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L’éviction de Djordje Kuzmanovic et François Cocq: les contradictions et le retour des vieux démons de la France Insoumise

L’éviction de Djordje Kuzmanovic, orateur national de la France Insoumise sur les questions internationales et de défense et co-rédacteur de son livret international et défense, des listes pour les élections européennes et son départ du mouvement, ainsi que celle de François Cocq, ancien responsable « éducation », posent de nombreuses questions tant quant aux procédures régnant à la FI que quant à la ligne de ce mouvement. Ces questions se rejoignent car, et toute personne ayant milité dans une organisation, qu’elle soit politique ou syndicale, le sait bien : il y a de la politique dans les questions d’organisation et les procédures. Ce qui semble être aujourd’hui en jeu est la présence ou non d’un courant qui se qualifie de souverainiste et de républicain au sein de la France Insoumise. Autour de ce problème se joue aussi la question de l’adoption d’une ligne dite « populiste », cherchant à unir le plus grand nombre ou au contraire une ligne dite « d’union des gauches », ramenant ce mouvement au strict périmètre idéologique de ses composantes. Ces questions ont soulevé une émotion évidente, que j’ai pu mesurer au nombre de messages reçus mais aussi au nombre de reprises de mes propres messages sur Twitter. La presse s’en est fait l’écho, même si ses objectifs sont loin d’être clairs et purs[1]. Jean-Luc Mélenchon a produit une « réponse »[2] ainsi que Martine Billard, qui était l’une des responsables de la commission électorale de la FI. A ma connaissance, il n’y a pas eu de texte engageant l’ensemble des responsables.
Djordje Kuzmanovic et François Cocq[3] ont produit des textes (celui de Kuzmanovic ayant été publié dans Marianne[4]) pour expliquer leurs décisions de quitter le mouvement. Ces textes, en particulier celui de Kuzmanovic, soulèvent à leur tour des questions sur l’inorganisation volontaire – il parle de « mouvement gazeux » - de la France Insoumise. Mais, ici encore, il y a une ligne politique qui transparait dans la décision de ne pas doter le mouvement de structures plus institutionnelles.
Djordje KUZMANOVIC
L’avenir de la France Insoumise nous concerne tous. Nous vivons une crise sociale considérable. Cette crise s’est transformée, à travers la mobilisation des Gilets Jaunes en une véritable crise politique. Dans cette crise politique, c’est toute l’architecture du « macronisme », mais aussi celle du « bloc bourgeois » sur lequel il s’appuie qui est mise en cause. Mais, nous savons qu’une telle mise en cause ne peut déboucher que quand des courants politiques offriront une issue. Que la France Insoumise se retrouve confrontée à ses démons du dogmatisme et du sectarisme alors même que survient un mouvement qu’elle appelait de ses vœux est une sorte de tragédie. Elle implique analyse, tant du processus immédiat que de ses causes de long terme.
François COCQ

Les procédures sont politiques

Que ce soit Kuzmanovic ou Cocq, les deux mettent en causes les procédures de désignation des candidats sur les listes de la France Insoumise pour les prochaines élections européennes. Djordje Kuzmanovic écrit ainsi : « le comité électoral de la France Insoumise, seule instance constituée de cette formation politique gazeuse, vient de me signifier mon exclusion de la liste des européennes, ensemble avec François Cocq. Cette décision, qui intervient en dépit du soutien massif que m’ont apporté un grand nombre de militants, illustre les écueils de ce mouvement en même temps qu’elle rend manifeste le conflit idéologique qui le traverse de longue date ». François Cocq, de son côté, dit la chose suivante dans une interview : « J’ai porté au début de l’été des interrogations. Je m’inquiétais alors d’une inflexion stratégique, à savoir une réinscription visible et assumée de La France insoumise au sein de « la gauche » pour en prendre ce que Jean-Luc Mélenchon appelait fin juin « le leadership ». La rentrée de septembre a confirmé cette inquiétude, les termes « rassemblement de la gauche » et même « union de la gauche » faisant leur retour non seulement dans la bouche de celles et ceux qui étaient en passe de se rapprocher de LFI, mais aussi jusque dans la bouche de certains cadres de La France insoumise. Cette séquence a indubitablement marqué une rupture par rapport à la précédente où l’ambition de fédérer le peuple passait par la mise à distance du terme « gauche » lui-même »[5].
Les critiques de Kuzmanovic et de Cocq portent tant sur les questions de procédures que sur les questions de ligne politique. Sur les questions de procédure, la réponse apportée par Martine Billard (en son nom personnel) est la suivante : « Il nous fallait définir des critères pour choisir les 79 candidat.e.s. Alors oui il y a un désaccord avec Djordje Kuzmanovic pour qui cela aurait dû être «Le soutien des militants, la compétence et l’ancienneté – trois critères simples de légitimité – ont d’emblée été écartés». Nous avons effectivement refusé de lancer les Insoumis.e.s dans des compétitions de soutien aux candidat.e.s. Vous imaginez l'ambiance que cela aurait créé ? Et les Insoumis.e.s auraient été les premiers à protester et à juste titre que cela revenait à un résultat connu d'avance : les plus visibles, les plus connus sont celles et ceux qui obtiennent le plus de soutien »[6]. Dans cette position, on note la volonté de mettre tous les membres de la France Insoumise en théorie à égalité. Mais, toute personne qui a eu des responsabilités dans une organisation, qu’elle soit syndicale ou politique, sait que la seule égalité provient de procédures électorales. Des comités locaux, ou régionaux, élisent des candidats. Et, quand ont veut faire émerger de nouvelles têtes, ce qui est légitime, certains se retirent, après une discussion politique. Martine Billard ajoute alors : « On ne peut pas non plus exiger le renouvellement, se réclamer du dégagisme et prôner une sélection à l'ancienneté. Outre qu'avoir des années de militantisme n'a jamais garanti de faire un bon élu. Enfin pour la compétence, il peut y avoir 36 définitions différentes avec le risque de faire une sélection par les diplômes aboutissant à ne sélectionner que des CSP+ ». Les arguments avancés sont ici d’une insigne faiblesse et d’une grande fausseté. Tout d’abord si « dégagisme » il y a, il ne s’applique par définition qu’aux élites qui monopolisent le pouvoir depuis une cinquantaine d’années, élites qui ce sont rendues odieuses au peuple par leurs politiques. Parler de « dégagisme » au sein d’une organisation est une escroquerie et n’a aucun sens. Car, ce qui distingue – du moins théoriquement – une organisation comme la France Insoumise des élites au pouvoir est que justement elle n’a jamais exercée le pouvoir. De plus, si l’on voulait aller au bout de cette logique, le « dégagisme » n’aurait du toucher que les membres de la FI qui avaient eu des positions électives dans le système politique, comme un certain Jean-Luc Mélenchon… Ensuite, oui, l’ancienneté peut être un critère recevable. Bien entendu, il ne suffit pas d’être « blanchi sur le harnois »[7] pour être un cadre compétent. Je ne ferai pas l’apologie d’un système à l’ancienneté uniquement. Mais le fait d’être un perdreau de l’année n’aide pas plus, et peut-être parfois moins il faut bien le dire. Nous n’avons qu’à regarder le comportement des députés de LREM au parlement. Enfin, le critère de compétence est justement un critère qui doit être laissé à la détermination d’un vote des militants, qui ainsi expriment leur confiance ou leur défiance, que cette compétence découle de l’expérience ou qu’elle découle des savoirs.
Au total, Martine Billard montre surtout par l’incohérence de ses arguments, et par l’incapacité dans laquelle elle se trouve de réfuter de manière cohérente les accusations de Kuzmanovic, que, oui, la France Insoumise est bien ce que ce dernier appelle un « mouvement gazeux ». Mais, les procédures sont toujours chargées de politique, que les personnes qui les mettent en œuvre en ait ou n’en ait pas conscience (et j’ai trop de respect pour Martine Billard pour croire un instant qu’elle ne s’en soit pas rendue compte).

Ce qui se cache derrière « l’inorganisation » de la France Insoumise

Alors, il faut revenir sur le problème de ligne. Relisons ce que Djordje Kuzmanovic écrit dans son texte publié dans Marianne : « Je me suis longtemps battu pour tenter de faire prévaloir la ligne qui me semblait juste ; mais les défauts du mouvement m’apparaissent aujourd’hui structurels et sa réforme, impossible. Radié de la liste des candidats aux européennes, je ne saurais rester « orateur national politique pour les questions internationales et de défense » de cette formation politique. Je vais éviter aux décideurs de la FI de chercher dans des statuts inexistants les raisons pour m’exclure également de cette fonction, dont la définition n’existe pas davantage : je choisis de la quitter. Au-delà de cette dernière péripétie, deux grandes raisons motivent ce départ. La première tient à l’organisation du mouvement. Dénoncée par la vaste majorité des militants et des responsables régionaux, celle-ci se caractérise par un manque profond de démocratie. La forme horizontale et gazeuse du mouvement, censée reposer sur les initiatives du terrain, recouvre, comme souvent, l’extrême concentration du pouvoir aux mains d’un petit groupe de nouveaux apparatchiks et bureaucrates, aux convictions mollement sociales-démocrates, qui, parce qu’ils n’ont jamais été élus, ne peuvent pas non plus être démis de leurs fonctions »[8].
Cette longue citation contient beaucoup de chose. Mais, celle qui émerge d’abord est qu’il y aurait eu un refus de structurer la FI, car cette structuration, cette « institutionnalisation » en quelque sorte du « mouvement », au prétexte de préserver l’enthousiasme premier, cacherait dans les fait une forme d’organisation profondément non-démocratique. Cette situation n’est pas nouvelle. De nombreux militants pensent que la démocratie interne d’un mouvement est mise en péril par un excès de structuration, comme, par exemple, dans les partis staliniens. Mais, en réalité, la « non-organisation » souple, une forme souvent adoptée dans le cours d’une mobilisation, peut se révéler tout aussi anti-démocratique. De fait, dès qu’un mouvement est appelé à durer, et ce fut le cas de la France Insoumise après la belle campagne de Jean-Luc Mélenchon en 2017, l’adoption de formes d’organisation démocratiques s’impose. Si un compromis s’impose entre la nécessaire verticalité de ces formes pour la démocratie, et la tout aussi nécessaire horizontalité afin de laisser le champ libre aux initiatives locales, la décision d’adopter une structure essentiellement horizontale dénote effectivement d’une volonté d’isoler la détermination de la stratégie et de la ligne politique « réelle » du contrôle des militants.
Ce que suggère le texte de Kuzmanovic, c’est qu’il y aurait DEUX lignes politiques à la FI, une ligne politique explicite, celle définie dans les brochures de l’Avenir en Commun, et une ligne politique implicite, décidée par un petit groupe, ou un « réseau », hors de tout contrôle de la part des militants. Si cela s’avérait exact, les conséquences en seraient extrêmement graves. En effet, en l’absence de contrôle sur le ligne « implicite », on pourrait tout-à-fait craindre des changements brutaux d’orientation, y compris sur la question de la souveraineté. Or, les dirigeants de la FI ne sont pas sans savoir que ceci constitue, depuis la trahison de Tsipras, en 2015, une angoisse permanente pour les militants radicaux en Europe. Cette angoisse constitue pour de nombreux d’entre eux un frein important quand il s’agit de rejoindre une organisation qui prétend se réclamer de la souveraineté populaire. C’est actuellement un obstacle au développement de la FI et explique en partie pourquoi elle ne tire pas profit autant qu’elle le devrait de la situation actuelle. Une organisation comme la France Insoumise se devait de donner des garanties sur ce point. Qu’elle ne l’ait pas fait, qu’elle n’ait pas décidé de structures permettant un minimum de lisibilité politique des discussions de ligne (et je ne parle même pas de l’organisation de tendances dans le cadre de chaque débat important), était une faute grave. S’il s’avère que cette faute a été commise sciemment, pour préserver le pouvoir de quelques uns, alors oui la situation de la FI est critique.
Oui, les personnes ayant des responsabilités doivent rendre compte sur la manière dont elles exercent ces dites responsabilités, en toute démocratie. Qu’une ligne, ou une coalition de lignes, domine à un certain moment dans une organisation n’a rien de scandaleux. Mais, cela doit résulter d’élections et, quand cette ligne subit des échecs, il est légitime que s’ouvre alors un nouveau débat. Mais, que le débat se tienne à huis clôt, entre membres d’un réseau dans des conditions absolument non-démocratiques n’est pas acceptable. Kuzmanovic poursuit alors par une description extrêmement inquiétante du fonctionnement : « L’absence apparente de hiérarchie assure un fonctionnement largement arbitraire : les décisions sont prises par cette petite nébuleuse, sans appliquer de règles (absentes) ni consulter la base (dépourvue de structure et de moyens d’expression) ». Nous sommes ici au cœur du problème de l’organisation et des procédures, mais aussi du problème politique. Car, et on le rappelle à nouveau, il y a de la politique, et même beaucoup de politique, dans les questions de procédures.

Le conflit entre deux lignes

Le texte de Djordje Kuzmanovic va plus loin. Il identifie le conflit entre deux lignes : « Ainsi, par exemple, les groupes d’action – cellules de base de la FI – peuvent être, du jour au lendemain, supprimées par la direction et leurs initiatives, interdites parce que contrevenant à de mystérieux «fondamentaux » du mouvement. Un cas parmi d’autres, le GA Hébert du 18ème arrondissement de Paris s’est récemment vu rayer d’un trait de plume, pour le crime d’avoir organisé un débat sur « l’entrisme islamiste dans les syndicats ». Peu importe si la réunion était animée par des militants d’origine maghrébine témoins de la décennie noire du FIS en Algérie et qu’en page 29 de L'Avenir en commun, les Insoumis sont invités à « combattre tous les communautarismes et l'usage politique des religions ». Ces méthodes autoritaires, dans un mouvement qui se veut populaire, révoltent les militants de terrain, provoquant lassitude, désespoir et abandons ».
Tel serait, selon Kuzmanovic, l’une des clefs de lecture de ce qui lui est arrivé ainsi qu’à François Cocq. Nous savions que des pratiques de clientélisme étaient le cas dans des organisations comme le P « S » ou d’autres. Si les dirigeants de la France Insoumise ont cru un instant qu’ils renforceraient leur mouvement par ces pratiques, ils ont profondément erré. Cette question de « l’usage politique » des religions est effectivement centrale aujourd’hui[9]. Il n’est pas acceptable de tolérer cet usage. La question n’est pas ici celle de la religion, et en particulier de l’Islam. Dans un mouvement politique qui aspire à rassembler les français, il est évident que la question de l’appartenance religieuse doit être renvoyée à la sphère qu’elle ne devrait pas quitter, soit la sphère privée. Mais, il est aussi clair – et les textes produits en portent trace – que l’usage politique et communautariste de la religion doit être combattue. Ici, on trouve un parfait exemple de l’existence de DEUX lignes politiques, une ligne explicite qui condamne donc cet usage, et une ligne implicite qui, pour des raisons obscures, d’opportunité ou de manipulation, combat ceux qui veulent appliquer la ligne « explicite ». Cela n’est, hélas, pas neuf dans les mouvements politiques. L’existence de deux lignes, l’une publique et l’autre secrète, a caractérisée nombre de partis communistes dans la période du stalinisme. Voire ressurgir ces pratiques dans un mouvement dont on pouvait à bon droit penser qu’il leur avait tourné définitivement le dos est assez effrayant.
La question d’une opposition plus fondamentale entre la ligne fixée dans L’Avenir en commun, ligne qui a - en réalité – quelque peu variée au gré de la conjoncture, et on se rappelle que durant la campagne présidentielle, Jean-Luc Mélenchon a théorisé une rupture avec le clivage gauche-droite, et développé la stratégie populiste, et une ligne que l’on peut caractériser par ce que l’on appelle l’intersectionnalité et la non-hiérarchisation des luttes – c’est-à-dire le refus de faire primer le social sur le sociétal. Cette ligne correspond bien plus à la « Gauche rassemblée ». C’est à la fois un problème clef et un piège idéologique redoutable. Lenny Benbara a écrit, à la suite de l’éviction de Djordje Kuzmanovic, un texte fort intéressant sur ce point dans Le Vent se Lève[10]. Il montre comment, autour de ce débat, se recompose l’affrontement entre la gauche traditionnelle et ce que l’on a appelé la « deuxième » gauche, et qui n’est que la « gauche américaine », une gauche qui pense la société comme une fédération de communautés. Sans entrer dans le fond du débat, une observation s’impose : toutes les luttes, sociales et sociétales, ont une égale importance d’un point de vue éthique. On peut se sentir également révolté quand on voit à un point de blocage des Gilets Jaunes des gens qui gagnent moins qu’un SMIC se faire agresser par des CRS que quand on apprend que des homosexuels ont été agressés dans la rue. Mais, il convient de ne pas confondre l’éthique et la politique.
La question se pose, quand on raisonne en politique, de quelles sont les revendications autour desquelles on pourra réunir le plus grand nombre afin de faire reculer un pouvoir qui s’attaque et aux plus démunis et aux plus faibles. Dès que l’on raisonne ainsi, on comprend que tactiquement une hiérarchisation des luttes est nécessaire, et que cette hiérarchisation dépend du contexte politique du moment comme elle dépend aussi de la capacité de certaines à plus unir que d’autres le plus grand nombre.

L’indigne, mais révélatrice, réaction de Mélenchon

Il faut alors en venir à la manière dont Jean-Luc Mélenchon a réagi à ces problèmes, et force nous est d’écrire que sa réaction est très révélatrice. Le texte qu’il a publié le jeudi 29 novembre se présente comme une nouvelle réaction à une campagne de presse contre la France Insoumise[11]. On le sait, et on le vit tous les jours, la presse n’est pas neutre, et elle est – souvent – aux ordres. La polémique qu’il mène contre des journalistes du Monde est assez classique, et tout à fait justifié. Mais, il associe alors cette polémique avec le traitement des personnes qui ont quitté la FI en des termes qui s’ils ne sont pas acceptables sont surtout hautement révélateurs d’un état d’esprit et d’habitudes politiques absolument inacceptables. Il écrit ainsi : « Trois personnes qui se sentaient mal placées sur la liste ont d’abord démissionné avec fracas. L’une l’a même fait publiquement à trois reprises en mai, puis en juin et septembre pour que nul n’en ignore et que Libération lui accorde la page de lamentations sans laquelle une vie politique ne peut s’accomplir. Deux autres ont bientôt ajouté leur explosion personnelle. Elles ont d’abord intrigué, provoqué tout le monde avec des mots totalement déplacés, cherché des histoires là où il n’y en avait pas et même des divergences de lignes à front renversé au point de se rendre assez odieux pour que plus personnes ne les supporte. C’est d’ailleurs la caractéristique commune de ces cinq personnes: un ego boursouflé. Il leur rend insupportable de ne pas être dans les cinq ou les dix premiers de la liste européenne au mépris le plus total de ceux et celles qui ont été choisis à leur place pour être à ces positions ».
Ce qui est inacceptable, c’est tout d’abord la pratique de l’amalgame. Rien ne vient lier les cas de Djordje Kuzmanovic et François Cocq à ceux des personnes écartées au printemps dernier. Les problèmes posés sont profondément différents. On croirait, là, lire l’Humanité du temps de « l’affaire Marty-Tillon » ou de l’affaire « Servin-Casanova ». Jean-Luc Mélenchon a trop d’expérience politique pour ne pas savoir ce qu’il fait, et ce qu’il a fait est ignoble. De même, vouloir mettre sur un plan de comportement personnel ce qui relève d’un désaccord quant aux pratiques et à la ligne politique n’est pas moins ignoble. Enfin, associer dans le même texte une réponse à des attaques de la presse, réponse sur laquelle on lui donne raison, et le traitement de divergences politiques au sein de la France Insoumise est tout autant ignoble. Mais, c’est aussi la marque de fabrique classique du stalinisme. Aujourd’hui on vous accuse d’avoir un « égo boursouflé », demain on vous accusera d’être au service du Capital et de Macron, en disant que, si la presse aux ordres se sert de votre cas, vous servez « objectivement » son projet. Il ne manquera plus que l’accusation d’être une vipère lubrique ou une hyène dactylographe…
L’ignoble s’associe au mensonge : « Ici ou là on évoque même le « repli » sur soi d’une liste qui comporte pourtant 19 personnes extérieures au mouvement. Mais le caractère « anti-démocratique » est la punchline du rubricard fatigué. Aucune vérification de ce fait n’étant accompli, la phrase revient en boucle ». Que Mélenchon feigne de ne pas comprendre que l’accusation de « repli », vraie ou fausse, n’est nullement motivée par les personnes présentes sur la liste mais renvoie à des débats internes et à des prises de positions publiques, qu’il associe une interrogation – à tout le moins justifiée – quant aux procédures à une « punchline de rubricard fatigué » est éloquent. A bout d’arguments, à court d’idées, il se réfugie dans l’insulte gratuite, dans la pratique de dénigrement. Pourtant, et les images des différents voyages à l’étranger effectués à l’étranger par Jean-Luc Mélenchon le confirment, Djordje Kuzmanovic était bien un de ses proches, quelqu’un en qui il avait confiance. Pourtant, et je parle là d’une expérience personnelle, François Cocq était bien l’un des responsables de la partie « éducation » du programme de Mélenchon, et à ce titre il fut invité aux Etats-Généraux organisés par l’APHG (association des Professeurs d’Histoire et de Géographie).
Il n’y a pas un mot dans ce texte pour rappeler quelles furent les fonctions et les responsabilités de Djordje Kuzmanovic et de François Cocq. Ils ne sont même pas nommés. Dans ce texte, ils disparaissent, tout comme disparaissaient les opposants à Staline des photographies officielles avant qu’ils ne disparaissent physiquement. Mélenchon, s’il relit un jour son texte, devrait en éprouver une indicible honte. Car ce texte est non seulement politiquement odieux, mais il est moralement lâche. Cela détruit l’estime personnelle que l’on pouvait avoir pour lui, tout comme les pratiques au sein de la France Insoumise mettent en doute l’estime politique que l’on pouvait avoir pour ce mouvement.
Ce texte écrit par Mélenchon est lamentable, tant quant au fond que quand à la méthode. Il lui collera à la peau. Mais, ce texte est aussi tragique. Car, Jean-Luc Mélenchon fut, dans sa jeunesse, un militant trotskyste. Il est donc bien placé pour savoir tout le mal fait par les staliniens et par leurs pratiques. La tragédie, ici, est que les méthodes du bourreau sont devenues les méthodes de leurs anciennes victimes.
Jacques Sapir

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