· 

François Ruffin est-il devenu un danger pour la République ?

Atlantico : Les propos très durs de François Ruffin sur Emmanuel Macron, notamment sur le président qui "va terminer comme Kennedy", selon les mots d'un "gilet jaune" qu'il avait relayés, amènent à se demander s'il est toujours un démocrate. Est-ce le cas, selon vous ? L'a-t-il déjà été ? Il y a-t-il ici un plus grand danger pour la République que le FN (ex-RN) depuis sa création ?

 

Jean-Philippe Moinet : Oui, on peut se demander si François Ruffin reste un vrai démocrate et jusqu’où sa dérive populiste va le pousser, en terme de violence verbale, d’irresponsabilité publique et d’extrémisme idéologique. Le même député FI de la Somme vient de rendre hommage à un « gilet jaune », Etienne Chouard, réputé depuis des années pour ses thèses quasi-complotistes, les applaudissements qu’il a pu enregistrer dans la mouvance du négationniste et antisémite notoire Alain Soral. Comme l’a très bien dit le Président de la Licra, Mario Stasi, dans un tout récent texte d’interpellation, le député François Ruffin ne peut pas ne pas connaître les thèses de ce personnage sulfureux qu’il vient d’ostensiblement montrer en exemple.
 
Je pense que François Ruffin, comme cela a malheureusement été le cas tragiquement dans l’histoire, est de cette gauche radicale et de ces esprits faibles, qui peuvent sombrer dans une forme d’aveuglement dérivant vers le fachisme. Depuis quelques semaines, on a vu ce député « France Insoumise » se soumettre avec une certaine délectation mortifère aux éructations des plus radicaux des « gilets jaunes », dont il prétend porter la parole. Sa sortie surréaliste, seul sur les Champs Elysées, appelant à la démission du Président de la République et surtout colportant des propos d’une violence haineuse inouïe, n’est évidemment pas passée inaperçue, y compris à gauche. Au sein même de son groupe parlementaire, certains y ont vu une dérive solitaire qui fleurait l’opportunisme le plus cynique, un positionnement radicalisé qui a sans doute pour objectif de chercher à déborder Jean-Luc Mélenchon sur son extrême gauche, en vue de contester son leadership sur ce mouvement d’ici la présidentielle de 2022.
 
Quoi qu’il en soit des pensées et des arrière-pensées de ce personnage sulfureux, qui devrait rejoindre l’extrême gauche (ou l’extrême droite) pour être en cohérence avec ses postures politiques et ses connivences idéologiques, François Ruffin a clairement dépassé les bornes, il met en danger, par ses propos et ses amitiés affichées, l’esprit de la République. Je pense que les responsables de son groupe parlementaire et, plus largement, les responsables de l’Assemblée Nationale – des autres groupes et de l’institution elle-même, que préside Richard Ferrand - devraient rapidement en tirer les conséquences et, au moins au à titre d’avertissement, l’exclure des temps de parole octroyés dans l’hémicycle aux élus de la Nation. Ce ne serait pas faire acte d’ostracisme, encore moins de censure, mais simplement faire preuve de vigilance, d’intransigeance et de précaution pour l’avenir, vis-à-vis d’un député qui se complaît à honorer désormais un tenant de thèses nauséabondes et complotistes, qui doivent être strictement exclues d’un débat démocratique digne de ce nom.  Les responsables des différents groupes, y compris du sien, auront-ils ce courage ? La question est posée.

 

Au regard, notamment, de la réaction de Jean-Luc Mélenchon lors des perquisitions au siège de La France insoumise, à la mi-octobre, peut-on élargir ce danger à La France insoumise ?

 

Jean-Philippe Moinet : La France insoumise est un mouvement qui connaît quelques porosités, qui ne datent pas d’hier, avec des thèses contraires à l’esprit de la République. Thèses des « indigènes de la République » ou dites « décoloniales », qui visent à racialiser le débat public, à catégoriser les citoyens en fonction de leurs origines ethniques. Certains députés FI sont en prise directe avec cette tendance qui, tout en prétendant s’opposer à l’extrême droite lepéniste, rentre de fait dans un trouble jeu racialiste, où  les « identitaires » de l’ultra-droite trouvent naturellement leur compte. On voit bien une alliance objective s’organiser, qui met à mal l’esprit et le droit républicain.
 
La réaction de Jean-Luc Mélenchon lors des perquisitions du siège de son parti est d’un autre ordre mais elle est aussi problématique quant au respect des règles de la démocratie et de l’Etat de droit. La violence de sa réaction - « la République, c’est moi ! », renvoie à une conception autoritaire et hyper-personnalisée du pouvoir, de type robespierriste. La violence n’est pas loin. Et sa critique radicale des contre-pouvoirs, justice, police, mais aussi médias, révélée au grand public par cette séquence, démontre une culture politique qui a plus à voir avec l’autocratie qu’avec la démocratie. Son admiration de la Russie de Poutine est d’ailleurs une autre net penchant de Jean-Luc Mélenchon, qui le rapproche de Marine Le Pen.

 

Pourquoi un parti d'extrême gauche - dont les élus appellent quasiment au meurtre du président -, sont-ils moins marginalisés, pointés du doigt, lorsqu'ils dérapent, qu'un parti d'extrême droite ?

 

Jean-Philippe Moinet : C’est en effet un problème : sous prétexte de partager toutes «les souffrances sociales » du monde, les dérapages idéologiques ou comportementaux d’une partie de la gauche radicale – et le cas de François Ruffin est, au sens étymologique, exemplaire – suscitent parfois d’étranges bienveillances, ou en tout cas des circonstances atténuantes, qui ne devraient en aucun cas avoir lieu d’être. Dériver vers des violences verbales, qui peuvent cautionner et même amplifier des violences physiques, devrait se voir opposer des condamnations fermes et intransigeantes, quelle que soit l’étiquette de l’auteur de ces dérives, et quel que soit l’argument invoqué. Les périodes de tensions sociales que la France vient de traverser a révélé les complaisances de certains politiques qui, en dehors de tout esprit de responsabilité – qui doit amener tout élu de la République à écarter les risques de violences déchaînées – en ont rajouté dans la radicalité, populiste et comportementale.
 
François Ruffin a incarné une dérive, avec la même inconscience –ou le même cynisme- et peut-être le même calcul, par exemple qu’un Nicolas Dupont-Aignan qui a manifestement cherché depuis des semaines à récupérer les virulences des « gilets jaunes », en espérant déborder Marine Le Pen sur son extrême droite national-populiste et ramasser une mise sur le plan électoral. Ces calculs et ces comportements sont dans les deux cas totalement –et visiblement- irresponsables. Ils participent d’opérations politiques à très courte vue. La recherche, par de telles méthodes, d’une adhésion populaire est assez pathétique, là encore au sens étymologique d’un pathos, elle renvoie à une logique, qu’on a vue dans certaines périodes de l’histoire où des repères et des personnes ont pu sombrer, où les extrêmes peuvent se rejoindre pour s’en prendre aux fondements de la démocratie et de la République. Ces deux personnages sont certes encore marginaux. Mais leurs tentations sont bien perceptibles. Elles constituent un vrai danger qui, quand il vient de la gauche radicale, ne doit en rien être sous-estimé, encore moins excusé. 

Écrire commentaire

Commentaires: 0