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Livre "Mépris" et amitiés secrètes : lumière sur le "grand manipulateur" Macron

Un grand coup de lampe torche dans un théâtre d’ombres. Après de long mois d’enquête, le journaliste Marc Endeweld, passé par Marianne, dresse dans son livre-enquête Le grand manipulateur, publié ce mercredi 24 avril, une typologie édifiante des réseaux qui ont porté l’ancien ministre de l’Economie au pouvoir et que le chef de l’Etat utilise pour certains encore aujourd’hui, quand il ne s’est pas séparé brutalement d’eux.

On a méthodiquement comptabilisé les politiques de droite et de gauche qui rejoignaient Emmanuel Macron lors de sa campagne ? Presque un trompe-l’œil pour le journaliste qui révèle l’étourdissante liste des cercles activés dans le même temps, souterrainement, méthodiquement, par celui qui allait devenir le plus jeune des présidents de la Ve République. L’ensemble dessine une fresque d’un étonnant œcuménisme. Il apparaît que dans son ascension, Emmanuel Macron n’a négligé personne : les francs-maçons, les gays, d’autres cercles déjà bien usés qui œuvraient déjà sous Mitterrand, Balladur et Sarkozy...

Louvrier et Macron complices

La première révélation de ce livre est d’ailleurs la présence de Franck Louvrier, communicant de l’ancien maire de Neuilly, lors de réunions à l’Elysée autour d’Emmanuel Macron dès l’automne 2013. En compagnie d’un aréopage d’autres professionnels de l’opinion et de la communication, celui-ci travaille sur la stratégie de celui qui est alors secrétaire général adjoint de l’Elysée. Macron imagine même l’enrôler dans son aventure présidentielle, dix ans après la victoire de Nicolas Sarkozy. « Devant les autres participants à ces réunions, Louvrier et Macron ne cachent pas leur complicité. Ils se tutoient, tombent dans les bras l’un de l’autre. Alors début 2016, quand le ministre Macron cherche un directeur pour sa future campagne présidentielle, il appelle naturellement Maurice Lévy (patron du groupe Publicis, ndlr) pour débaucher Franck Louvrier, qui dispose de très bons contacts parmi les journalistes politiques. Si l’affaire ne se fait pas à l’époque, on comprend mieux pourquoi Emmanuel Macron a tenté à nouveau en janvier 2019 de convaincre le sarkozyste Louvrier de le rejoindre à l’Elysée », écrit le journaliste.

Déjà auteur de L’Ambigu Monsieur Macron (Flammarion, 2015), première biographie remarquée de celui que personne n’imaginait un jour accéder à l’Elysée, Marc Endeweld lève au passage le voile sur une partie du storytelling de la campagne présidentielle et en particulier sur un moment-clé. Nous sommes entre les deux tours de la présidentielle, Marine Le Pen est auprès des salariés de l’usine Whirlpool à Amiens. Emmanuel Macron a préféré rencontrer l’intersyndicale. Mais il doit se résoudre à visiter l’usine pour ne pas perdre le match des images. Un moment capté par Yann L’Hénoret dans son documentaire diffusé sur TF1 après la victoire de Macron. On y aperçoit le candidat passer un savon à son équipe de com’ qui ne veut pas le laisser se rendre sur le site. Une « belle mise en scène », selon l’auteur qui a recueilli le témoignage d’un ancien membre de l’équipe qui assure que ce n’est que contraint et forcé que Macron a décidé de rencontrer les Whirlpool car« en fait, au départ, il ne voulait pas se frotter aux ouvriers. Il n’avait pas validé la visite à l’usine ».

Le mépris de Macron

L’ouvrage s’attarde bien entendu sur « le clan de l’Elysée » dont le fonctionnement plus qu’obscur est apparu au moment de l’affaire Benalla. Il s’intéresse au sulfureux Ludovic Chaker. Mais il dresse aussi un portrait peu flatteur d’Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Elysée, « double » du président, selon la définition de Brigitte Macron. Il le dépeint en homme « pétri de certitudes et empreint d’une certaine arrogance ». Un de ses subordonnés raconte au journaliste : « Il a un humour très proche de celui de Macron. Je me souviens que lors d’une réunion, il avait fait un topo et personne n’avait de questions. Il a alors lancé : "Eh oui, quand on est intelligent, c’est l’effet de sidération" ».

Il raconte enfin le mépris avec lequel Emmanuel Macron peut d’un coup traiter ses plus fervents soutiens. Il prend pour exemple la mésaventure de Jean-Pierre Jouyet, ancien secrétaire général de l’Elysée sous François Hollande. Pièce centrale de la vie politique parisienne, ce proche d’Emmanuel Macron, dont il a propulsé la carrière politique, a été expulsé sans ménagement du premier cercle présidentiel. Du jour au lendemain, ni Alexis Kohler ni le chef de l’Etat ne se sont plus donné la peine de répondre à ses SMS ni à ses mails. L’auteur décrit une scène particulièrement humiliante pour celui qui est aujourd’hui ambassadeur à Londres. En janvier 2018, Jean-Pierre Jouyet est enfin de retour à l’Elysée. Il en profite pour demander des comptes à son ancien ami. Emmanuel Macron feint de n’avoir jamais reçu ses messages. Kohler sert la même version, version que Jouyet est obligé de faire semblant de croire. « Vous me rassurez, je croyais que vous ne vouliez plus me parler », souffle l’énarque. Dans l’ombre, Brigitte Macron s’inquiète, elle qui veille à conserver des liens avec son amie Brigitte Taittinger-Jouyet. « Brigitte n’ignore rien du comportement de son mari à l’égard de son ancien protecteur et le réprouve. Elle estime que ce mépris ouvertement affiché, cette morgue de jeune premier, pourrait lui nuire un jour ou l’autre », écrit le journaliste. Comme si elle n’excluait pas qu’un jour, ces hommes puissants dont le président s’est joué, se retournent contre lui.

Par Soazig Quéméner, Marianne

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