Juan Branco 21 novembre,

La complicité active des classes intellectuelles et supérieures dans la spoliation mise en oeuvre par le macronisme - artefact sans base sociale créé ex nihilo par une clique oligarchique auquel beaucoup se sont soumis afin de préserver leur position dans les institutions - ouvre à une crise de régime.

Le point cardinal des gilets jaunes, c'est le rejet de ceux qui font l'ordre social, qui le tiennent par le discours. Ils ont fait confiance à un ordre qu'ils considèrent les avoir trahi et qu'ils veulent maintenant renverser. Il n'y a pas de marche arrière.

S'il n'y a pas de discours apparent chez les eux, c'est bien parce qu'ils sont ceux qui n'ont pas pour rôle d'élaborer le discours au sein de la société - ceux qui ont toujours accepté d'en déléguer la fabrication - et qui se rebellent maintenant contre ceux à qui ils l'avaient délégué, ou qui se l'étaient accaparé.

En cela, la crise à laquelle nous assistons est bien celle de la démocratie libérale. D'une répartition des fonctions au sein de la société fondée sur la confiance et toute une série de mécanismes de contrôle qui ont été court-circuités par la Macronie pour s'accaparer le pouvoir.

Ce sont ceux-là même qui ont fait confiance, les plus modérés, qui se rebellent. C'est pour cela qu'ils apparaissent "bêtes" et "méprisables", illégitimes aux dominants: car ils sont ceux qui jusqu'alors laissaient parler à leur place. Qui n'ont jamais appris à parler. Qui n'ont jamais souhaité, ou pu, parler.

Or ce que les dominants avaient oublié, c'est que ces âmes que l'on leur avait délégué et qu'ils pensaient avoir soumis et dressé, sont aussi des corps, et que l'emprise discursive peut toujours s'effondrer, soit lorsque les conditions de vie de ces corps ne sont plus respectées, soit lorsque les conditions tacites de délégation ne sont plus respectées.

Et c'est bien, sur ces deux points à la fois, ce qu'il s'est passé.

C'est pourquoi les gilets jaunes se rebellent non sur un sujet. Car ils se rebellent avant tout contre, contre les classes sociales à qui ils ont attribué la fonction de direction - ou qui se la sont attribuée en faisant croire qu'on la lui confiait - contre la promesse d'une "bonne gouvernance" et d'une amélioration de leurs conditions de vie.

C'est ce qui explique qu'ils se montrent soudain parfaitement insensibles aux caricatures, reproches, attaques, paroles des gouvernants. Qu'ils n'aient que faire des appels des partis, syndicats et dirigeants.

L'indifférence complète des "élites" face à la dégradation matérielle et psychique des conditions de vie des classes populaires a complètement décomplexé ces dernières, qui n'entendent et n'entendront plus rien des discours censeurs qui jusque là les orientaient. C'est ce qui notamment explique l'émergence brutale "d'un parler vrai" qui n'a pas vocation à dire quoi que ce soit, mais seulement à, par la reprise de l'espace social, à revendiquer l'illégitimité de ceux qui jusque là monopolisaient le discours. Qu'importe ce qui est dit: ce qui est important est de montrer qu'on ne se laissera plus dire.

C'est pourquoi aussi il y a une telle joie à ce qui est entrain de se passer: car cette joie est celle de l'émancipation face à une tutelle soudain effondrée. Mais aussi celle de l'impulsion et de ses dangers, régente lorsque le règne du discours se tait.

La rupture, en toute révolution, est avant tout discursive et affaire de croyance. Et la brèche discursive à la quelle on assiste en ce moment même si évidente et dénuée de complexe qu'elle interroge sur la profondeur du mouvement.

Car face aux gilets jaunes, la réaction de l'élite est si ahurissante qu'elle ne peut que confirmer l'intuition des mobilisés: oui ces gens là s'étaient de nous bel et bien complètement désintéressés. Les réflexes de cour auxquels j'assiste sont dignes de 1789, mêlant rires sous masque et discours briochés (le plateau de 28minutes était à cet égard marquant, je vous épargne les moqueries qui entre chaque séquence, hors plateau, avaient pour objet les dirigeants du mouvement).

Ceux qui se sont nourris sur la bête, mettant en place des systèmes d'entre-soi dont la Macronie est l'exemple le plus pourrissant, sans ne plus se censurer ni se contrôler, jusqu'à l'insupportable, n'ont pour réponse que de moquer ceux-là même qui leurs avaient fait confiance pour les diriger, parce qu'ils se montrent incapables de leur parler en le langage qu'ils leur ont délégué. https://www.facebook.com/juan.branco.98/posts/710651465973509

C'est un peu comme s'il y avait une inconscience absolue de la forfaiture qui a été achevée à travers l'élection de Macron, dont pourtant tout montrait dès l'entre-deux tours qu'elle était spoliation. Mais aussi une inconscience absolue du rôle qu'ils étaient censés jouer, et des fondements du pouvoir qui leur a été attribué (https://www.youtube.com/watch?v=rKdNi3b35q4&t=132s)

Comme s'il n'y avait pas conscience qu'en ne se battant pas pour faire barrage à cet être, s'assurer que lui et sa clique ne prendraient pas le pouvoir pour se gaver, ils s'étaient rendus responsables d'un drame qui signait leur déchéance et initiait leur effondrement.

Face à ce mur d'indifférence - face à cette assurance de classe qui croit sa position sociale à jamais assurée - les publics non-politisés ne ressentent naturellement plus aucune gêne à manifester, à porter leur parole en propre, et même pour cela à se mêler à ceux qui jusqu'alors avaient été censurés, rendus infréquentables par l'élite, que ce soit les nazillons s'attaquant à des pauvres hères exilés, les ultraconsuméristes libéraux et individualistes en quête de jouissance sans retenue ou les "gauchistes" engagés depuis des décennies dans les luttes et que nos dirigeants s'amusaient à mépris.

Pourquoi s'en écarteraient-ils, se sentiraient-ils gênés à l'heure d'être à leurs côtés, puisque les sources qui délégitimaient ces différents idéologues - ces élites mêmes qui avaient réussi à les tenir en dehors du contrat social - sont maintenant l'objet de leur hallali, sont considérées comme ayant privilégié leur bien être sur celui de la société, et doivent maintenant être renversées ?

Samedi, ce seront les blackblock et les mouvements d'extrême droite les plus radicaux qui se joindront aux gilets jaunes, et personne dans ces mouvements ne s'en plaindra, car il s'agit maintenant de renverser et non plus de protester. Et à partir de là...

Un dernier point: il y a symptôme dans l'absence d'écho qu'ont eu les deux morts lors des manifestations : il montre un important point de bascule. Lorsque la mort n'est plus sacrée, c'est que le régime peut être renversé.

Preuve que ce dont il s'agit, c'est à minima d'une jacquerie, a maxima d'une révolution. Justifiée, de façon autotélique par l'incompréhension que montrent nos dirigeants.

Que le régime s'effondre maintenant ou dans les prochains mois, cela ne change rien: un mouvement de rupture irréfragable est enclenché. Il nous faudra longtemps pour le réparer. Et peut-être ne pourrons-nous jamais le rattraper.

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