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Quand le mouvement climat deviendra écologique…

 

Depuis l’automne dernier, les grèves scolaires de la jeunesse et les opérations de blocage d’infrastructures polluantes par Ende Gelände en Allemagne ou Extinction Rebellion (XR) en France ont enfin réintroduit dans le « mouvement climat » des formes de contestation moins apprivoisées. Elles n’ont pourtant pas réussi à entamer la détermination de l’oligarchie à poursuivre – si besoin par la violence – dans la voie d’une politique socialement et écologiquement destructrice. Les chantiers et les écueils qui attendent l’écologie dans les mois à venir sont donc nombreux.

Sans évoquer ici la question brûlante du rapport aux institutions (quelle stratégie imaginer, qui ne se contente pas d’une position d’hostilité absolue à l’État, sans tomber dans l’illusion d’une coopération avec le pouvoir ?), disons d’abord que le mouvement climat doit sortir de l’« entonnoir climatique » dans lequel il s’est laissé enfermer, pour devenir écologiste à part entière. Car, enfin, l’objectif est-il de parvenir, grâce à un peu de sobriété énergétique et beaucoup de solutionnisme technologique, à une société « décarbonée » qui maintiendrait l’essentiel du mode de vie et des structures sociales actuels (mais en nous déplaçant dans des avions solaires, des voitures à hydrogène et en consommant de la viande synthétique) ? Si oui, ayons confiance : les ingénieurs du capitalisme vert y travaillent, les « solutions » arrivent, même si elles nous conduiront paradoxalement à brûler jusqu’à la dernière goutte de pétrole et à cacher dans les pays pauvres les pollutions que généreront nos nouvelles énergies « propres ». Faire de la « neutralité carbone » l’étendard de la lutte dépolitise l’écologie et dissimule les causes véritables de la catastrophe : c’est le type même de l’objectif technocratique et manipulable dont le capitalisme raffole, l’une de ces « contraintes » dont il a besoin pour créer de nouvelles sources de profits et qu’il intégrera « comme il a intégré toutes les autres (1) ». Une société peut très bien réussir à se donner les apparences de la « neutralité carbone » sans cesser d’être en réalité écologiquement prédatrice et ultra-inégalitaire (2). Faire décroître drastiquement et rapidement les émissions carbone est évidemment indispensable, vital même : mais en faire le fil d’Ariane de la lutte est un piège dont il faut sortir au plus vite. L’écologie n’est pas une affaire de comptabilité d’émissions : elle doit être une transformation de notre rapport quotidien et pratique au monde, qui élargisse la sphère de la politique au monde sensible et aux « non-humains » (plantes, oiseaux, fleuves et montagnes, mais aussi insectes, étangs, vers de terre…).

Mais il faut pour cela identifier l’ennemi. Il ne suffit donc pas de tirer la politique hors de sa définition anthropocentrique ; il faut, dans le même temps, faire accoucher l’écologie de la justice sociale qu’elle porte dans ses flancs. Que la catastrophe climatique mobilise surtout les habitants blancs et diplômés des métropoles, appartenant aux classes moyennes supérieures de la population, n’a rien d’accidentel dès lors que les slogans du mouvement climat et de sa pointe avancée, la collapsologie, traduisent sous une forme sublimée (« sauver le climat ») les inquiétudes que cette couche urbaine jusqu’à présent épargnée a de voir disparaître son monde et ses conditions de vie (3). C’est seulement quand le mouvement climat parviendra à percevoir comme aussi intensément urgentes et écologiques des questions sociales a priori étrangères au climat (les violences policières, l’écrasement des classes pauvres, le racisme, le patriarcat, la casse du code du travail ou de l’hôpital) que l’écologie cessera d’être cette préoccupation « bourgeoise » qu’elle est partiellement devenue dans les pays du Nord. Pour cela, il faut se réarmer intellectuellement et comprendre à nouveaux frais, sans se laisser épouvanter par les fantômes du passé, comment le capitalisme, appuyé sur une apparence trompeuse de démocratie représentative, tend par nature, depuis son apparition, à détruire la vie sur Terre et à rendre impossible toute forme de société digne et égalitaire.

Par Maxime Chédin / Philosophe et coanimateur de la revue Terrestres.

Source : Politis

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