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A voir sur Télérama.fr : “La Cour d’honneur”, quand les ouvrières de Samsonite transposaient leur rage sur les planches

 

Des ouvrières munies de pancartes « Samsonite escrocs » qui, pour protester contre leur licenciement, défilent aux cris de « Tous ensemble ! Tous ensemble ! » : la scène s’est produite dans les rues d’Avignon, l’été dernier, alors que le Festival battait son plein. Une scène rendue surréaliste par le contraste entre le très homogène public de festivaliers et les comédiennes amatrices venues du bassin minier qui, par cette manif, faisaient la réclame de leur spectacle. Une scène entre fiction et réalité de La Cour d’honneur, un documentaire à voir sur Télérama.fr (après une diffusion sur la chaîne lilloise Wéo). Hélène Desplanques, sa réalisatrice, y narre l’épopée de la troupe sélectionnée à Avignon pour présenter On n’est pas que des valises, pièce composée à l’issue d’un atelier d’écriture avec les ouvrières licenciées de Samsonite. Et pour laquelle sept d’entre elles montent sur scène, accompagnées de quatre comédiens professionnels.

C’est en 2007 que le fabricant de ­valises ferme son usine d’Hénin-­Beau­mont, dans le Pas-de-Calais. S’ensui­vent des années de bataille judi­ciaire pour gagner aux prud’hommes con­tre Samsonite et porter le fer jusqu’à Chicago : en 2012, les ouvriè­res manifestent devant le siège de Bain Capital, le fonds d’investissement propriétaire de la multinationale, dirigé par Mitt Romney, alors candidat à la présidence des Etats-Unis. Ce périple constitue le point d’orgue de la pièce On n’est pas que des valises, récit drôle et poignant de leur combat.

L’idée en est née après l’échec de la procédure américaine et le choc de l’élection de Steeve Briois (FN) à la mairie d’Hénin-Beaumont pour, selon Hélène Desplanques, « continuer le combat sur les planches ». Et pour les planches, serait-on tenté d’ajouter. Car, du côté des apprenties comédien­nes, monter sur scène était inenvisageable. « Je ne suis jamais rentrée dans un théâtre », « j’ai quitté l’école à 14 ans, comment je pourrais retenir deux lignes de texte ? » ont été les premières réactions à la proposition de l’auteure. Celle-ci, une fois la pièce montée, a tenu à la jouer en priorité dans les salles des fêtes du bassin minier pour attirer un public étranger au théâtre. Montrer que « les héroïnes sont vos voisines, elles sont capables d’aller jusqu’aux Etats-Unis pour manifester » est un moyen de lutter contre « le sentiment de déclassement, la perte d’estime de soi » mais aussi contre « le divorce profond entre la culture et le monde ouvrier ».

“A l’usine comme au théâtre, elles ont l’amour du travail bien fait”, Marie Liagre, metteuse en scène

C’est ce divorce qu’illustre le film La Cour d’honneur — tout en portant un espoir de réconciliation. Hélène Desplanques se place dans les pas de Jean Vilar, exhume de lumineuses archives où le créateur du Festival d’Avignon plaide pour un théâtre populaire. « Ce qu’il dit n’a pas pris une ride, les ouvrières se sentent touchées. » Soixante ans plus tard, c’est pourtant à un rendez-vous élitiste qu’elles sont conviées. Mais le choc des cultures produit son effet. A la fin de la pièce, les spectateurs se précipitent à la rencontre des héroïnes, et la soirée se termine en débat politique. « Les gens sont épatés par leur confiance, leur culture ouvrière les impressionne », constate Hélène Desplanques.

De leur côté, les ouvrières abandonnent aussi des préjugés en découvrant une facette du monde du spectacle qu’elles ignoraient, en côtoyant des artistes qui bossent dur sans échapper à la précarité. « A l’usine comme au théâtre, elles ont l’amour du travail bien fait. » « Elles ont un engagement dans le travail plus régulier que les pros », note d’ailleurs la metteuse en scène Marie Liagre, pour qui « la troupe est une métaphore du combat collectif, où s’invente une autre solidarité ».

Hommage à la lutte des Samsonite et à l’engagement des comédiennes en même temps que réflexion sur le rapport à la culture, ce documentaire sensible clôt une aventure commencée avec le film sur la fermeture de l’usine, voilà tout juste dix ans. De Liquidation totale à La Cour d’honneur, les titres disent le chemin parcouru.

 

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