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Réforme des retraites : mais si, c’est très clair !

A la matinale de France Inter, le chroniqueur économique Dominique Seux (par ailleurs directeur délégué des Echos) est bien embarrassé. Il a décidé de consacrer sa chronique du jour à la réforme des retraites. Seul souci : il n’a aucune information. Depuis le dernier changement de pied d’Emmanuel Macron, on est dans le brouillard. Alors il s’en sort par des blagues. Il réclame «de la transparence» et du «débat», mais il le réclame pour rire, comme pour signifier qu’il n’est pas dupe de l’entourloupe que le gouvernement est en train de monter. D’ailleurs, on entend des rires, derrière lui. On rit beaucoup, dans la matinale de Nicolas Demorand et Léa Salamé. C’est une manière de signifier qu’on est bien ensemble, tôt le matin, même si on ne pense pas la même chose. On est compatibles. Le chroniqueur politique Thomas «écolo-mais-pas-trop» Legrand est compatible avec Dominique «patronal-mais-sympa» Seux. Jamais Seux et Legrand, pourtant assis à la même table, ne se heurtent frontalement. Jamais le premier ne traite le second d’adepte de la lampe à huile ni inversement de suppôt de Bernard Arnault (propriétaire des Echos). On se retrouve autour de la dénonciation rigolarde des entourloupes du pouvoir.

Ce dossier des retraites, on dirait parfois que la presse l’embrouille volontairement. Je me lance : c’est pourtant relativement simple. A propos du changement de pied de Macron, justement. Ça se passe à la fin du G7. Dans les semaines précédentes, toute la presse a spéculé sur l’instauration possible d’un «âge pivot» de départ en retraite, à 64 ans. Instaurer un «âge pivot», c’est comme reculer «l’âge légal», mais sans le dire. On pourra toujours partir avant, mais on touchera une sous-retraite. C’est à «l’âge pivot» que la sous-retraite deviendra une retraite normale. Et quelques années plus tard encore qu’on pourra prétendre à une retraite premium.

Donc, à la clôture du G7, à la fin d’une interview consacrée à l’Iran et aux incendies en Amazonie, Emmanuel Macron annonce que sa préférence, tout bien pesé, le porte à modifier le nombre d’annuités de cotisations, plutôt qu’à instaurer un âge pivot. Paf, en cinq secondes, exit l’âge pivot. Désormais, c’est après un certain nombre d’annuités que la sous-retraite deviendra une retraite normale. Dès le lendemain, c’est un festival de commentaires sur les chaînes d’info, sur le «virage du quinquennat», sur la «jambe gauche» retrouvée du Président, «la main tendue à la CFDT», etc., etc. En réalité, même si le critère «âge pivot» ou le critère «annuités» avancent ou retardent l’âge effectif du départ selon les carrières, ce choix ne change rien au point fondamental de la réforme prévue : l’arrivée de la retraite à points. Le dilemme annuités / âge pivot fera des (petits) gagnants, et des (petits) perdants. La retraite à points ne fera que des perdants (aux pertes potentiellement sans limites).

Là encore, c’est très simple. Au cours de la vie professionnelle, dans le système «à points», chaque euro cotisé donne droit à un certain nombre de points (on parle d’une «valeur d’achat»). A la retraite, ces points permettent de racheter des euros de pension (ce qu’on appelle une «valeur de service»). Valeur d’achat ou valeur de service n’ont évidemment pas la même valeur. Qu’augmente la «valeur d’achat», ou que baisse (ou augmente moins vite que l’inflation) la «valeur de service», et toutes les retraites diminuent. Hop, d’un seul coup. «Le système des points, ça permet une chose, qu’aucun homme politique n’avoue. Ça permet de baisser chaque année la valeur des points, et donc le niveau des pensions», traduisait François Fillon, lors de la primaire de la droite de 2016, devant un aréopage de patrons, extrait vidéo qui viralise aujourd’hui sur Internet. Des milliards d’euros de diminution, quasi indolore. Résultat ? Terminé les âges pivots et les annuités, les retraités pauvres seront amenés à cotiser de longues années supplémentaires pour décrocher une retraite correcte. Un système simple, lisible, mécanique. Un rêve de gestionnaire. Le nouveau monde. Est-ce que ça ne va pas mieux en le disant ?

Contrairement à ce que prétend Dominique Seux, le gouvernement a parfaitement dit où il allait. Simplement, il n’a pas donné de délai. La question centrale, c’est la retraite à points. Tout le reste ne sera qu’habillage et rideau de fumée. Tout édito, chronique, enquête sur la réforme des retraites qui, même factuellement exacte, passerait ce point sous silence, participe au rideau de fumée.

Daniel Schneidermann
Source : Libération

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