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La pêche électrique sera interdite en Europe en 2021

La fumée blanche s’est finalement élevée mercredi 13 février à 22 h passées, à Strasbourg. Après une longue et énième journée de discussion, les négociateurs représentant les trois institutions européennes (Parlement, Conseil et Commission) sont parvenus à un accord à propos de la pêche électrique : elle sera totalement interdite aux navires de pêche de l’Union européenne dans toutes les eaux qu’ils fréquentent, y compris en dehors de l’UE, au 30 juin 2021. Une « victoire » pour les pêcheurs artisans et les associations de défense de l’océan, dont l’ONG Bloom, en pointe de la mobilisation. Sur Twitter, l’eurodéputé insoumis Younous Omarjee a salué « une avancée historique ».

« En 2017, quand nous avons commencé à faire campagne au Parlement européen, tous les groupes politiques sauf un (la GUE/NGL) acceptaient le principe de la pêche électrique, les pêcheurs artisans n’avaient plus aucun espoir de la voir interdite et le débat portait même sur son extension massive en Europe », rappelle Claire Nouvian, fondatrice de Bloom, dans un communiqué. Il aura en effet fallu plus de deux ans de campagne, deux plaintes à la Commission européenne, une demande d’ouverture d’enquête européenne pour fraude, une saisine de la médiatrice européenne, des centaines de rendez-vous avec les représentations permanentes des États membres et les parlementaires à Bruxelles pour obtenir cette interdiction totale de la pêche électrique.

Cette méthode de pêche utilise l’électricité pour arracher les poissons du fond des mers et les faire remonter à la surface. Considérée comme dangereuse et cruelle, elle a été initialement interdite en Europe en 1998, en même temps que la pêche aux explosifs.

Sauf qu’en 2007, les Néerlandais ont obtenu des dérogations, « au prix d’un lobbying efficace et au prétexte de recherches d’innovation », selon Frédéric Le Manach, directeur scientifique de l’association Bloom, interrogé par Reporterre en 2017. La réglementation permet désormais à chaque État membre de l’Union européenne d’équiper en électrodes jusqu’à 5 % de sa flotte de chalutiers à perche.

Mais il semblerait que les Pays-Bas aient profité de cette brèche pour y engouffrer leurs chalutiers. À force de recherches, l’ONG s’est rendu compte que le pays avait accordé un nombre excessif de licences à ses navires : 84, contre les 15 maximum qui auraient dû être délivrées. Elle s’est aussi aperçue que le niveau du courant électrique utilisé ne correspondait pas aux réglementations : les navires néerlandais équipés de chaluts électriques employaient des tensions comprises entre 40 et 60 volts, alors que la loi les limite à 15 volts. Et, cerise sur le gâteau, toujours selon Bloom, cette pêche néerlandaise a tout de même bénéficié de subventions publiques, « de 5,7 millions d’euros depuis le 1er août 2015, dont 3,8 millions d’euros du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche ». Le 2 octobre 2017, Bloom a donc déposé une plainte auprès de la Commission européenne. C’est n’est qu’un an et demi plus tard, en février 2019, que la direction des pêches de la Commission européenne a annoncé son intention d’ouvrir « une procédure formelle d’infraction contre les Pays-Bas » pour non-respect du droit de l’Union européenne.

« En envoyant des décharges électriques dans les fonds marins, on électrocute forcément des larves ou des femelles pleines » 

En parallèle, l’association s’est lancée dans une campagne en faveur d’une interdiction totale de cette méthode de pêche. Car côté néerlandais, le lobby de la pêche électrique a poussé pour une évolution de la réglementation. Fin 2017, la Commission européenne a ainsi proposé de déclasser cette méthode de pêche électrique pour la déclarer conventionnelle. « Nous avons proposé de remplacer la limitation du nombre de licences de pêche au chalut en vigueur par une limitation géographique afin que cette technique de pêche soit limitée à la mer du Nord méridionale », précisait-elle alors.

Les pêcheurs du nord de la France subissent les conséquences désastreuses de la pêche électrique sur l’économie maritime locale.

Très remontée contre cette proposition, Bloom a fait de l’interdiction totale son nouveau cheval de bataille. Pétition, lobbying auprès d’eurodéputés, médiatisation, enquête, recours juridiques… l’association fait flèche de tout bois. « En Chine, ils ont été obligés d’arrêter cette pêche parce qu’ils se sont rendu compte qu’elle faisait trop de dégâts. Ils avaient davantage de bateaux équipés que nous n’en avons en Europe, mais en une dizaine d’années, la pratique a porté de graves dommages à leur stock de ressources marines, dit M. Le Manach. En envoyant des décharges électriques dans les fonds marins, on électrocute forcément des larves ou des femelles pleines, et ça ne peut pas ne pas avoir d’incidences sur la reproduction. Cette technique de pêche va accélérer l’épuisement des stocks de poissons. »

La pratique de la pêche électrique néerlandaise est également très contestée par les pêcheurs français du nord du pays et de Grande-Bretagne pour ses conséquences néfastes sur les écosystèmes marins : « Cette pêche tue tous les juvéniles. Les témoignages des bateaux français qui pêchent dans les mêmes eaux que les bateaux néerlandais entre 3 et 20 nautiques nous disent tous la même chose : il n’y a plus de petits poissons dans les eaux de la mer de Nord », témoignait le pêcheur et président du Comité des pêches du Nord-Pas-de-Calais/Picardie, Olivier Leprêtre, en 2014.

Concurrence déloyale 

Ainsi à plusieurs reprises, notamment en 2018, des pêcheurs ont bloqué plusieurs ports en Europe, aux Pays-Bas, en Belgique, en Allemagne, en Espagne, en France. Par ailleurs, les pêcheurs et les ONG ont lancé une plateforme d’action collective pour interpeller les décideurs : Stop Electric Fishing. Car, outre cet épuisement soupçonné des ressources qu’elle génère, la pêche électrique a aussi des conséquences néfastes sur l’artisanat de la pêche qu’elle concurrence déloyalement avec des moyens techniques hors de sa portée.

Côté Commission européenne, on a mis en avant « un nombre considérable d’avantages biologiques, écologiques et économiques de la pêche au chalut électrique par rapport à la pêche au chalut à perche traditionnel, du fait notamment des incidences négatives de cette dernière sur les fonds marins, et du niveau élevé de captures non désirées et d’émissions de CO2 qui lui sont associées », comme nous l’expliquait le commissaire européen aux Affaires maritimes et à la Pêche, le Maltais Karmenu Vella, en 2017. Quant au lobby de la pêche électrique, il a lui aussi multiplié les actions : plaintes, contre-expertises, rencontres avec des élus.

Pendant deux ans s’est donc déroulé un match tendu entre pro et anti-pêche électrique. Avec une première manche remportée en novembre 2017 par les « pro », quand les députés de la commission de la pêche du parlement européen ont voté un amendement permettant une extension de la pêche électrique en Europe. Puis une deuxième partie gagnée par les « anti » en janvier 2018, avec un vote massif, en assemblée plénière, des eurodéputés pour l’interdiction définitive de la pêche électrique.

Depuis, l’arbitrage final était suspendu à la décision du trilogue, un organe qui réunit le Parlement européen, le Conseil des ministres et la Commission européenne. L’accord finalement trouvé est le fruit d’un compromis, car les industriels néerlandais défendaient une période de transition de trois ans pour pouvoir continuer à électrocuter l’environnement marin jusqu’en 2022, tandis que Bloom et les pêcheurs artisans réclamaient une interdiction au 31 juillet 2019.

D’ici à 2021, les chalutiers déjà équipés en électricité pourront continuer à utiliser des dérogations dans la limite de 5 % des flottes de chalutiers à perche des États membres. Aucune nouvelle dérogation ne pourra être dispensée. Et la recherche scientifique sur cette technique de pêche devra être strictement encadrée. « Deux ans de transition, c’est bien trop long pour les pêcheurs artisans qui subissent depuis des années déjà la concurrence déloyale des navires industriels pêchant illégalement », alerte l’association, qui demande au gouvernement français d’agir : « La France doit interdire sans plus attendre la pêche électrique dans ses propres eaux pour que les navires néerlandais ne puissent plus pêcher sur nos côtes. Par ailleurs, il est indispensable que les institutions prévoient un plan d’urgence pour accompagner financièrement la pêche artisanale car elle n’a plus les moyens de résister. »

Source : reporterre

 

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