· 

Laïcité : dans son école militante, la France insoumise revient à une ligne républicaine

Dans le contexte de crise interne qui agite la France insoumise (LFI), la moindre initiative devient un signal politique. Le cours donné par l'école de formation du mouvement le mardi 4 décembre était-il un nouveau virage significatif ? Il constitue en tout cas le dernier épisode d'une série d'indications contradictoires envoyées par LFI sur l'enjeu de la laïcité. Et diffuse un message d'une tonalité fort différente de celle des dernières semaines.

Les communautaristes ont le vent en poupe

A l'origine, le mouvement issu du Parti de gauche s'est avancé avec une ligne résolument républicaine et sans ambiguïté : le programme L'avenir en commun met en avant des propositions "à l'offensive sur la laïcité" couplées à une volonté de "combattre tous les communautarismes et l'utilisation politique des religions". C'est cette ligne qu'a porté avec conviction Jean-Luc Mélenchon durant la campagne présidentielle de 2017. Mais LFI, mouvement "gazeux" qui agrège plusieurs formations et personnalités politiques d'horizons divers, compte également des partisans d'une vision fort différente de la laïcité. La figure la plus identifiée est Danièle Obono : proche de certains membres du Parti des indigènes de la République (PIR), la députée de Paris est opposée à la loi de 2004 sur l'interdiction du port de signes religieux à l'école. Dans le média anglais Counterfire, elle a écrit que depuis 20 ans, "le concept de laïcité inscrit dans la Constitution et la loi de 1905 ont principalement été utilisés contre les musulmans". Le mouvement Ensemble, affilié à LFI (la députée Clémentine Autain en est membre), se dit lui favorable à l'abrogation de la loi de 2004. Bref, si la ligne laïque a le dessus en matière de programme à LFI, plusieurs cadres défendent des convictions à l'opposé.

De surcroît, les dernières semaines ont indiqué que la voix du camp communautariste portait davantage à LFI que durant la présidentielle. Un groupe de militants du 18e arrondissement de Paris, en pointe sur les sujets de laïcité a ainsi été exclu de la plateforme numérique de la France insoumise pour avoir organisé une réunion sur l'entrisme islamiste dans le milieu syndical. Dans leur courrier adressé à Jean-Luc Mélenchon et Manuel Bompard, les membres du groupe dénoncent "la complaisance de la direction de la FI avec [des] groupes islamistes". Peu après leur exclusion, c'était au tour des cadres Djordje Kuzmanovic et François Cocq, aux positions notoirement laïques, d'être écartés de la liste LFI aux européennes. Le premier a pris la décision de quitter définitivement le mouvement. Dans une tribune à Marianne, il dénonce les choix stratégiques de LFI qui ont d'après lui laissé "s’installer une approche quasi communautariste, proche du modèle anglo-saxon et profondément contraire au républicanisme français".

Sale temps pour les laïques, donc… Voire. Car le dernier cours de l'école de la formation de LFI, mis en ligne le mardi 4 décembre, constitue un coup de barre dans la direction laïque. L'école de la formation de LFI est un ensemble de vidéos, supervisé par Thomas Guénolé, "politologue insoumis", destiné à développer la culture politique des militants et à leur donner des arguments pour débattre. Mais elle est aussi un rappel des positions défendues par la France insoumise. Le choix des intervenants pour porter la parole officielle du mouvement n'est donc pas anodin.


Les thèses antilaïques méthodiquement démontées

Pour le neuvième cours, intitulé "Vive la laïcité", LFI a choisi de mettre en avant deux personnalités : Elliott Aubin, adjoint Insoumis à la mairie du 1er arrondissement de Lyon, ayant participé à la rédaction du chapitre laïcité du programme, est identifié comme comme un des défenseurs de la ligne républicaine au sein du mouvement. Surtout, l'essentiel du cours est effectué par Henri Peña-Ruiz, philosophe et écrivain, auteur du Dictionnaire amoureux de la laïcité - et par ailleurs contributeur hebdomadaire à Marianne. Pendant plus d'une heure, l'intellectuel s'est livré à une ardente défense de la laïcité mais s'est aussi employé à répondre à tous les arguments prononcés à son encontre… notamment à gauche, et à l'intérieur-même de LFI.

<br />

Combat contre une "collusion du religieux et du politique mortifère pour les libertés, mortifère pour l'égalité des êtres humains", défense de la liberté de conscience, de l'égalité des droits, interdiction de "tout privilège pour les religions, l'athéisme ou l'agnosticisme" : le début du cours fait dans le classique, et rappelle les bases du principe de laïcité. Mais très vite Henri Peña-Ruiz s'attaque à quelques "contre-sens" et "malentendus" colportés au sujet de la laïcité, n'hésitant pas à taper fort contre plusieurs thèses défendues dans le camp communautariste.

Première clarification, sur la notion d'islamophobie, très utilisée à gauche, que Peña-Ruiz s'emploie à démonter avec méthode : "Le mot islamophobie ne recouvre pas un délit, il recouvre, étymologiquement, le rejet de l'islam (...). Ce n'est pas un délit. Des croyants vont rejeter l'athéisme, on ne va pas les accuser de racisme pour ça. Il ne faut pas, comme le regrettait Charb, confondre le rejet d'une religion avec le racisme. Utilisons le terme racisme anti-musulman, ce sera clair, univoque, et non pas le mot 'islamophobie' qui est équivoque. Le racisme s'en prend aux personnes, pas aux doctrines. Il est invraisemblable qu'un obscurantisme ait pu faire passer le rejet d'une religion pour un acte de racisme." Un discours laïque offensif, inhabituel dans les rangs de LFI. L'auteur du Dictionnaire amoureux de la laïcité n'hésite d'ailleurs pas à livrer une position claire concernant le port du voile : "Les femmes qui veulent aller tête nue dans la rue pour montrer leurs cheveux et éventuellement séduire n'ont pas à être considérées a priori comme séductrices." En choisissant d'insister sur la pression exercée sur les femmes pour les forcer à se voiler, le philosophe se place aux antipodes de la rhétorique en vogue chez une bonne partie de la gauche, uniquement centrée sur la défense du hijab.

Deuxième mise au point d'importance : la loi de 2004 sur les signes religieux à l'école, ouvertement critiquée au sein de LFI et accusée par certains d'être une loi anti-musulmans. "Si on la lit bien, au lieu d'en dire n'importe quoi, on voit qu'elle concerne aussi bien la kippa, la croix charismatique que le voile. Alors qu'on arrête de dire que c'est une loi raciste et anti religieuse", cingle le philosophe. "D'autre part les enfants qui sont dans le processus éducatif ne sont pas encore maîtres de leur jugement, donc il est légitime qu'on les protège du prosélytisme religieux ou d'en faire des étendards d'une religion particulière." Ce sujet donne l'occasion à Peña-Ruiz de rappeler que "ce n'est pas parce que la laïcité pose des règles, des limites, et qu'elle distingue des lieux pour la neutralité vestimentaire qu'elle est anti-religieuse."

Piques à Danièle Obono et Ensemble

Suite de l'inventaire du philosophe, bien décidé à démolir une à une les théories du courant "décolonial" : l'assimilation du régime laïc républicain à un "racisme d'Etat". Un rapprochement que Peña-Ruiz juge "insensé", "invraisemblable". "La laïcité a été conquise à rebours de la tradition cléricale, catholico-centrée de l'Ancien Régime. Donc ce n'est pas un produit culturel qui serait propre à la culture de la France, comme certains le disent. (...) Les personnes qui disent cela et qui se prétendent par ailleurs progressistes devraient un petit peu réviser leurs concepts, et s'interroger sur ce qu'ils ou elles disent".

Tout le vocabulaire de la gauche racialiste y passe. La pratique de la non-mixité ? "Je suis très surpris que des gens progressistes parlent de commissions non-mixtes racialement. Utiliser le concept de races à propos des êtres humaines est complètement aberrant." La défense des "racisés" et la dénonciation d'une République universaliste "coloniale" ? "Cet universalisme qui est banni par certains au nom d'une identité culturelle 'racisée', il faut le défendre. Il n'a rien à voir avec le pseudo-universel colonialiste. Ce n'est pas parce que l'universel a été usurpé par les colonialistes qu'il serait colonialiste par essence." De quoi faire sérieusement tiquer Danièle Obono…

Lors de sa leçon, Henri Peña Ruiz s'en prend d'ailleurs frontalement à l'un des maîtres à penser de la gauche communautariste en matière de laïcité : Jean Baubérot, historien et sociologue défenseur d'une "laïcité inclusive". "Arrêtons avec l'idée qu'il y a plusieurs laïcités", peste de son côté Peña-Ruiz. "Quand je lis un livre qui s'appelle 'Les sept laïcités françaises' (écrit par Jean Baubérot, ndlr), je me précipite sur ce livre et je lis 'laïcité concordataire' : c'est un cercle carré (...). Quand on ajoute des adjectifs, quand on va chercher plusieurs laïcités, le but est toujours le même : invalider, relativiser un idéal." Dans un entretien à la revue Ballast accordé l'an dernier, Danièle Obono déclarait justement "préférer Jean Baubérot à Henri Peña-Ruiz", mais c'est au second que la France insoumise a décidé de donner tribune pour enseigner la laïcité à ses militants. Le signe que, malgré plusieurs signaux alarmants et une division interne évidente, le camp républicain n'a pas encore dit son dernier mot au sein du mouvement populiste de gauche.

Écrire commentaire

Commentaires: 0