulons combattre les causes de la fuite et aider les gens qui fuient la guerre et qui sont dans le besoin. Nous avons également besoin de plus de justice sociale en Allemagne. Personne dans le parti ne remet cela en question.

 

Nous sommes pour le droit d’asile et le défendons. Il doit y avoir des frontières ouvertes pour les personnes qui sont persécutées. Mais l’ouverture des frontières pour tous n’est pas réaliste. La perte de contrôle, qui a lieu à l’automne 2015, a changé ce pays, et pas pour le mieux. Cela ne doit pas se reproduire.

 

Mais le congrès du parti a voté contre une limitation plus stricte de l’immigration et pour l’ouverture des frontières…

 

Non. Il y a des opinions différentes sur le cours de la politique des réfugiés au sein du parti. Mais on peut s’en accommoder. Personne ne devrait essayer d’imposer sa propre position à tout le monde. Ma position est, que plus d’immigration signifie de plus en plus de concurrence pour les emplois, en particulier dans le secteur des bas salaires. Et, bien sûr, une plus grande charge sur l’infrastructure sociale.

 

Nous ne pouvons gérer l’intégration qu’à l’intérieur d’un certain cadre. Nous ne rendons pas non plus le monde plus juste en promouvant la migration; au contraire, elle appauvrit encore plus les pays pauvres. Parce que c’est toujours la classe moyenne qui migre, les plus pauvres ne sont même pas en mesure de le faire. C’est pourquoi nous devons aider sur le terrain.» 

 

 

Interview avec le magazine Focus du 19 février 2018

 

Dans une interview au magazine magazine Focus le 19 février 2018, elle détaille sa vision de la gauche. Répondant aux piques du journaliste, qui décrit les positions des jeunes de Die Linke comme préoccupés par des questions telles que l’appropriation culturelle ou les questions de genre, elle répond qu’effectivement il s’agit de positions singulières qui ne répondent pas aux préoccupations de la caissière de LIDL. Elle défend l’idée que les questions de discriminations doivent d’abord être traitées par l’angle économique. Au sujet de l’immigration, elle déclare alors:

 

«Ouvrir les frontières pour tous» est irréaliste. Et si la principale préoccupation de la politique de gauche est de représenter les désavantagés, alors la position No-Border est aussi le contraire de la gauche. Tous les succès dans l’apprivoisement et la régulation du capitalisme ont été combattus à l’intérieur des États, et les États ont des frontières. Ce n’est pas sans raison que la Fédération des industries allemandes se bat pour une loi sur l’immigration depuis des années. La migration de main-d’œuvre se traduit par une concurrence accrue pour les emplois, en particulier dans le secteur des bas salaires.

 

Il est compréhensible que les personnes concernées en aient peur. Il n’y a pas non plus un nombre illimité d’habitations, d’autant plus qu’il en reste peu d’abordables. Les personnes, qui sont persécutées, ont besoin de protection. C’est à cela que sert le droit d’asile, et il ne doit pas être mis à mal. Mais ceux qui veulent surmonter la pénurie de travailleurs qualifiés devraient plutôt investir plus d’argent dans notre système d’éducation.»

 

Cordialement

 

Jacques Pezet

 

source:  https://www.liberation.fr/checknews/2018/09/04/que-dit-exactement-sahra-wagenknecht-sur-l-immigration_1676492

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