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Signez, et vous êtes libre

est une petite phrase noyée dans un océan de paroles, quelques mots, presque rien, et qui néanmoins dévoile les coulisses d’une fabrique : celle du débat public. Le 17 octobre, la députée de Paris Danièle Obono répond aux questions de Mediapart. Diffusé en vidéo, l’entretien ronronne quand soudain la journaliste Pauline Graulle interpelle la parlementaire : « Un appel a été lancé par trois journaux, Mediapart, Politis et Regards, qui a été signé largement d’abord par des intellectuels, des gens de la société civile, et puis après par des politiques. Je crois que [la députée] Clémentine Autain a été la seule de La France insoumise à signer cet appel. Alors pourquoi vous n’avez pas signé cet appel ? Après, vous faites ce que vous voulez. Mais pourquoi vous n’avez pas signé cet appel ? » Mme Obono s’étonne que Mediapart la questionne sur ce « Manifeste pour l’accueil des migrants » lancé par Mediapart. La journaliste insiste : « C’est un sujet sur lequel on était surpris que vous ne signiez pas. »

Militante de terrain, en première ligne à l’Assemblée nationale dans la bataille contre la loi sur l’immigration débattue au printemps dernier, Mme Obono a défendu la cause des migrants plus opiniâtrement que nombre de pétitionnaires. « Tout le boulot qu’on fait depuis des mois ne peut pas être réduit au fait qu’on signe ou pas une pétition », plaide-t-elle. D’autant que ce texte, « insuffisant » à ses yeux, s’abstient de dénoncer les responsabilités du gouvernement. Cependant, pour ne l’avoir pas signé, « on s’est retrouvés à être amalgamés, y compris de la part de Mediapart, à ce que des journalistes et commentateurs ont appelé une “gauche antimigrants”. Et ça, c’était ultraviolent ! ».

L’intervieweuse lui oppose alors cet argument déconcertant : « Si vous aviez signé l’appel, il n’y aurait pas eu tout ce foin. »

Autrement dit, il suffisait que la députée se soumette à l’agenda politique du site d’information pour que cessent les tourments. Rembobinons : Mediapart lance avec d’autres journaux une pétition pleine de bonnes intentions, mais suffisamment vague (1) pour recueillir le soutien d’une liste d’« intellectuels, créateurs, militants associatifs, syndicalistes et citoyens avant tout » de sensibilités diverses. Ensuite, les publications instigatrices médiatisent leur propre initiative et la transforment en actualité : ainsi installée au cœur du débat public, la pétition suscite tweets, posts et prises de position qui théâtralisent un antagonisme entre signataires et non-signataires. Enfin, on invite les récalcitrants à justifier leur choix, en suggérant qu’un refus de s’aligner dissimulerait d’inavouables accointances. « Ceux qui signent l’appel sont exonérés de leurs responsabilités », résume Mme Obono, tandis que, « pendant plusieurs semaines, on a été quasiment taxés de rouges-bruns ! ».

Si elle avait déféré aux sommations à émarger, « il n’y aurait pas eu tout ce foin »… Signez, ou on cogne : ce journalisme a décidément des allures de commissariat.

Pierre Rimbert

Source : monde Diplomatique

 

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