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"Justice politique" : pourquoi la garde des Sceaux et les Insoumis ne sont pas du tout du même avis

"En aucun cas" il n’existe de "justice politique" en France : la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, s’est dite "assez stupéfaite", lundi matin au micro de France Inter, des accusations portées par les signataires d'une tribune publiée dans le JDD, parmi lesquels le député de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon. Dimanche, plus de 200 personnalités des mondes politique, associatif, universitaire et artistique se sont alarmées de ce qu’elles estiment être une utilisation de la justice comme "arme de persécution politique".

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"Un seuil est en train d’être franchi", selon les signataires, "presque partout dans le monde". Et de citer notamment le Brésil, l’Argentine, la Mauritanie, l’Egypte, la France, la Russie, le Cambodge où les Philippines, où sévirait ce qu’ils nomment le lawfare, à savoir "l’instrumentalisation de la justice pour éliminer les concurrents politiques".

Perquisition au siège des Insoumis : Mélenchon dénonce un "procès politique"

Jeudi, à la sortie de la prison brésilienne où il venait de visiter l’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva, Jean-Luc Mélenchon avait évoqué le "procès politique" qui l’attend à la fin du mois, ajoutant : "Ce sera un moment très triste pour mon pays, parce qu’il n’y avait pas eu de procès politique en France depuis la période de la guerre d’Algérie."

Le leader Insoumis et cinq de ses proches sont attendus les 19 et 20 septembre devant le tribunal correctionnel de Bobigny, où ils comparaissent pour "intimidation, rébellion et provocation contre l’autorité judiciaire". Lors d’une perquisition tumultueuse au siège du parti en octobre 2018, le député et ses soutiens avaient vivement apostrophé les policiers.

Justices française, russe, brésilienne… un "amalgame insupportable" pour Nicole Belloubet

La garde des Sceaux a protesté contre un "amalgame insupportable et inacceptable". Si elle reconnaît que "dans un certain nombre d’Etats, la justice est le premier maillon attaqué quand on veut mettre fin à l’Etat de droit", Nicole Belloubet s’est fendue d’un sarcasme : "il me semble qu’il y a une petite nuance entre l’indépendance qui est réelle en France, et ce qui se passe en Russie ou dans d’autres pays". Avant de réitérer les accusations de "paranoïa" qu’elle avait déjà formulées à l’encontre de Jean-Luc Mélenchon, fin 2018, après les premières critiques du leader des Insoumis et de son entourage.

Cette psychiatrisation du débat est inacceptable. Que la ministre réponde sur le fond

"Cette psychiatrisation du débat est inacceptable, a immédiatement rétorqué sur Twitter le coordinateur de La France insoumise, Adrien Quatennens. Que la ministre réponde sur le fond : le deux poids deux mesures, la disproportion des moyens..." Lundi, s’était pour sa part indigné sur le réseau social du classement sans suite de la plainte de son assistante, "frappée et jetée au sol pendant la perquisition […]. Mais les pauvres policiers traumatisés par nos cris sont reconnus partie civile et leur avocat Dupond-Moretti payé par l’Etat."

Derrière l’accusation de "procès politique", le soupçon d’un parquet "aux ordres" du gouvernement

Des critiques qui s’appuient sur la suspicion, souvent remise sur la table, d’un parquet inféodé à l’exécutif. Si un certain nombre de magistrats du siège sont nommés par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), c’est bien la garde des Sceaux qui propose le reste des nominations, sur "avis conforme" du CSM. Le parquet dépend donc hiérarchiquement de la ministre, même si celle-ci a rappelé lundi sur France Inter qu’elle ne donne "strictement aucune instruction sur les affaires individuelles".

La justice ne saurait être hors de tout, sauf à risquer d’être légitime de nulle part

De nombreuses voix des mondes politique et judiciaire se sont déjà élevées pour demander la fin de cette ambiguïté statutaire. "Dans le projet de révision constitutionnelle que j’ai présenté en conseil des ministres il y a quelques jours, nous franchissons un pas supplémentaire sur le statut du parquet, a aussi affirmé Nicole Belloubet. Les procureurs ne seront plus nommés que sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, lequel aura l’entièreté du pouvoir disciplinaire." Mais les réformes se bousculant au Parlement jusqu’à la fin de l’année, la révision de la Constitution ne devrait pas être votée de sitôt.

Emmanuel Macron a en outre exclu tout projet d’une autonomie totale du parquet. Si "la justice doit être indépendante, elle ne saurait être hors de tout, sauf à risquer d’être légitime de nulle part", déclarait-il en octobre 2018 lors de l’examen de la réforme de la justice. L'Etat a pourtant déjà été épinglé sur le sujet par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui estimait en 2010 que le procureur, en France, n’est pas une autorité judiciaire indépendante.

Source : Le journal du Dimanche

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