VIA MANUEL BOMPARD (2): HUMILITÉ, FRATERNITÉ, RESPONSABILITÉ

Depuis plusieurs jours, les réseaux sociaux bruissent d'échange sur le bilan des élections européennes pour la France insoumise. Cela donne parfois une triste image de notre mouvement. Pourtant, celui-ci est un acquis précieux, plus que jamais indispensable dans la situation politique du moment. Il faut donc en prendre soin et ne pas perdre le sens de la fraternité dans les débats que nous pouvons avoir. C'est d'abord ça qui doit primer, même si la rudesse du combat politique charrie son lot de déceptions et d'incomprensions.

Je prends ma part dans ces incompréhensions : j'ai publié ici il y'a quelques jours des éléments de réponse à une note interne publiée dans le journal le Monde. Il n'y avait bien sûr dans ce texte aucune volonté de mépriser les signataires, ni de remettre en cause la sincérité de la démarche d'une grande majorité d'entre eux. Mais il m'a semblé nécessaire de corriger certaines affirmations et de rappeler que notre responsabilité était de ne pas donner à ceux qui veulent nous affaiblir des outils pour cela.

Certains m'ont reproché d'utiliser cet argument pour ne ne pas écouter le fond du texte. Je veux donc les rassurer. Cette mise au point ne disqualifie pas le message qui s'exprime et sur lequel nous devrons travailler collectivement. Car la question ne se résume pas à un débat démocratie / refus de la démocratie. Elle est de savoir comment on construit un mouvement politique qui n'est pas une organisation politique traditionnelle, mais qui permet des modalités de participation collective aux prises de décision. Non pas parce que les partis seraient mauvais par nature. Mais parce que l'état de la société, et notamment son caractère à la fois atomisé et interconnecté, nécessite une forme d'organisation collective plus ample, plus souple, plus poreuse, tenant compte de la multiplicité des formes d'actions que chacun voudrait exercer en son sein. Et rien depuis l'élection présidentielle ne me semble démentir cette nécessité.

Personne ne peut prétendre avoir la recette toute faite d'un tel mouvement. La tendance dans les débats sur le sujet est de revenir aux formes connues, car elles semblent plus rassurantes. La France insoumise à fait un autre choix. Le mouvement s'est construit comme un mouvement évolutif, c'est à dire qui corrige ses défauts au fur et à mesure de son évolution. N'est-ce pas d'ailleurs une démarche matérialiste de chercher à améliorer un outil en le confrontant avec le réel plutôt que de vouloir construire théoriquement l'outil idéal ?

Chaque année, il s'agit donc d'identifier les imperfections pour les corriger. Notre convention de Bordeaux en avait identifié plusieurs : le manque d'un lieu où peuvent avoir lieu les débats stratégiques, la nécessité d'une instance pour résoudre des conflits qui malheureusement émergent parfois, le besoin de mettre en place une structure nationale mieux identifiée. Ces chantiers, initiés lors de la convention, devront maintenant aboutir. Et si la séquence qui vient de s'écouler a mis de nouvelles difficultés sur la table, il faudra aussi les résoudre. Ce sera un des objets de notre assemblée représentative.

Mais je crois néanmoins que ce serait faire une erreur d'analyse de voir les difficultés du moment uniquement sous le prisme des modalités de fonctionnement. C'est malheureusement assez habituel. En effet, il est courant de penser que si l'on a pas bien fait, c'est parce que l'on a pas assez discuté ou pas assez débattu. Cela évite d'avoir à formuler précisément les raisons des difficultés, ni de préciser quelles autres décisions nous auraient permis de faire mieux. Mais c'est prendre le risque de s'enfermer dans un débat sur le débat plutôt que de trouver des solutions pour contourner à l'avenir les obstacles rencontrés.

Je propose donc quelques autres éléments d'analyse. D'abord, les forces politiques proches de la France insoumise ont, partout en Europe, eu des difficultés. C'est le cas de Podemos en Espagne puisque l'alliance Unidos-Podemos réalise 10,05% des voix alors que Izquierda Unida et Podemos faisaient près de 18% en 2014. C'est le cas en Allemagne ou Die Linke passe de 7,47% en 2014 à 5,40% cette année. C'est le cas en Italie où notre sensibilité n'aura plus de représentation au parlement européen alors qu'elle avait 3 eurodéputés dans la mandature sortante. Ainsi, partout en Europe, on assiste à un essoufflement, sous le double effet de la montée de l'extrême droite et d'une vague verte qui a capté pour cette élection les aspirations à une alternative.

Ensuite, l'élection européenne est structurellement la plus complexe pour nous. Il s'agit de convaincre les citoyens de voter à une élection pour envoyer des représentants dans un cadre politique qui expulse les citoyens de la décision. Dès lors, notre message y est rendu complexe. Un exemple. Nous voulons agir face à l'urgence écologique. Mais nous disons que le cadre de l'union Européenne le rend presque impossible. Et que ce n'est pas cet élection qui permettra de changer ce cadre. Alors il est légitime que beaucoup se demandent à quoi bon voter, et à quoi bon voter pour nous.

Ces éléments structurels ne sont pas à négliger. Ils permettent de distinguer ce sur quoi nous avons un impact de ce qui s'impose à nous. Et de mettre à distance les lectures simplistes des événements. Il n'existe malheureusement pas de feuille de route foncièrement bonne, de petit manuel de la bonne ligne, ni de martingale de la victoire. Expliquer notre résultat décevant par le fait que nous nous serions écarté d'une telle feuille de route, c'est s'enfermer dans une position de confort au lieu de regarder en face la réalité des obstacles : le contexte international, la stratégie de nos adversaires ou encore le poids de l'idéologie dominante. Il ne s'agit pas ici de nier nos responsabilités, mais de les remettre à leur juste place.

Il s'agit aussi d'éviter les raccourcis :
- non, la France insoumise n'a pas théorisé le clash. Elle s'est retrouvé sous le poids incessant des attaques de l'oligarchie et a recherché la meilleure manière de se défendre. Et elle a voulu donner une représentation politique à une colère sourde qui existe partout dans la société.
- non, la France insoumise n'a pas abandonné l'idée de donner une perspective d'espoir. Mais ceci est forcément plus complexe à faire à l'occasion d'une élection qui n'est pas celle qui donne en réalité les moyens de transformer la société en profondeur.
- non, la France insoumise n'a pas été sectaire : elle a confié sa tête de liste à une personne non issue de ses rangs et a présenté une liste regroupant des personnes issues de plusieurs sensibilités politiques.
- non, non plus, la campagne de la France insoumise n'a pas été une campagne d'union de la gauche : il n'y a pas eu de négociations de cartels pour élaborer un programme au plus petit dénominateur commun. Il n'y a pas eu non plus d'alliances à l'ancienne mais une convergence de militants politiques, syndicaux ou associatifs autour d'un label et d'un programme commun.
- non, il n'y a eu aucune volonté d'expulser telle ou telle sensibilité (souverainiste ou laïque ou je ne sais quoi) de la France insoumise mais plutôt une tentative, complexe, de conforter la synthèse politique qui s'était construite pendant l'élection présidentielle.

Des questions demeurent pour autant. Alors que nous étions au cœur du mouvement des gilets jaunes depuis son origine, pourquoi n'avons nous pas réussi à traduire dans le vote les aspirations sociales et démocratiques qu'il a exprimé ? Pourquoi n'avons nous pas su capter l'élan de la jeunesse autour de l'urgence écologique, alors qu'elle s'accompagne d'un haut niveau de prise de conscience que l'écologie sera systémique ou ne sera pas ? Pourquoi n'avons nous pas pu transformé le travail pourtant largement reconnu de nos 17 députés insoumis en une dynamique électorale ? Pourquoi n'avons nous pas réussi à déverrouiller l'étau du duel progressistes / nationalistes mis en place par le pouvoir pour servir ses intérêts ?

Je n'ai pas la réponse à toutes ces questions. Mais, avec humilité, je propose quelques points d'appui pour contourner les obstacles que nous avons trouvé sur notre route :

1) La France insoumise réalise ses meilleurs scores dans les quartiers et les villes populaires. A Toulouse, nos 15 meilleurs bureaux de vote sont tous situés dans les cités populaires du Mirail, de Bellefontaine, de Bagatelle ou d'Empalot. Mais ces scores semblent directement corrélés à l'abstention qui atteint près de 80% dans notre meilleur bureau. Or il n'y aura pas de révolution citoyenne sans engagement de celles et ceux qui sont parmi les premières victimes du système actuel. Il y'a donc la des marges de progression immenses si l'on admet que le niveau de défiance est telle que c'est dans l'auto-organisation et dans la solidarité concrète que se trouvent les ressorts de cet engagement.

2) L'aspiration écologique d'une partie grandissante de la jeunesse est porteuse d'espoir. Elle interroge l'organisation de notre modèle de production et de consommation en profondeur. Elle porte en son sein l'exigence du dépassement d'un système économique qui fait primer la loi du profit sur toute autre considération. Elle s'appuie sur des formes d'engagement plus radicale que nous avons pas su représenter dans le vote. C'est désormais à nous de créer les ponts qui permettront de passer de cette prise de conscience à notre projet politique.

3) La poursuite de la vague dégagiste qui a destructurée le paysage politique offre une disponibilité populaire immense pour une force politique porteuse du projet de renouveler en profondeur notre démocratie. Il est clair que l'élection européenne n'était pas le plus simple pour en parler : faire croire que voter à l'élection européenne pour la France insoumise, c'était reprendre sa souveraineté n'était pas très sérieux. Les élections à venir seront des élections municipales. Elles peuvent permettre de répondre à cette aspiration si les listes que nous soutenons y portent une forte exigence démocratique avec des mesures ambitieuses comme le RIC ou le référendum révocatoire. Et en dehors des scrutins, notre revendication d'une assemblée constituante pour une 6ème République est plus que jamais d'actualité.

Bien sûr, ce ne sont ici que quelques enseignements et quelques pistes de travail. Elles n'ont pas vocation à ignorer le débat sur la manière de nous organiser. Mais c'est d'abord en partant des objectifs politiques que nous nous fixerons pour les prochains mois que nous pourrons mettre en place les formes d'organisation les plus adaptées.

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