Adrien Quatennens: «La France n’est pas une start-up que l’on “manage”»

 

Une nouvelle ère s’ouvre-t-elle à La France insoumise (LFI) ? En cette rentrée politique, la formation créée par Jean-Luc Mélenchon entend en tout cas se présenter sous un nouveau jour. Adrien Quatennens, nommé coordinateur du mouvement en juin dernier, a accordé une longue interview à Mediapart. À 29 ans, le jeune député du Nord doit relever un défi de taille : remettre sur les rails une France insoumise en crise. Sérieux, consciencieux, affable et apprécié des militants, Adrien Quatennens mettra, à n’en pas douter, beaucoup de cœur à l’ouvrage.

Mais il ne faut pas se méprendre : le Lillois a beau faire preuve d’un flegme et d’une réserve à l’opposé du tempérament tempétueux de Jean-Luc Mélenchon, pas une feuille de papier à cigarette ne les distingue sur le fond. Si l’ancien candidat à la présidentielle a pris du champ – il ne se rendra d’ailleurs par aux AMFiS, les universités d’été, qui s’ouvrent à Toulouse ce jeudi 22 août –, il peut ainsi compter sur son « sherpa » pour lui garder, quoi qu’il advienne, une place de choix au sein du mouvement.

En attendant, Adrien Quatennens revient volontiers sur les sujets qui ont occupé les vacances et qui rythmeront les mois à venir : la violence politique et sociale, la mobilisation contre la réforme des retraites ou la privatisation d’Aéroport de Paris, la PMA… S’il ne tranche pas sur le très épineux sujet de la stratégie globale du mouvement, il ne ferme pas la porte à un rapprochement avec les écologistes et s’exprime sur le procès en correctionnelle qui arrivera à la mi-septembre. Il n’exclut pas que LFI puisse un jour laisser la place à une autre formation mieux adaptée aux ambitions de Jean-Luc Mélenchon, qui, à le croire, continue d’avoir la présidentielle de 2022 en ligne de mire. Quant à lui, il n’évacue pas l’hypothèse de sa candidature à la mairie de Lille l’an prochain.

 

Adrien Quatennens. © Stéphane Burlot Adrien Quatennens. © Stéphane Burlot

Mediapart : Grèves aux urgences, destructions de permanences parlementaires LREM par des agriculteurs, manifestations pour Steve Maia Caniço… L’été a été particulièrement mouvementé sur le plan social. Comment l’analysez-vous ?

Adrien Quatennens : Emmanuel Macron arrive à mi-mandat, donc il accélère. Derrière une forme renouvelée, son projet sur le fond ne consiste qu’à achever la tâche que ses deux prédécesseurs, sous diverses étiquettes, n’ont pas su faire aboutir : transformer la France en poussant jusqu’au bout le curseur libéral. Mais la France n’est pas une start-up que l’on « manage » ! C’est une République sociale à l’histoire longue. Dans un contexte de défiance durable envers ceux qui dirigent et où un électeur sur deux ne se déplace plus pour voter, il n’y a pas de consentement dans le pays pour un tel traitement de choc. Celui-ci s’impose donc brutalement.

Certains vous accusent de souffler sur les braises, en prenant par exemple fait et cause pour les « gilets jaunes » et en appelant à une insurrection citoyenne…

Face au cynisme macronien, l’exaspération monte dans le pays. Entre la méthode pacifique et la violence, mon choix est fait depuis le début : c’est d’abord par souci d’efficacité que je suis personnellement convaincu par les actions de masse inclusives, et donc nécessairement non violentes. Et puisque le temps est limité pour régler les problèmes auxquels nous sommes confrontés, je crois que l’accession au pouvoir par les urnes doublée d’une forte implication populaire est la méthode la plus « droit au but » pour y parvenir. C’est ce que nous appelons la « révolution citoyenne ». Je m’oppose à toute forme de violence. Mais il faut arrêter de faire l’autruche : comment ne pas voir le lien évident qu’il y a entre la montée des tensions et le fait que toutes les formes d’organisation et de mobilisation traditionnelles, non violentes, réglementaires et pacifiques soient écrasées et méprisées ? Par ailleurs, la mise en place du CETA et ces accords de libre-échange, la diminution des APL, la suppression de l'ISF, l'allongement du temps de travail... C'est une forme de violence symbolique. Dans la vie quotidienne des gens, le libéralisme économique, c’est pire qu’Orange mécanique !

Vous venez d’être nommé coordinateur du mouvement. Le dernier rassemblement de LFI, lors de son assemblée représentative organisée à Vincennes en juin, s’est déroulé dans un climat de tension à la suite de votre échec aux européennes et des départs de nombreux cadres du mouvement et de militants lui reprochant son absence de démocratie interne… Comment comptez-vous faire évoluer la « gouvernance » ?

LFI est si bien ancrée dans le paysage politique, forte de l’action des Insoumis à travers tout le pays et de l’installation de ses deux groupes parlementaires, que l’on en oublierait presque qu’elle est un objet neuf. Le mouvement n’a que trois ans. Il a été conçu pour appuyer la proposition de candidature de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle. Puis, il a bâti dans un cadre inédit un programme de gouvernement solide et opérationnel, qui vaut contrat politique entre des militants aux parcours très divers. Ensuite, il a propulsé à l’Assemblée nationale un groupe de parlementaires d’opposition qui continue de projeter par ses propositions ce que serait l’action d’un gouvernement insoumis. Malgré des résultats décevants aux élections européennes, le mouvement se renforce de six députés qui se déploient déjà de manière exceptionnelle au Parlement européen. Ajoutez à cela les multiples campagnes innovantes, les votations citoyennes, les caravanes d’accès aux droits, les campagnes thématiques, les actions d’auto-organisation dans les quartiers, la production de fond… Ceux qui considèreraient que tout cela ne pèse rien et qu’il faudrait, alors que le mouvement n’est encore qu’une graine à peine semée à l’échelle de l’histoire politique, tout recommencer à zéro sont, à mon avis, irresponsables.

N’est-il pas légitime de réclamer davantage de démocratie à une formation politique qui prône la VIe République et la fin du présidentialisme ?

Je ne dis pas que nous sommes parfaits, et nous ne devons pas répondre à toute critique : « Circulez, il n’y a rien à voir. » Le calendrier électoral, les enjeux de court terme nous ont sans doute fait sous-estimer la nécessité d’améliorer l’organisation du mouvement. En fait, les bonnes idées étaient déjà engagées ou dans les cartons, mais nous avons pris du retard dans la mise en œuvre et cela a généré de la frustration en interne. Au début de l’été, nous avons abordé notre assemblée représentative comme un moment de réorganisation assez ample du mouvement. Sans pouvoir satisfaire ceux qui pensent qu’est déjà venue l’heure de tout jeter à la poubelle pour tout recommencer et accomplir leurs projets personnels, nous avons travaillé afin de répondre à toutes les exigences d’évolutions organisationnelles récurrentes.

Lesquelles ?

Nous ne voulons pas transformer LFI en parti politique. En réalité, LFI n’est pas autre chose qu’un grand réseau social où des gens œuvrent pour que s’applique le programme « L’Avenir en commun ». Du moment que les actions se multiplient sur la plateforme, qu’il arrive plus d’Insoumis chaque mois qu’il n’en repart, et que de nouveaux groupes d’action voient le jour régulièrement, ça fonctionne. Nous construisons patiemment un outil au service de l’implication du peuple et de sa révolution citoyenne. Un outil, ça évolue, c’est perfectible, ça se met à jour, ça se change au besoin. L’essentiel est qu’il soit adapté à la tâche qu’il faut accomplir. Nous n’avons pas de temps à perdre dans la reproduction des intrigues de personnes qui pourrissent la vie des partis politiques, qui ne s’en remettent plus.

Peut-on imaginer une France insoumise sans la figure tutélaire de Jean-Luc Mélenchon ? Depuis l’épisode des perquisitions qui a abîmé son image, est-il toujours capable d’incarner un avenir victorieux pour votre camp ?

Aujourd’hui, et parce qu’il a préparé cela méthodiquement, les choses peuvent rouler sans qu’il soit omniprésent. Jean-Luc n’a plus besoin de s’occuper des affaires courantes du mouvement, parce que des équipes solides sont constituées et qu’il y en a même pour plusieurs générations ! Combien de dirigeants de sa génération peuvent se prévaloir d’envoyer sans crainte de tout jeunes élus faire le job à sa place sur les plateaux de télévision, au milieu des vieux guerriers de la politique ?

À présent, dans cette nouvelle saison qui démarre, il peut faire ce qu’il a de plus utile à faire : poursuivre la mise à jour de la doctrine, la faire connaître et pouvoir agir en dirigeant, sans être nécessairement mêlé à toute l’organisation. Je le connais suffisamment pour savoir qu’il en a encore sous le pied et qu’il nous surprendra de nouveau. Je souhaite qu’il continue à jouer un rôle important car, pour moi, et même si cela lui appartient, il demeure la meilleure carte dans notre jeu pour la présidentielle.

 

Les débats internes

LFI, qui est un mouvement visant à fédérer des gens de multiples horizons, est traversée par des débats de longue date, notamment sur les questions sociétales. Par exemple sur la laïcité. Manquez-vous de clarté ?

Je suis toujours ennuyé de constater toutes les tentatives de faire de toute « discussion » interne une crise. Quand le débat n’est pas perceptible publiquement, c’est qu’il n’aurait pas lieu et on nous en fait le reproche. Quand il y a un débat, c’est qu’il y a des « tensions internes ». Tout cela fait des titres accrocheurs et vendeurs mais ce n’est pas très intéressant au fond... Mais sur le fond, justement : LFI est un mouvement résolument républicain. Dès lors, la laïcité est un fondamental qui n’a pas vocation à être débattu, car on ne met pas la République en débat au sein de LFI et tous les élus du mouvement défendent la loi de 1905. Je ne voudrais pas que l’on confonde cela avec la diversité réelle des parcours politiques en notre sein. Nous ne sommes pas tous de la même école mais, le contrat politique entre nous, celui qui nous engage comme Insoumis, s’appelle « L’Avenir en commun », et je n’y vois pas la moindre faille, la moindre micro-fissure sur la question de la laïcité.

La question stratégique est un autre sujet qui peut cliver en interne : la députée insoumise Clémentine Autain a ouvertement critiqué le recours au « populisme stratégique », inspiré de Mouffe et Laclau, qui aurait contribué, selon elle, à votre mauvais résultat aux européennes. Même votre collègue Éric Coquerel semble désormais vouloir substituer l’écosocialisme au populisme…

Éric et moi sommes tous deux, depuis avant même la création de LFI, membres du même parti. Tenter de faire vivre ce faux débat entre nous est peine perdue… Le mot populisme est en fait mal utilisé dans la bouche des commentateurs politiques. Souvent, ils l’emploient par erreur ou par manipulation, en lieu et place du mot démagogie. S’il s’agit de coller aux aspirations populaires, de considérer en républicains que le peuple est seul souverain et que notre tâche est de lui rendre les clés d’un pouvoir dont il est écarté, alors oui, nous sommes populistes. La vraie question, c’est comment faire revenir au vote un électeur sur deux qui, d’une élection sur l’autre, ne participe pas… Les gens n’ont sans doute pas raison de s’abstenir, mais ils ont mille raisons de le faire qui leur appartiennent : leurs problèmes quotidiens sont à leurs yeux plus urgents et ils ne croient plus en la capacité du politique de les régler.

Par ailleurs, aujourd’hui, certaines questions viennent heurter toutes les certitudes et les habitudes de vote, y compris au sein des classes moyennes plus favorisées. Par exemple, la question climatique. Tout le monde comprend que, que vous soyez riche ou pauvre, si la pérennité de la vie humaine sur terre est menacée (et c’est bien le cas), vous n’y échapperez pas – même s’il est clair que les plus pauvres pâtissent les premiers et plus lourdement des conséquences du changement climatique.

Vous n’êtes donc pas pour un réancrage sur l’axe droite-gauche.

La question est : est-ce que la réhabilitation du clivage gauche-droite permet de construire cette majorité [composée des quartiers populaires, des ruraux et des classes moyennes – ndlr] ? Est-ce qu’après l’ère Hollande où, tour à tour, nous étions « l’opposition de gauche », « 100 % à gauche », « l’autre gauche », « la vraie gauche », ce mot est encore un signifiant assez clair pour véhiculer l’idée qu’il faut rompre avec la Ve République ou les traités européens pour faire le partage des richesses et la planification écologique ? Non ! Pire, certains codes qui sont traditionnellement ceux de la gauche, que je respecte et auxquels, comme militant, je peux être attaché, ont un effet repoussoir sur des gens qui seraient pourtant potentiellement d’accord avec le contenu que nous portons.

Ne craignez-vous pas qu’un électorat qui s’assume « de gauche » ne se détourne de vous ?

Faut-il se dire « de gauche » pour faire accéder au pouvoir un programme que l’on classerait à gauche ? Pire, et on peut toujours le regretter, se définir « de gauche » ne suffit-il pas à se couper de tout un pan de la société pour qui nos idées, portées différemment, pourraient être audibles et attrayantes ? Il ne s’agit plus de convaincre un camp déjà constitué. Il faut en faire émerger un qui soit large et majoritaire dans le pays. Macron a bien compris cela. Il a rebattu les cartes qui avaient jusque-là structuré la vie politique du pays et il a constitué le grand pôle libéral qui rassemble les libéraux du PS jusqu’à Les Républicains et neutralise ces deux partis sur la scène nationale. Sur la base d’un programme comme « L’Avenir en commun », on ne construit pas une majorité avec les méthodes exclusives de la gauche radicale. Si nous devons être un « camp », nous sommes celui de l’intérêt général, et la question de la souveraineté populaire, de l’écologie radicale et la question sociale sont indissociables. Une certaine gauche boutiquière a théorisé qu’il était vain de s’adresser aux abstentionnistes parce qu’ils ne votent pas ! 

Or, nous devons faire avec eux et les encourager à l’implication citoyenne en l’accompagnant. Nous devons venir à leur renfort pour gagner avec eux des petites victoires quotidiennes et redonner foi en l’action collective. Nous devons aussi nous adresser aux dégoûtés, à ceux qui, parce qu’ils sont en colère, sans partager les idées nauséabondes du Rassemblement national (RN), pensent que ce vote est le meilleur moyen d’expression de leur colère. C’est un travail de fourmi mais il faut le mener, car ce serait une erreur que de considérer que tous les électeurs du RN seraient des racistes convaincus par l’idéologie de ce parti.

Vous continuez donc sur l’idée qu’il faut parler à l’extrême droite, même si cela n’a pas été « payant » électoralement, puisque le RN, qu’on croyait affaibli en 2017, est arrivé premier parti de France aux européennes deux ans plus tard…

Nous ne voulons pas parler à l’extrême droite constituée, revendiquée et convaincue mais à ses électeurs, oui, car il faut d’urgence la faire reculer. Je ne vois pas d’autre moyen de faire reculer l’extrême droite que d’y faire renoncer certains de ses électeurs. Pour ne citer qu’un exemple, combien ne savent pas qu’en votant pour Marine Le Pen, ils votent pour quelqu’un qui refuse l’augmentation du Smic ? Ce travail difficile de désintoxication, il faut le mener sans avoir peur.

Récemment, j’ai rencontré une famille du Calaisis qui a eu à connaître la proximité avec la jungle de Calais. Ces gens me confiaient voter RN depuis des années et y avoir renoncé après m’avoir entendu argumenter sur les causes des migrations et le fait qu’il était vain de déplorer l’arrivée de ces pauvres gens sur notre sol si, dans le même temps, on applique des politiques qui concourent à les obliger à quitter leur propre pays.

 

 

Les Rouges, les Verts, et les municipales

Pendant l’été, le député insoumis François Ruffin a appelé les « Rouges » et les « Verts » à se « causer ». Seriez-vous favorable à un rapprochement avec Europe Écologie-Les Verts (EELV) ?

Évidemment que le social et l’écologie sont indissociables. Le partage des richesses, la hausse des salaires, la réindustrialisation du pays et des investissements considérables sont nécessaires pour accomplir la transition écologique dans le temps imparti. Aujourd’hui, la question climatique est omniprésente dans l’actualité et tout le monde, ou presque, se définit à présent comme écologiste. Même Emmanuel Macron, qui a pourtant fait ratifier le CETA au beau milieu de l’été. En ce qui nous concerne à LFI, le lien entre le « rouge » et le « vert » est un acquis de tellement longue date, c’est une telle évidence, que nous l’avons dépassé depuis longtemps. La bifurcation du modèle par la planification écologique est la colonne vertébrale de notre programme et c’était déjà le cœur de la campagne de Jean-Luc Mélenchon en 2012, alors qu’il était candidat du Front de gauche.

On a eu l’impression, pendant les européennes, qu’EELV et vous vous êtes lancés dans une course à l’échalote sur le thème « qui sera le plus écolo »…

Le débat entre l’ensemble de ceux qui se disent écologistes est le suivant : les scientifiques nous disent que le temps est limité pour relever ce défi d’ampleur et que notre modèle d’organisation est en cause. S’il faut donc changer de modèle dans un temps limité, vous conviendrez qu’il s’agit de prendre des décisions politiques radicales et qu’on ne peut pas faire dans la demi-mesure et attendre que les petits ruisseaux et la vertu individuelle fasse de grandes rivières ! Donc, disons-le tout net : il s’agit de rompre avec un modèle qui a vécu son temps, apporté son lot de progrès mais aussi de conséquences désastreuses et qu’il faut à présent remplacer. Je veux parler du capitalisme mondialisé financiarisé et de son bras armé qu’est le libéralisme économique, qui pousse à la concurrence libre et non faussée et à la compétition généralisée. À cela, il faut substituer la relocalisation de nos activités, la coopération et planifier de grandes transitions agricoles et énergétiques.

Cette idée n’est pas consensuelle. En bon capitaliste, face à la crise climatique, vous ne vous direz pas « mais LFI a raison, changeons tout ! », mais « ça va se réchauffer, investissons dans la climatisation ! » ou « l’eau va monter, achetons des bouées ! ». Tel que le problème est posé, l’écologie n’est pas un sujet débarrassé de conflictualité.

À EELV, ils ne disent pas autre chose, si ?

J’observe qu’au sein d’Europe Écologie-Les Verts, tout le monde ne semble pas encore parfaitement au clair sur cette idée, mais qu’il y a néanmoins une évolution positive. Je l’espère désintéressée et pas trop assise sur l’ivresse post-européenne de cette formation qui a réalisé un bon score. En tout cas, et même si des débats demeurent entre nous, les prises de position récentes de David Cormand sur le sujet m’apparaissent comme beaucoup plus claires que celles de Yannick Jadot. LFI est disponible pour discuter et travailler avec ceux qui pensent que relever le défi climatique est incompatible avec l’actuel modèle de développement économique capitaliste et libéral.

Pensez-vous faire des listes communes avec Les Verts aux municipales ?

Pour les municipales, notre mouvement s’est fixé pour cahier des charges de faire de cette échéance une nouvelle étape dans la dynamique d’implication citoyenne, et dès lors que nous sommes en accord sur le fond, nous souhaitons que d’autres forces associatives, politiques, syndicales, citoyennes, puissent appuyer avec nous ces dynamiques. Ce n’est évidemment pas lors des élections municipales et de leurs multiples réalités locales que nous allons débattre avec EELV de nos désaccords sur la question européenne !

Sur les municipales, votre stratégie qui consiste à se greffer derrière des initiatives locales ne risque-t-elle pas de vous invisibiliser ?

Par nature, LFI est plutôt attachée à l’idée d’une lisibilité stratégique nationale à l’occasion des différents scrutins. Ceux qui ont connu l’expérience du Front de gauche savent que les stratégies à géométrie variable selon les choix des partis qui le composaient ont contribué à sa chute. Mais pour les élections municipales, c’est mission impossible.

Il n’y aura donc pas d’unicité stratégique nationale pour les municipales… Vous changez donc totalement de braquet par rapport aux législatives !

Nous avons adopté un texte stratégique qui est notre « cahier des charges » pour les municipales. Nous abordons ces élections d’une autre manière. Puisque que nous considérons que la solution c’est le peuple et son implication, nous voulons faire de cette échéance une occasion de faire un bond en avant sur le front de l’implication citoyenne. En clair, il ne s’agira plus de dire, comme tous nos concurrents : « Coucou, votez pour nous parce que nous sommes les meilleurs, que nous avons le meilleur programme et que nous respectons nos promesses », mais plutôt : « Impliquez-vous dans les affaires de la commune et, pourquoi pas, siégez vous-même au conseil municipal ! ».

Concrètement, à quoi ressemblera la campagne ?

Pour l’été et la rentrée, la tâche des Insoumis consiste à accompagner l’auto-organisation dans les quartiers populaires. Dans beaucoup d’endroits par exemple, des citoyens engagent des rapports de force avec leurs bailleurs sociaux défaillants, par exemple sur les ascenseurs en panne – un grand classique. Avec des méthodes d’action collective et le renfort des Insoumis, ils gagnent des petites batailles qui redonnent foi en l’action collective. La présentation des listes n’est pas le point de départ de la campagne mais bien une construction au cours de la campagne en permettant aux citoyens en accord avec notre démarche de devenir eux-mêmes candidats – même s’ils ne l’avaient pas prévu au départ – et aux forces constituées qui le souhaitent d’appuyer cette démarche à leur tour.

Pour résumer en termes « politiciens », il y aura donc des endroits où LFI soutiendra des dynamiques citoyennes, avec d’autres forces politiques ou seule, des endroits où la meilleure solution sera une liste de LFI, bref, une multitude de cas particuliers, comme pour chaque élection municipale ! Mais pour se revendiquer de LFI ou obtenir son soutien à l’occasion de cette échéance, il faut être en accord avec quelques marqueurs programmatiques et stratégiques que nous avons rendus publics. Par exemple, LFI ne soutiendra que des listes qui seront claires dans leur opposition aux politiques du gouvernement, compte tenu des conséquences sur les conditions de vie des citoyens et sur l’étranglement financier des collectivités locales. LFI refuse de déléguer les services publics au privé et les partenariats publics privés. Elle refuse les grands projets inutiles et imposés, et exige la sanctuarisation du foncier agricole, naturel et forestier.

Visez-vous des villes en particulier ?

Forte de ses résultats à l’élection présidentielle de 2017 et aux législatives, LFI est bien implantée de par ses groupes d’action dans de nombreux endroits du pays. Les endroits où les méthodes d’auto-organisation ont été expérimentées sont ceux où nous résistons le mieux lors des élections européennes. À la fin du mois de septembre, les Insoumis se réuniront dans chacune des communes d’implantation pour définir leur plan de bataille, compte tenu de la situation locale, et en informeront le comité électoral national qui est habilité à délivrer le soutien de LFI. Nous y verrons alors plus clair. Nous devrions être présents dans 500 communes de plus de 10 000 habitants, dont 300 des 450 communes de plus de 20 000.

Vous présenterez-vous à Lille ?

À Lille, bien sûr, nous serons présents ! En ce qui concerne la question de ma candidature, je rendrai publique et motiverai ma décision personnelle avant la tenue des assemblées communales de LFI [fin septembre, donc – ndlr].

 

La rentrée parlementaire, le procès à venir

 

En attendant, il y a la rentrée parlementaire. Comment l’abordez-vous ?

 

La prochaine station choisie par Macron, ce sont les retraites. Tout un symbole issu de la Libération. Le rapport Delevoye conforte l’idée que nous nous faisions de la réforme annoncée des retraites. C’est la même logique que celle utilisée pour justifier la casse du code du travail : derrière la prétendue simplification d’un système jugé trop complexe, il y a la destruction d’un modèle social. Alors que l’on vit plus longtemps notamment parce que l’on travaille moins longtemps, avec la réforme des retraites par points, Emmanuel Macron entend pousser les français à travailler jusqu’à 64 ans, c’est-à-dire au-delà de l’espérance de vie en bonne santé. Avec le système par points, vous cotisez pour cumuler des points dont la valeur peut être modifiée. Vous savez combien vous payez mais vous n’avez aucune certitude sur le montant de votre pension. Pour beaucoup, cela va procéder à une baisse des pensions. Ce n’est pas acceptable. Dans la loi Pacte (celle qui contient notamment la privatisation d’Aéroports de Paris), Macron encourage les produits de retraite par capitalisation. Celles et ceux qui en auront les moyens pourront faire sécession et se constituer leur propre retraite. Pour tous les autres, ce sera retraite par points et donc travail sans fin ! Il ne faut pas que cette régression passe…

 

Que proposez-vous pour que cette loi ne passe pas ?

 

Pour nous, la retraite, ce doit être 60 ans, et à taux plein. C’est tout à fait finançable par la mise à contribution des revenus financiers des entreprises, l’élargissement de l’assiette des cotisations et la relance de l’activité que nous appelons de nos vœux par la hausse des salaires et la planification écologique. Plus de salaire et plus d’emplois, c’est aussi plus de cotisations. Nous avons besoin d’un front uni pour empêcher Macron de saborder la retraite des Français. Pas question de subir à nouveau les erreurs de division qui nous ont fait avaler la casse du code du travail et le hold-up fiscal en faveur des plus riches. Nous avons aussi payé dans les urnes la division dans la rue. Il n’est plus possible de se planter. Il faut avancer en rang serré. Avec le budget, la PMA – que nous soutenons –, les sujets de la rentrée ne manqueront pas à l’Assemblée !

 

La rentrée est aussi le temps de la mobilisation contre la privatisation d’ADP. Et force est de constater qu’il manque énormément de signatures pour faire fonctionner le référendum d’initiative partagée que vous appelez de vos vœux…

 

Nous sommes contre la privatisation car nous connaissons le précédent de l’aéroport de Toulouse-Blagnac réalisé par Macron alors ministre de François Hollande. Nous savons qu’elle n’a aucune justification économique et que, parce qu’il est question de trafic aérien, il est aussi question d’écologie. Pour autant, sur nos stands de collecte de signatures, nous recevons des citoyens qui, bien qu’ils ne soient pas hostiles à la privatisation, pensent que le débat mérite d’être organisé et que la question doit être posée au peuple français. Il ne faut donc s’interdire de convaincre personne. Nous allons redoubler d’efforts dès cette rentrée et continuer à contribuer largement à cette collecte de signatures. Il faut assurer la contagion à tout le pays.

 

Il y a enfin une actualité qui vous est propre, celle du procès en correctionnelle qui aura lieu mi-septembre. Une demi-douzaine d’Insoumis, dont Jean-Luc Mélenchon, sont appelés à comparaître devant les juges de Bobigny pour répondre de leur comportement lors des perquisitions qui ont eu lieu au siège de LFI l’an dernier. Comment vous y préparez-vous ? Allez-vous en faire un procès politique ou, au contraire, jouer la discrétion ?

 

Ce n’est pas nous qui allons en faire un procès politique. C’est un procès politique ! C’est inédit d’envoyer quatre parlementaires d’un groupe d’opposition devant un tribunal correctionnel ! Quatre parmi les quinze présents sur les lieux de la perquisition. J’attire votre attention sur le fait que ce procès ne traitera pas du fond de l’affaire des assistants parlementaires ou des comptes de campagne, qui étaient les éléments déclencheurs des perquisitions au siège de LFI. Le procès en correctionnelle est une diversion pour faire oublier les enquêtes préliminaires. La première fait suite à une dénonciation d’une eurodéputée du Front national qui prétendait que 17 eurodéputés français utilisaient les services de leurs assistants pour faire autre chose que leur travail d’assistant parlementaire après que le FN eut lui-même été mis en cause. Sur les 17 eurodéputés que cette femme a dénoncés, il y en a de toutes les étiquettes de l’échiquier politique. Mais seul Jean-Luc Mélenchon a été perquisitionné chez lui, ainsi que ses assistants. Pourquoi ?
Quant à nos comptes de campagne de l’élection présidentielle, bien que validés par la commission des comptes, ils firent l’objet d’une dispute interne à la commission, qui a finalement préféré tout mettre entre les mains de la justice. Mais où en sommes-nous ? Je suis toujours intéressé par le fait de savoir où le mouvement dans lequel je milite a contrevenu à la loi. Quand je compare ce qu’a coûté la campagne de 17 mois menée par Jean-Luc Mélenchon à celle de M. Macron, où y a-t-il eu surfacturation ? Lors du procès de septembre, il ne s’agira pas du tout du fond de l’affaire. Il s’agira de juger une réaction à l’opération d’une ampleur incroyable déployée contre nous.

 

Pourtant, la justice vous reproche d’avoir voulu entraver les perquisitions en ayant recours à des « actes d’intimidation contre l’autorité judiciaire », mais aussi de « rébellion et provocation » (lire ici!

 

Il est faux de dire que nous avons voulu empêcher les perquisitions. Nous voulions simplement en être les témoins, comme l’étaient certains de nos collègues députés que la police a laissés entrer plus tôt dans la matinée sur les lieux sans difficulté. Je ne comprends toujours pas pourquoi nous étions retenus à l’extérieur des locaux, contrairement à nos collègues présents à l’intérieur. Mais surtout, ce jour-là, nous étions certains d’être soutenus largement. Nous avons commis une erreur d’appréciation. Personne n’est venu au renfort de LFI, perquisitionnée dans une quinzaine d’endroits différents du pays ce matin-là.

 

 

Mais je fais le lien avec ce que je constate à travers le monde : le lawfare est l’arme judiciaire de l’autoritarisme libéral. Vous ne croyez tout de même pas qu’avec un score de près de 20 % au cœur d’un des pays les plus capitalistes d’Europe ils allaient nous laisser dormir tranquilles ? Si à l’occasion de ce procès, on pouvait davantage interroger le deux poids deux mesures, la proportion des moyens déployés et le fond de l’affaire, plutôt que de resservir jusqu’à l’indigestion des images mille fois vues, peut-être que l’opinion s’en porterait mieux.

Source : Médiapart

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