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1er Mai : une manif jaune et triste

  • Paris, reportage

Ce mercredi 1er Mai 2019, en fin de matinée, des cars de CRS s’étendent par dizaines dans les rues du quartier Montparnasse, à Paris. Des membres de la brigade de répression de l’action violente (BRAV), présentées comme des « unités anticasseurs », se meuvent sur l’asphalte. Des forces de l’ordre se tiennent à tous les coins de rue et aux moindres bouches de métro.

Les passants sont astreints à des contrôles rigoureux : leurs poches sont tâtées, leurs sacs à dos passés au crible et leurs papiers d’identité sont parfois exigés. Selon la Préfecture de police, près de 18.000 fouilles de la sorte ont été menées par les forces de l’ordre au cours de la journée.

Les cœurs ne sont pas vraiment à la fête. Les connaissances qui se croisent se souhaitent « bien du courage », « bonne chance » et s’exhortent à faire « attention ».

Des milliers de citoyens rallient peu à peu la place du 18-juin-1940, au pied de la Tour Montparnasse. Ils forment une foule bigarrée de Gilets jaunes, de syndicalistes, de street medics, de masques à l’effigie d’Alexandre Benalla ou encore de brassards verts. Peu de pancartes et peu de chants émanent de la foule, en dehors des nombreux messages de défiance adressés au président Emmanuel Macron et à son gouvernement. Les ritournelles « Macron démission ! » et « On est là, on est là, même si Macron ne veut pas, on est là » résonnent régulièrement sur la place.

Devant le restaurant Chez Bébert, le coordinateur du mouvement Youth for Climate France, Martial Breton, affiche une mine déconfite. La veille, la préfecture a interdit le parcours Panthéon - Montparnasse initialement prévu pour le défilé d’un cortège « climatique, social et démocratique », en préambule de la manifestation unitaire. « C’est absurde ! Nous sommes limités dans notre capacité de manifester et d’apporter notre soutien sur les questions sociales, dit Martial Breton. On voulait simplement marcher pacifiquement comme nous l’avons fait à chaque fois, se rejoindre ici pour un pique-nique. Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes se tournent vers des modes de mobilisation et d’action dans la confrontation. Quand on nous interdit les marches légales, je n’ai plus aucun argument à leur apporter : il ne reste plus que la désobéissance. »

Martial Breton : « Quand on nous interdit les marches légales, il ne reste plus que la désobéissance »

Un « cortège climatique », réduit, a tout de même fait le trajet de la place d’Italie à Montparnasse, le mercredi 1er mai, au matin.

Aux alentours de 12 h 30, un groupe encapuchonné remonte le boulevard de Montparnasse sous les acclamations de la foule. « Ça va péter, ça va péter », s’époumonent certains. Quarante-cinq minutes plus tard, la situation se tend au niveau de la rue Vavin, à proximité du restaurant La Rotonde. Des jets de bouteilles et de pierres d’un côté, des grenades de désencerclement et une nuée de gaz lacrymogène de l’autre. Le cortège n’est pas encore élancé, mais l’air est déjà irrespirable. Les bronches brûlent, les yeux sont irrités et les esprits échauffés.

À 14 h 30, la marche commence. Sur le trajet, toutes les boutiques sont fermées, barricadées, et les fast food scrupuleusement protégés par des cordons de CRS. La Fanfare invisible et ses instruments donnent de l’entrain aux troupes, et le collectif Le Carton qui croustille s’évertue à « carnavaliser » la manifestation avec ses chants et ses déguisements, dans la joie et la couleur.

Éparpillés dans le cortège, des membres d’Alternatiba, des opposants au projet EuropaCity ou encore des Gilets jaunes affichent leurs revendications écologiques. Rencontrée au niveau de Port-Royal, affublée d’un gilet jaune, Isabelle est venue de Nancy pour se joindre au cortège parisien. Responsable des ressources humaines à la Sécurité sociale, elle souhaite la fin du « libéralisme, qui détruit les espèces, le climat et les vies pour le profit » et confie son indignation face aux « privatisations à outrance » et aux « 10 % de Français qu’on laisse en situation de grande précarité ».

Isabelle : « Le libéralisme détruit les espèces, le climat et les vies pour le profit »

À quelques pavés de là, Julien, en civil, se dit gendarme. Il déplore « les réponses données par le président au “grand débat national” » : « Il n’est absolument pas à la hauteur des enjeux climatiques. C’est un changement de paradigme que nous demandons, intégrer le climat au cœur de toutes nos décisions, transformer nos modèles agricoles en privilégiant la permaculture, l’agroécologique. Nous ne voulons pas une énième chambre de discussion, comme le propose Emmanuel Macron. Ça urge ! »

Soline, accompagnée de Jean-Baptiste, aimerait quant à elle « adopter un autre mode de vie » mais se dit « freinée par notre modèle politique, économique, et de consommation » : « Ce n’est pas accessible pour tous d’avoir un mode de vie sain, zéro déchet, alors que ce devrait être la norme, affirme cette étudiante en école d’infirmières. Ce que l’on veut, c’est le soutien des dirigeants, qui peuvent nous permettre d’y parvenir collectivement. »

Au milieu de l’après-midi, le cortège se scinde au niveau du boulevard Saint-Marcel. Dès lors, tout devient confus. Une partie des manifestants s’aventure dans la rue Jeanne-d’Arc, en dépit du parcours déposé à la préfecture, pour se diriger vers la place d’Italie. Des affrontements éclatent devant le commissariat du 13e arrondissement, cerclé de barrières et particulièrement visé par des groupes de manifestants. Un cocktail Molotov est lancé. Une pluie de grenades lacrymogènes s’abat sur les têtes. Des gens courent dans tous les sens, se couvrant la bouche, manquant de trébucher sur un sol jonché de débris. La police confisque deux cygnes fabriqués à partir de chariots de supermarchés, qui permettaient à des manifestants de se protéger.

À quelques mètres, sur la place d’Italie, les forces de l’ordre contiennent le cortège de manière à éviter toute dispersion des manifestants dans les rues environnantes. Parfois, elles chargent. Plusieurs blessés sont soignés par les street medics, qui interviennent dans les conditions les plus périlleuses. Dans le même temps, sur le boulevard Saint-Marcel, le gaz lacrymogène, des grenades de désencerclement et même un canon à eau sont utilisés pour disperser les manifestants. Des vitrines volent en éclat. Une remorque de chantier est incendiée sur le quai de la Rapée.

Près de 200 manifestants terminent la journée place de la Contrescarpe pour fêter l’anniversaire du début de l’affaire Benalla, le 1er mai 2018 : le collaborateur d’Emmanuel Macron avait ce jour-là brutalisé un manifestant sur cette place.

Selon le ministère de l’Intérieur, 164.500 personnes ont manifesté dans toute la France mercredi 1er mai — 350.000 selon les syndicats. Le cabinet Occurence estime à 40.000 le nombre de manifestants à Paris. Une manifestation sous tension, au goût irritant des lacrymos, durant laquelle le mouvement social comme le pouvoir ont montré leur détermination farouche à ne rien céder, six mois après le début d’une crise sociale et politique sans précédent sous la Ve République.

Source : Reporterre

 

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