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Reportage Grand débat : «Tu crois qu’ils vont nous écouter ?»

Jour de marché, à Denain (Nord). Ce matin, les affaires commencent dans l’une des villes les plus pauvres de France. Au détour d’une allée, Marlène, 40 ans, rit avec une amie. Le lancement du débat national ne les intéresse pas. «Que faire de plus de toute façon ? interroge Marlène. Macron a quand même bougé.» Il n’y a pas foule jeudi. Les files s’étirent surtout devant les étals de fruits et légumes. Jacques, 70 ans, et Monique, 59 ans, achètent des poireaux à Christian, un producteur du coin. Ce débat, ça ne les fait pas plus réagir que ça. Jacques, ancien ouvrier sidérurgiste, s’épanche plutôt sur «le billet de 50 euros» avec lequel «on ne fait plus rien» et sa retraite récemment augmentée : deux euros de plus par mois. «Avec ça, on ne pas va être riches», raille Monique.

Selon Anne-Lise Dufour-Tonini, la maire socialiste de la ville, le chômage dans sa ville se situe «entre 25% et 30%». Depuis le 3 janvier, un classeur de doléances ouvert aux 19 900 habitants du coin a été installé dans l’hôtel de ville. A peine dix-sept messages laissés en sept jours. Tous parlent d’argent. «Nous voulons un avenir meilleur pour nos enfants : moins de taxes et plus de pouvoir d’achat», écrit une mère de quatre enfants. «Je veux mieux vivre», note un certain «Papy». «Avant ça, quatre, cinq concitoyens sont venus avec des courriers en me disant "Madame le maire, comment je peux envoyer ça au Président ?"», raconte Anne-Lise Dufour-Tonini. Ces lettres sont aussi dans le classeur. La maire socialiste transmettra tout.

«Je ne crois que ce que je vois»

Il y a deux ans l’élue réclamait elle-même «un plan Marshall» pour lutter contre le poison des marchands de sommeil et une délinquance devenue ingérable. Depuis, dans cette ville encore meurtrie par la perte de ses usines, des maisons ont été rasées. Des résidences neuves sortent de terre. Sur le marché, Annie, 72 ans, papote avec Christelle, 52 ans, une voisine de Douchy-les-Mines, à cinq kilomètres. Alors, ce débat national ? «Tu crois qu’ils vont nous écouter ?», demande la retraitée. Christelle, employée de mairie en arrêt de travail, fait non de la tête. «Je ne crois plus en la politique, se résigne Annie. Ils font toujours ce qu’ils veulent.»

A Denain, jeudi.

Dans une autre allée, Jennifer, 31 ans, un gilet jaune agent d’usinage en intérim, se réjouit du lancement de ce débat, sans trop d’espoirs : «J’ai l’impression qu’on nous écoute mais qu’il y a zéro changement. Et moi, je ne crois que ce que je vois.» Elle gagne 1 200 euros par mois. Son compagnon, également intérimaire dans l’usinage, touche le Smic. «Là, tout ce que je vois, c’est qu’on galère. On est payés le 12, trois jours après, on a les factures et puis après, il ne nous reste plus rien», dit-elle.

«Poudre aux yeux»

A l’accueil de la mairie, Didier, 62 ans, ignore le classeur de doléances. Il règle de la paperasse. Cet infirmier libéral, en arrêt maladie depuis trois ans, estime que «c’est de la poudre aux yeux pour gagner du temps». Il se dit de gauche mais perdu : «Des débats, il y en a eu à gauche, à droite. J’ai toujours été déçu.» S’il était certain de se faire entendre, il écrirait : «Les gens qui travaillent n’ont plus les moyens de se projeter dans l’avenir pour acheter une maison, payer des études à leurs enfants. Ce n’est pas normal.»

Le débat «ne va rien changer» pense aussi Chouaib. Cet étudiant infirmier de 23 ans bosse ses cours dans le silence de la médiathèque municipale, avec Mohamed, même études, même âge. Avec le métier qu’ils apprennent en Belgique, ils veulent vivre en Suisse, où ils espèrent gagner jusqu’à 6 000 euros par mois. «Macron veut nous endormir jusqu’à la fin de son mandat, analyse Chouaib, rieur. C’est un banquier, il sait comment faire. Il est trop intelligent. Quand tu vas à la banque, ils savent te parler, ils ont réponse à tout. Et à la fin, toi, il te reste que des charges.»

Source : Libération

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