Un exercice étrange. On croise la route de Juliette Prados depuis quatre ans et à chaque fois, elle nous parle des autres, principalement de Jean-Luc Mélenchon. Femme de l’ombre, l’attachée de presse du député des Bouches-du-Rhône a hésité un moment avant d’accepter le petit jeu du portrait. Elle a imposé ses conditions : un premier rendez-vous sans cahier ni stylo afin de prendre la température ; un second plus officiel qui laisse la porte ouverte à toutes les interrogations.

Juliette Prados milite au côté de Jean-Luc Mélenchon depuis 2006. Comme lui, elle a quitté le Parti socialiste après y avoir cotisé quelques années. «Je n’étais plus en adéquation», dit-elle simplement. A l’époque, elle turbine dans l’événementiel culturel, les festivals surtout. En septembre 2012, le tribun est à la recherche d’une attachée de presse et elle d’un nouveau job : un ami en commun glisse son nom. L’aventure avec «Jean-Luc» commence. Depuis, elle n’a pas regretté. «J’ai toujours aimé travailler dans l’urgence et avec des gens que j’admire.» Vu d’ici, pas simple de gérer les relations presse du leader de La France insoumise (LFI). L’ancien socialiste entretient des rapports électriques avec la plupart des médias. Tensions et clashs à foison. Juliette Prados se voit comme une «courroie de transmission». Toujours «partante» pour discuter avec les journalistes : «Je suis en réflexion permanente. Je n’arrive pas à me faire à l’idée qu’un buzz lancé par l’extrême droite sur les réseaux sociaux devienne une info.»

Après l’agression d’un journaliste de BFM - un gilet jaune lui a envoyé un œuf en direct -, elle a publié un texte sur Facebook. Elle déplore l’évolution du job des journalistes. Selon elle, leur rôle «n’est plus d’informer mais de filmer en permanence jusqu’à capturer le moindre incident». Des phrases qui ressemblent à celles de son chef. «Un combat pour une info de qualité ne se mène pas à coups de jets d’œufs, mais à coups de décryptage, de réflexion, d’exigence», écrit-elle un peu plus loin. Pas un mot sur les sorties à répétition de Mélenchon sur son blog, qui peuvent en aiguiller certains vers la violence. Lorsqu’on croise l’insoumise dans les travées du Palais-Bourbon, ou dans les différents événements organisés par le mouvement, elle se fait discrète. Toujours en retrait. Parle à voix basse. Sa collègue et amie Elisa Mammar avance : «Elle ne panique jamais au boulot, même dans les moments chauds. Et elle prend toujours la défense des autres. Quand elle voit une personne en difficulté, elle intervient. Juliette ne laisse jamais tomber personne.» Le député du Nord Adrien Quatennens nous écrit : «Juliette est notre bonne fée à tous, un pilier. Toujours présente, jamais de mauvaise humeur. Même quand elle l’est, elle le cache bien.» Dans l’univers de La France insoumise, on ne trouve personne pour lui glisser une peau de banane. En dehors du cercle, son amie Liliane Roudière, cofondatrice du magazine féministe Causette, raconte une femme qui «rit sans bruit, qui met ses mains devant la bouche et secoue les épaules. Lorsqu’on se retrouve, c’est un sas de décompression. Elle ne parle pas de Mélenchon, et elle ne fait pas de prosélytisme pour La France insoumise.»

On retrouve Juliette Prados, 47 ans, à Montreuil, au Bar du marché, un nid à bobos de la Croix-de-Chavaux. Clope(s), café. Elle vit ici depuis l’an 2000. Hésitante au départ. La grande blonde a toujours habité près d’espaces verts et de points d’eau, propices aux grandes balades. «Après une journée à Montreuil, j’ai compris que je ne bougerais plus d’ici», sourit-elle, aujourd’hui. Un coup de foudre. Elle aime l’ambiance, les bars, les activités culturelles et la politique locale. Durant quelques mois, elle a occupé le poste de conseillère municipale, dans l’«opposition», avant de démissionner pour rejoindre l’aventure Mélenchon. L’attachée de presse, qui ne souhaite pas donner son salaire, ne s’imagine plus revenir sur le devant de la scène. Elle préfère les «coulisses» à la lumière.

La Montreuilloise a grandi dans les Yvelines, à Marly-le-Roi, entourée de sa petite sœur, d’un père ingénieur et d’une mère instit. Une enfance «idyllique». Des parents qui s’aiment, des vacances à la mer et des pique-niques en forêt.

La famille roule à gauche depuis des lustres. Juliette Prados garde en mémoire la victoire de Mitterrand et les larmes des parents de sa copine Corinne qui avaient la trouille de voir les chars débouler sur les Champs-Elysées. A l’école, elle cartonne jusqu’en troisième. Puis, l’adolescente s’émancipe à sa manière. Elle sèche les cours, «enchaîne les conneries», tire sur ses premières cigarettes et décroche le bac en deux fois. Après deux ans en lettres modernes, elle se marie à l’âge de 21 ans et devient la mère de Milan, quatre ans plus tard. «J’ai tout fait plus vite que les autres», se marre-t-elle. Divorcée, elle est toujours en «très bon» contact avec son ancien époux et entretient des liens forts avec son seul enfant.

«Je ne crois pas en Dieu, mais j’ai des formules magiques pour le protéger, pour veiller sur lui», livre-t-elle. Elle pourrait parler de son fils, qui travaille dans le cinéma, à l’infini. «Milan a un très fort caractère, déjà tout petit il me disait : "Maman, on ne peut pas être amis avec tout le monde !"» Après avoir mis un bulletin pour «Jean-Luc», il s’est abstenu alors qu’elle a voté Macron au second tour.

Elle argumente à sa place : «Il est beaucoup plus radical que moi dans la lutte contre le fascisme, mais voter Macron ne règle pas le problème du FN. Le coup de sparadrap entre les deux tours ne résoudra pas le problème. La preuve, elle est toujours présente, l’autre.» Juliette Prados ne s’épuise pas dans la politique. Elle respire ailleurs, s’octroie «une réserve de vie à côté du boulot», comme dirait son amie Liliane Roudière. Petite, elle faisait du théâtre, «une bonne chose pour combattre ma timidité, mais je n’étais pas faite pour être comédienne». Elle a déjà prêté sa voix à une grande enseigne et à une entreprise pour dire : «Merci de taper sur la touche étoile de votre téléphone.» Son truc, c’est l’écriture et le chant. Elle boucle son premier roman et griffonne des chansons depuis l’adolescence. Fan de Renaud, la chanteuse a monté plusieurs groupes. Le dernier en date, Les Insousols, avec Elisa Mammar (chant), Adrien Quatennens (batterie) et Milan (basse). Ils répètent toutes les semaines à Montreuil, dans le studio de son ex-mari. On a déjà assisté à un de leurs concerts. Le groupe reprend sur scène des classiques (Bashung, Blondie, Joan Baez, Gainsbourg ou Nirvana) et donnera un spectacle le 17 décembre au Supersonic, à Paris. Juliette Prados sera, pour une fois, au centre de la scène.

Source : Libération