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Algues vertes. La BD qui jette un pavé dans la mare


Pourquoi l’histoire que vous narrez dans ce livre est-elle interdite ?

Parce que dans la profession agricole, parmi les autorités, à la préfecture, au conseil régional, il n’est pas possible de mettre des mots sur les causes des marées vertes - l’agriculture intensive - et sur ses conséquences - les morts, les malaises, etc. Vu de Paris ou d’ailleurs, le lien entre algues vertes et agriculture intensive paraît reconnu et établi. Mais dès que j’ai commencé à travailler sur ce sujet pour France Culture, en 2016, je me suis rendu compte qu’en Bretagne ce lien était encore tabou. Dans les milieux scientifiques, les choses sont dites mais ce n’est pas sans conséquence. Un salarié de l’Ifremer a, par exemple, reçu des pressions de la part d’un organisme public pour m’en avoir parlé au micro. Un chercheur de l’Inra a, lui, vu ses travaux censurés par le conseil régional, car il arrivait à la conclusion que le plan algues vertes ne permettrait pas de se débarrasser des marées vertes.

 

« Algues vertes, l’histoire interdite », d’Ines Leraud et Pierre Van Hove. (Photo Claude Prigent)

Une large partie du récit est consacrée aux victimes humaines et animales des marées vertes. À chaque fois, la justice et l’État semblent vouloir écarter la thèse des algues vertes…

Toutes les preuves sont détruites à tout jamais. Aucune prise de sang, ni autopsie, n’est réalisée dans un délai raisonnable pour détecter l’hydrogène sulfuré (gaz toxique produit par les algues en décomposition, NDLR). Et ce, malgré les alertes répétées du médecin urgentiste lannionnais, Pierre Philippe, et malgré les expériences précédentes, comme la mort de Thierry Morfoisse, en 2009, à Binic (22). À la découverte du corps d’un joggeur en 2016, à Hillion, dans une vasière connue pour sa dangerosité, où étaient morts 36 sangliers, aucune analyse n’a été faite. Il y a donc deux hypothèses : soit il y a beaucoup de laxisme de la part des autorités bretonnes et de l’État, soit les règles élémentaires pour détecter l’H2S ne sont pas appliquées, volontairement.



La responsabilité de l’agriculture intensive dans les marées vertes est-elle aussi celle des agriculteurs ?

Dire que les agriculteurs sont des pollueurs n’a aucun sens pour moi. C’est comme si on accusait les ouvriers d’une usine très polluante d’être des pollueurs. Aujourd’hui, la grande majorité des agriculteurs ne sont pas indépendants. Leur travail est hyper encadré. Tout est pensé et imposé par leur coopérative ou leur groupement : choix des bêtes, des aliments, des bâtiments, parfois même des médicaments, sans moyen d’influer sur le prix de vente de la marchandise. Mais le paradoxe du monde agricole, à mes yeux, c’est que de nombreux agriculteurs sont syndiqués à la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles). C’est comme si les ouvriers d’usine étaient défendus par le Medef.

 

(Alice Sternberg)

Sur plusieurs pages, vous décrivez un Jean-Yves Le Drian très proche de l’agro-industrie bretonne…

Mes enquêtes aboutissent à des imbrications complexes entre les pouvoirs publics, les industriels et leurs représentants. L’économie principale de la Bretagne, c’est son agro-industrie et Jean-Yves Le Drian défend l’industrie qui fait vivre la région. C’est sans doute normal mais quand, en 2011, France Nature Environnement (FNE) fait des affiches dans le métro parisien dénonçant l’agriculture intensive et ses conséquences sur l’environnement, Jean-Yves Le Drian dit alors que FNE salit la Bretagne. Objectivement, ce sont plutôt les algues vertes qui salissent la Bretagne.


Les plans gouvernementaux de lutte contre les algues vertes ne permettent pas de résoudre le phénomène ?

Ces plans ont été critiqués, dès le départ, par les scientifiques parce qu’ils ne vont pas assez loin. Des sources au sein du ministère de l’Environnement m’ont raconté que, dans un premier temps, des recommandations comme la diminution des cheptels étaient préconisées par ces scientifiques. Mais, après passage dans les ministères de l’Environnement et de l’Agriculture, d’autres mesures, comme la méthanisation (qui permet de transformer en biogaz des rejets comme les déjections animales, NDLR), promue par des industriels du déchet, ont été retenues. Alors que l’on sait que ça n’a aucune incidence sur les nitrates.

Source Télégramme

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