Eric Coquerel :DEPUIS LE SOMMET INTERNATIONALISTE DE STOCKHOLM // PLAN A/ PLAN B

Je rédige cette note depuis Stockholm. Ces 12 et 13 avril s’y tient en effet le 6ème sommet du plan B après Paris, Madrid, Rome, Copenhague et Lisbonne. Je n’en ai raté aucun, étant attaché à l’existence de ces sommets internationalistes. J’ai en effet appelé à leur création le premier dans une note de blog datée d’aout 2015 (Pour un Sommet internationaliste du Plan B).

Ce déplacement me donne ainsi l’occasion de revenir sur le Plan A / Plan B qui parait, actuellement, intéresser quelques médias. Plutôt que d’y lire certains extraits de mes citations sorties de leur contexte, je préfère verser ici une contribution à son histoire et à la raison d’être de cette méthode.

Le plan A/ plan B est en effet une méthode. Son objectif n’a jamais varié. Il est simple : comment rompre avec les actuels traités européens tout en s’efforçant de refonder un cadre de coopération entre les peuples européens tourné vers un progrès social, écologique et démocratique. La plan A/plan B est donc une méthode impliquant la rupture. Il réfute tout espoir de transformation lente de l’UE dans le cadre de traités libéraux, une illusion entretenue par les socio-démocrates, et leurs avatars, depuis les années 80, et qui a d’ailleurs causé leur perte.

Une parenthèse avant de poursuivre : à ceux qui disent qu’évoquer la sortie des traités, est déjà un danger irresponsable pour la construction européenne, je dirais que celle-ci se débrouille très bien pour se saborder seule. Ce grand marché n’est « libre et sans contrainte » que pour celles et ceux qui n’ont pas du mal à remplir leur frigo à la fin du mois. Pour ceux qui ne sont ni rentiers, ni actionnaires, le marché européen n’est rien d’autre qu’une mise en concurrence sauvage des peuples entre eux.. Comment s’étonner, dès lors, que les peuples la vivent toujours plus comme une camisole de force ? Les eurobéats nous vendent le Brexit comme la fin d’un film entre la Grande-Bretagne et le continent européen. C’en est pourtant le trailer. Si aucune force politique ne parvient à proposer un scénario qui consiste en autre chose que de contempler bêtement le Parlement Européen, le délitement de l’Union Européenne n’est pas un scénario : c’est une certitude.

Mais revenons à notre sujet.

L’objectif et la philosophie de cette méthode n’ont donc jamais changé. Les détails de son contenu ont eux, c’est vrai, sensiblement évolué depuis sa première théorisation au congrès du Parti de Gauche de juillet 2015. Comme toute méthode, elle s’adapte à l’épreuve des faits. Surtout lorsque celles et ceux qui la font vivre n’échafaudent pas des théories en vase clos mais au contraire confrontées aux évolutions de l’histoire et à la pratique dans l’action.

Ainsi, en juillet 2015, quand nous adoptons une résolution de congrès qui contient pour la première fois la méthode du plan A / plan B, le soir même nous sommes place de la République pour dire notre soutien à Alexis Tsipras. Ce dernier vient en effet d’organiser un référendum sur le mémorandum européen. Le non remporte une victoire écrasante. Pour nous, Tsipras vient de faire valider par le peuple grec sa résistance au chantage mis en place par l’UE et la Troïka depuis des mois. Comment imaginer que huit jours après, il capitulerait au point d’accepter le pire ?

C’est cet épisode qui m’a poussé à aller plus loin dans la définition du plan A / plan B. Le revirement de Tsipras, chef du premier gouvernement dans l’UE à se revendiquer de l’Autre gauche, nous a, en effet, laissé sonnés cet été-là. De ce triste épisode, il fallait donc rapidement tirer des leçons pour repartir de l’avant. C’est la raison pour laquelle je m’attelais début août 2015 à préciser cette méthode naissante.

Quel bilan, je tire alors de la crise grecque de juillet 2015. ? A l’entame des négociations sur le mémorandum grec, Merkel et Schauble, l’Allemagne dictant clairement ses conditions au reste des pays européens, avaient un plan B à opposer à la Grèce d’Alexis Tsipras en cas d’échec des négociations : le Grexit. Dehors la Grèce ! A l’inverse, Alexis Tsipras n’avait pas de plan B.
Non seulement il n’avait pas de plan B, mais au final, Alexis Tsípras n’était pas prêt à assumer un rapport de force aussi colossal. Il a passé 8 jours enfermé dans un bureau avec les représentants des secteurs les plus puissants du capitalisme et des Etats les plus riches de la planète. 8 jours durant lesquels une armée d’avocats, de financiers, de juristes l’ont mis à genoux parce que, sans plan précis, sa stratégie bégayait devant ses interlocuteurs.
La première leçon est claire : un gouvernement de rupture désireux de se donner à minima des marges de manœuvres vis-à-vis de l’UE ne peut entrer dans une négociation sans solution de recours, sans moyens de pression crédible, sans plan B. Deuxième leçon : on ne gouverne pas seul, on ne négocie jamais seul. Disposer d’un plan B, c’est disposer non seulement d’une orientation claire, mais c’est aussi avoir derrière soi toute une équipe qui a réfléchi, argumenté, expertisé, qui est montée en compétences pour être armée lorsque l’on descend dans la fosse aux lions. Qui permet de réfléchir vite et de prendre ses adversaires à revers. Quand on joue le sort d’un pays en quelques semaines , au mieux quelques mois, de négociation, ce n’est pas utile : c’est indispensable.
La troisième leçon, c’est que l’union européenne n’a pas effacé la géopolitique. Non seulement les États-nations y sont maintenus mais leur poids n’est pas égal. Laisser penser qu’il faut l’accord de tous les États-membres pour refonder les traités est une fable. Il a suffi que Berlin s’oppose à tout compromis avec la Grèce, et que Paris s’y soumette, pour qu’il échoue. Qu’importe ce qu’en pensait chacun des autres pays européens. Les dernières nuits de négociation, Tsipras ne s’est pas retrouvé autour d’une table avec les représentants des 27 autres États-membre ni même ce deux de l’Eurozone, mais avec les seuls Merkel, Hollande et Juncker. Manifestement la France aurait été en capacité de défendre d’autres intérêts en cherchant des alliés. Mais François Hollande a fait juste semblant de le vouloir. A l’époque, j’écrivais qu’il avait joué le rôle du « bon flic », amenant l’accusé à avouer.

Cela signifie aussi qu’il n’y a pas un plan B monolithique dans toute l’Europe, que pourraient brandir pareillement tous les pays de l’Union Européenne. Celui-ci dépend nécessairement du poids économique et politique de chaque pays et donc de ses moyens de pressions. Il est vraisemblable qu’un pays comme la Grèce (PIB égal à la région Ile-de-France) n’aurait pas eu d’autres solutions que de mettre dans la balance sa sortie de la zone euro et la décision unilatérale d’une cessation de paiement. Pour la France, 2ème puissance économique de l’UE, pays bientôt le plus peuplé, il en est tout autrement.

L’UE actuel ne peut en effet perdurer sans les deux pays majeurs qui la composent : l’Allemagne et la France. C’est pourquoi il est déraisonnable, et vraiment peu ambitieux, de dire que le plan B français pourrait correspondre au Frexit, soit la sortie unilatérale d’une France isolée. C’est nier les capacités d’entraînements de notre pays. C’est sous-estimer le rapport de force que nous serions capables d’imposer. En réalité dans le cas français, le plan A consisterait à transformer l’actuelle construction européenne avec les pays de l’UE. Le plan B, lui, consisterait à une nouvelle construction européenne avec les pays qui partageraient les ambitions et le modèle de coopération proposé par la France. Dans les deux cas il y aurait donc sortie et renégociation de traités. Si notre objectif premier, notre préférence, va à la réussite du plan A, il ne peut déboucher sans avoir en poche un plan B et le faire savoir. Dans les deux cas il s’agit de ne céder ni sur le mandat confié par les électeurs, ni sur la souveraineté du peuple dont le respect est préférable à tout.

Voilà la méthode. Le processus prévoit de combiner négociations et désobéissances immédiates aux actuels traités. Il faudra en effet désobéir immédiatement, dès la période du plan A, afin de conserver des marges de manœuvres et engager sans attendre notre programme de transformation. Cela nécessitera, par exemple, de dénoncer et de revenir sur les ouvertures à la concurrence des services publics, à rompre avec la règle d’or, à retrouver le contrôle de l’émission monétaire via la banque de France, à imposer un contrôle des transferts financiers. Ces mesures de désobéissance ne seront pas seulement nécessaires pour engager notre politique, elles seront également un atout dans nos négociations avec les autres États-membres, dont l’Allemagne, et enfin la preuve concrète donnée à ceux des peuples européens les plus victimes de l’austérité, notamment ceux du pourtour méditerranéen, qu’une autre politique, et donc une coopération européenne sur d’autres bases, sont possibles.

Notre vision du plan A / plan B est en effet fondamentalement internationaliste. Nous escomptons sur un effet d’entraînement vis-à-vis des peuples européens qui n’ont pas plus d’intérêt que la France à des politiques d’austérité, de libre échange, du tout marché et du productivisme. Voilà pourquoi dans cette note de blog j’enjoignais d’y travailler dès maintenant avec d’autres force en Europe. C’était l’objectif des sommets internationalistes du plan B inaugurés à Paris dès septembre 2015. C’est aujourd’hui aussi l’intérêt de l’alliance Maintenant le Peuple pour les élections européennes qui réunit des forces de transformation européennes bien décidées à rompre avec les actuels traités. Les mesures que s’engageront à défendre les candidat-e-s de cette alliance au parlement européen anticipent d’ailleurs les bases sur lesquelles nous engagerions la sortie et la renégociation des traités lorsque nous arriverons au pouvoir.

Dans le cadre de la campagne des élections Européennes, nous disons qu’on ne peut transformer l’UE dans la camisole des traités libéraux. Le plan A/plan B répond, on l’aura compris à la question : comment ?


Quelques-uns nous demandent pourquoi ne pas faire de cette méthode le fer de lance de notre campagne européenne ? Cela n’aurait pas de sens, ce serait se tromper d’élection. Il y a en effet beaucoup de bonnes raisons d’aller voter pour la liste conduite par Manon Aubry, ne serait-ce que d’’envoyer un commando de combat au parlement européen comme le sont les 17 député-e-es du groupe LFI à l’assemblée nationale française, mais nous ne ferons pas croire aux citoyens que c’est par le parlement européen qu’on transformera la construction européenne. C’est à partir d’un rapport de force engagé depuis le cadre national. La méthode du plan A / plan B ne prendra donc de sens que lorsque nous gouvernerons. C’est elle qui nous donnera les moyens d’appliquer le mandat que nous aura donné le peuple. C’est elle qui nous permettra de sortir des traités soit avec tous les pays de l’actuelle UE, soit avec ceux qui se reconnaitront dans le projet que nous aurons mis sur la table. Cette nécessité absolue de sortir des traités est bien, par contre, la particularité assumée de la liste France Insoumise.

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