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Pesticides : comprendre le débat en cinq points

L’actualité s’est emballée autour de la question des pesticides, les bourrasques de déclarations en tous sens, tels les épandages au printemps. Avez-vous du mal à suivre ? Reporterre vous fait le résumé pour que vous puissiez prendre le tracteur en marche.

1. Pourquoi le gouvernement a-t-il été contraint de lancer une consultation sur les pesticides ?

L’annonce de cette consultation a été faite par les ministres de la Santé, de l’Agriculture et de la Transition écologique le 7 septembre : « Le gouvernement est déterminé à renforcer la protection de la santé des populations riveraines des zones de traitement des cultures », ont-ils proclamé dans un communiqué commun. Ils révélaient alors les distances minimales entre zone d’épandage et zones d’habitation retenues par le gouvernement, à savoir dix mètres pour les substances les plus dangereuses, la viticulture et l’arboriculture et cinq mètres pour les cultures basses telles que les céréales. Mise en ligne lundi 9 septembre, cette consultation demande leur avis aux citoyens internautes sur un projet d’arrêté et un projet de décret relatifs à « la protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d’habitation ».

Le gouvernement était contraint de prendre ces textes. « Ce n’est pas du tout une mesure novatrice du gouvernement », observe Me François Lafforgue. « L’obligation de protection de l’environnement et des riverains pèse sur l’État depuis une directive européenne de 2009 et on a toujours été confronté à sa résistance sur ce sujet. C’est par la pression des associations et de la justice que le gouvernement a été obligé de prendre ces dispositions. » L’avocat a porté le recours des associations Eau et rivières de Bretagne, Générations futures et de l’Union syndicale Solidaires contre ce que les connaisseurs appellent « l’arrêté Phytos ». Cet arrêté de mai 2017 encadre les épandages de pesticides en France. Mais il ne protège pas aussi bien la population que le demande l’Union européenne. C’est sur cette base que le Conseil d’État a donné raison aux associations et au syndicat le 26 juin dernier : une partie de « l’arrêté Phyto » a été annulée. Le Conseil d’État a donné jusqu’à la fin de l’année au gouvernement pour reprendre sa copie.

Par ailleurs, la consultation aussi était obligatoire. « L’application du Code de l’environnement oblige le gouvernement à faire une consultation de trois semaines sur ce type de textes », rappelle la députée Delphine Batho.

Les distances minimales entre zone d’épandage et zones d’habitation retenues par le gouvernement sont de dix mètres pour les substances les plus dangereuses, la viticulture et l’arboriculture et de cinq mètres pour les cultures basses telles que les céréales.

2. Quel rapport avec les maires qui prennent des arrêtés antipesticides ?

« L’arrêté Phyto » de 2017 ne prévoyait pas de distance minimale entre les zones d’habitation et les zones d’épandages. Des maires ont donc décidé de pallier cette absence et de prendre eux-mêmes des mesures de protection des habitants. Nos confrères de France Inter ont repéré des maires qui ont pris des arrêtés restreignant l’usage des pesticides sur leurs communes dès 2012, puis surtout en 2016 et 2017. Le plus médiatisé a été le maire de Langouët (Ille-et-Vilaine), Daniel Cueff. Son arrêté a été pris le 18 mai 2019 et interdit les épandages à moins de 150 mètres des habitations. « Des habitants de Langouët ont fait des analyses d’urine et certains d’entre eux, y compris des enfants, avaient des taux de glyphosate 30 fois supérieurs à ce qui est autorisé dans l’eau potable », raconte l’élu. « La préfète m’a envoyé une lettre me demandant de retirer tout de suite mon arrêté, et a fait un communiqué indiquant que sinon elle me mettrait au tribunal. » Une initiative qui n’a pas eu l’effet escompté : « J’ai reçu des milliers de soutiens. »

3. Où en est la mobilisation des maires ?

Hier mardi 10 septembre, un premier département rejoignait la mobilisation des communes, le Val-de-Marne. Son président, Christian Favier, a pris un arrêté interdisant l’usage des pesticides contenant du glyphosate ou des perturbateurs endocriniens. « L’arrêté a une portée symbolique avant tout, il est pris en solidarité avec les maires, et on souhaite enclencher un mouvement parmi les départements pour maintenir ce sujet de société sur le dessus de la pile », nous indique-t-on au cabinet du président.

Chaque semaine, la liste des désobéissants s’allonge. « Nous sommes désormais 52 », a annoncé le 10 septembre la mairesse de Revest-des-Brousses (Alpes-de-Haute-Provence), Brigitte Reynaud. Elle a choisi de porter la distance de sécurité à 500 mètres dans son village. « Nous menons une cause juste, notre arrêté n’est pas illégal, a-t-elle estimé. J’invite tous les maires à nous rejoindre ! »

4. Cinq mètres, dix mètres ou 150 mètres ?

Cinq mètres pour les cultures basses, dix pour les cultures hautes et les substances dangereuses : cette distance ne satisfait les associations de protection de l’environnement, de défense des victimes des pesticides et des riverains de cultures.

La proposition du gouvernement s’appuie sur un avis de l’Anses, l’agence nationale de sécurité sanitaire, publié le 14 juin 2019. Mais l’agence reconnaît d’emblée des problèmes de méthodologie. « L’évaluation de l’exposition des personnes présentes et des résidents repose sur des données limitées issues d’études effectuées dans les années 1980 », apprend-on à la lecture de l’avis. Cette méthodologie « permet une estimation de l’exposition (…) uniquement à des distances de 2, 3, 5 et 10 m », poursuit-il quelques pages plus loin. C’est donc par défaut, parce que la méthodologie n’a pas permis d’évaluer les risques pour d’autres distances, que l’Anses recommande ces distances de 5 et 10 mètres. Les distances de sécurité « devraient être au moins égales aux distances introduites dans l’évaluation des risques (…) ou supérieures, par mesure de précaution en particulier pour les produits classés cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction », conclut l’Agence.

« C’est une expertise frelatée, affirme Stéphen Kerckhove, de l’association Agir pour l’environnement. Depuis les années 1980, il y a eu l’arrivée des néonicotinoïdes et de plein d’autres nouveaux produits qui se répandent différemment dans l’environnement. Il n’est pas acceptable que le gouvernement s’appuie sur des données vieilles de 40 ans pour justifier son inaction ! »

L’association Générations futures, de son côté, recommande des distances d’au moins 100, voire 150 mètres, dans la lignée de l’arrêté du maire de Langouët. « Nous sommes un des premiers pays en Europe à mettre en place des zones de non-traitement devant les habitations », expliquait le 7 septembre au soir, sur RTL, le ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume. « S’il fallait amputer les champs français de 150 mètres partout, cela pourrait représenter entre 20 et 30 % de la surface agricole cultivée. (…) Ce serait un drame. »

Le ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, début septembre à la foire de Châlons-en-Champagne.

5. Et maintenant ?

La consultation du gouvernement doit durer trois semaines (donc encore deux semaines et demie). Elle affichait 5.387 commentaires mardi 10 septembre au soir. Europe Écologie-Les Verts a même mis en place un site, consultationpesticides.fr, pour « inonder la consultation de commentaires ».

Une fois la consultation terminée, il est encore possible que le gouvernement modifie ses textes en fonction des commentaires. « Si la consultation n’aboutit pas à une modification, nous mènerons une action judiciaire contre le nouvel arrêté, et bien entendu la mobilisation des maires se poursuivra », indique Me Lafforgue.

Source Reporterre

 

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