A ces informations sur la "vie privée", il ne faudrait toucher qu'en tremblant. Vie privée est un euphémisme : on parle bien de vie amoureuse. On touche au plus intime. Je suis certain que mes confrères de Mediapart se sont longuement posé la question, avant de "balancer" à leurs lecteurs la "relation extra-professionnelle de longue date" entre Sophia Chikirou et Jean-Luc Mélenchon. Qu'ils ne l'ont balancée que parce que, tout bien pesé, ils l'ont estimée "d'intérêt public". "C'est toujours délicat", reconnait Fabrice Arfi. D'autres, dont par exemple la directrice de BFM, Céline Pigalle, qui nous l'a dit, ont choisi de le taire. La plupart de mes confrères aussi, encore ce lundi matin, de taire l'information.

Mélenc-Chikirou

Mélenchon-Chikirou, reuters, 2012

Capture de l'article de Mediapart,  19 octobre 2018

A propos de transparence sur la vie privée de personnages politiques, (ce que les Français ordinaires traduisent volontiers par "histoires de cul") les medias français pêchent traditionnellement davantage par autocensure, que par voyeurisme. Deux exemples. Compte-tenu de ses conséquences gendarmesques dans le système de sécurité de l'Elysée, il est certain que l'existence d'une seconde famille de François Mitterrand, secret partagé par de nombreux initiés, aurait dû, pour l'intérêt public, être dévoilée plus tôt par la presse de l'époque. De même que le comportement harceleur de DSK avec les femmes aurait dû être dévoilé bien plus tôt, par celles et ceux qui savaient (et beaucoup savaient). A propos de la relation Mélenchon-Chikirou, le secret avait été jusqu'ici conservé. Tout au plus certains malins avaient trouvé le moyen de dire sans dire, avec des jolies images pour initiés, ce qui explique par exemple la fortune de la photo ci-dessus, prise par Reuters lors de la présidentielle de 2012.

Et donc, fallait-il écrire que Chikirou et Mélenchon entretiennent "une relation extra-professionnelle de longue date" ? Dans cette situation, à mon sens, oui. Les policiers perquisitionneurs ayant trouvé Sophia Chikirou, à 7 heures du matin, chez Jean-Luc Mélenchon, et l'ayant, j'imagine, inscrit sur le PV (si PV il y a eu), taire cette information était inimaginable. Elle éclaire évidemment les surfacturations supposées, reprochées à Sophia Chikirou. Elle éclaire l'indulgence éventuellement reprochée à Mélenchon. Sans doute, aux yeux des militants, des électeurs, des citoyens, éclairera-t-elle rétrospectivement d'autres aspects de l'histoire du mouvement. 

J'ai bien dit : "dans cette situation". Tiens, mais justement, pourquoi Mediapart et ses confrères se sont-ils retrouvés "dans cette situation" ? Parce que les policiers ont trouvé Chikirou chez Mélenchon. Sans quoi le silence aurait pu durer plus longtemps. Et pourquoi l'y ont-ils trouvée ? Parce qu'ils y sont allés, pardi. Et voilà le biais : de toute l'histoire des perquisitions dans des scandales de recettes ou de dépenses de campagnes électorales, c'est la première fois, assurent les Insoumis (et il me semble bien qu'ils ont raison) qu'un domicile personnel est perquisitionné. Pourquoi ? Que cherchait le parquet, hiérarchiquement soumis au gouvernement, qui dirige l'enquête ?

Cet aspect est absent de l'article de Mediapart. On sent même entre les lignes une étrange surprise factice, assez peu crédible. "Quelle ne fut pas la surprise des policiers, quand ce 16 octobre, au petit matin..." : allons donc ! A qui fera-t-on croire que les policiers ne savaient pas qui ils allaient trouver ? Que le procureur sortant François Molins lui-même ne savait pas ? Des Insoumis assurent même que là, dans ce scoop-là, était l'objectif de cette perquisition hors-normes. Qui peut à coup sûr leur donner tort ?  A l'article de Mediapart, il ne manque qu'une chose : la description du piège dans lequel ils se sont eux-mêmes retrouvés. Et, éventuellement, sa dénonciation.