· 

En secret, la France et l’Inde veulent construire la plus grande centrale nucléaire du monde

 

Cette tribune est une déclaration commune du réseau Sortir du nucléaire (France), de DiaNuke.org (Inde) et Jan Hakka Seva Samiti (Inde).


Le projet de construire la plus grosse centrale nucléaire au monde à Jaitapur, sur la côte ouest de l’Inde, depuis longtemps en discussion, est maintenant engagé dans une étape décisive. Électricité de France (EDF) a fait une proposition technico-commerciale en décembre dernier à son homologue indien, le NPCIL (Nuclear Power Corporation of India Limited). Cette négociation vise à fixer le prix pour les six EPR (European Pressurised Reactors) proposés, en précisant le rôle des diverses entités impliquées dans le projet de construction ainsi que les niveaux de responsabilité des deux parties si des accidents devaient se produire à l’avenir.

Il est déplorable que les deux gouvernements impliqués aient choisi de garder le secret le plus total concernant ces négociations cruciales, tout en multipliant les déclarations sur l’imminence de la signature du contrat et du début des travaux de construction. Nous, groupes de citoyens préoccupés par ce projet, demandons que l’offre faite par EDF au NPCIL soit rendue publique immédiatement. Étant donné que la sécurité et la vie de millions de personnes sont en jeu, ainsi que d’énormes investissements d’argent public, nous exigeons que l’ensemble de la négociation se fasse avec toute la transparence et la responsabilité qu’elle mérite.

Les nouvelles questions de sécurité et de réglementation ne peuvent être repoussées d’un revers de mai

Avant d’avancer dans ces négociations, voici quelques préoccupations majeures à prendre en considération :

• Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis l’annonce du projet de Jaitapur en 2008. La catastrophe de Fukushima en 2011 a fait surgir de nouvelles questions de sécurité et de réglementation qui ne peuvent être repoussées d’un revers de main et doivent être prises en compte avec le plus grand sérieux.

• À la suite à la débâcle financière d’Areva, qui fut le premier porteur de ce projet, de nouvelles entités sont apparues et sont entrées dans le jeu sans aucune clarté sur leur rôle et leur responsabilité. À côté d’EDF pour la France et de General Electric pour les États-Unis, un certain nombre d’entreprises indiennes sont maintenant impliquées dans ce projet, sans avoir une quelconque expérience dans la construction de centrales nucléaires.

• Pendant cette même période, l’énergie nucléaire est devenue excessivement coûteuse et particulièrement non compétitive face aux alternatives reposant sur les énergies renouvelables. Un projet de la dimension de Jaitapur (six réacteurs EPR) ne pourra donc être envisageable sans un énorme apport de garanties et de subventions directes (et cachées) par le gouvernement indien. Une telle restructuration du projet ne peut se faire sans un large débat public cherchant à établir si un tel chantier mérite encore d’être réalisé dans un contexte maintenant très différent.

• De nombreux chercheurs indépendants et ex-politiciens indiens ont soulevé de sérieuses questions et réserves concernant la sécurité sur un site tel que celui de Jaitapur :

  • la faille sismique active découverte après l’annonce du projet ;
  • les réticences du gouvernement indien, depuis des années, à créer une autorité de sûreté nucléaire plus indépendante et plus forte telle que celle proposée depuis de longues années par le projet de loi sur la NSRA (Nuclear Safety Regulatory Authority) ;
  • l’absence de remise en cause de l’extension de l’autorisation environnementale qui avait été accordée en 2010 après une étude d’impact bâclée et une enquête publique frauduleuse ;
  • la nécessité d’avoir un audit approfondi sur les mesures d’urgence à envisager dans la région qui prenne en compte les impacts sociaux pour toutes les parties concernées.

• Notons que le « réacteur de référence » proposé par EDF pour Jaitapur est l’EPR de Flamanville en France, à propos duquel l’Autorité de sûreté nucléaire française a souvent soulevé des problèmes de vulnérabilité sur des composants clés du réacteur, tels que la cuve. De plus, ce projet EPR de Flamanville n’a cessé, depuis le début du chantier, de cumuler de nombreux surcoûts et retards.
 

Le gouvernement indien n’a su répondre que par la répression des voix dissidentes 

À la lumière de toutes les inquiétudes évoquées plus haut, nous demandons que les négociations entre l’Inde et la France sur ce projet de Jaitapur soient suspendues tant qu’une consultation publique ouverte et démocratique n’est pas mise en place pour débattre sur ce sujet, et ce, autant en Inde qu’en France.

Dès l’origine du projet, les habitants de Jaitapur, des militants, des écologistes et des experts indépendants ont soulevé des questions cruciales auxquelles le gouvernement indien n’a su répondre que par la répression des voix dissidentes, en allant jusqu’à tuer des manifestants désarmés.

On ne peut permettre aux gouvernements (indien et français) de poursuivre la réalisation d’un tel projet alors que tant de questions concernant la sécurité des personnes et bien d’autres préoccupations demeurent sans réponse et que les conditions et les circonstances sont de moins en moins favorables à la réalisation d’un tel projet.

Au vu de ces enjeux, nous réclamons avec force et urgence aux gouvernements concernés de mettre fin aux négociations et de renoncer à ce projet suicidaire qui consisterait à implanter la plus grande centrale nucléaire du monde (six réacteurs de 1.650 MW) dans l’environnement écologique fragile de la région de Konkan en Inde.

À la lumière de tous les points soulevés ci-dessus, nous réitérons notre opposition sans équivoque au projet insensé de centrale nucléaire à Jaitapur. Celui-ci représente une menace inacceptable pour les communautés locales, sur leur environnement, leur sécurité et leurs moyens d’existence. C’est pourquoi nous demandons que ce projet soit simplement abandonné.

source : reporterre

Écrire commentaire

Commentaires: 0