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La « consigne » des bouteilles en plastique, cadeau du gouvernement aux industriels

 

« La guerre à la pollution plastique est déclarée » , avait promis la secrétaire d’État à la Transition écologique, Brune Poirson. Annoncé en grande pompe au début de l’été, le projet de loi anti-gaspillage devait incarner « un vrai tournant environnemental » et matérialiser les ambitions du gouvernement en matière d’économie circulaire.

Las, le texte semble plutôt révéler l’hypocrisie de la communication présidentielle, son décalage entre ses discours et ses actes. En débat aujourd’hui au Sénat, le projet de loi reçoit une levée de boucliers. Un large consensus traverse les bancs de l’hémicycle, des Républicains aux communistes, en passant par les écologistes, pour critiquer son « manque de vigueur » et son « imposture ».

Au cœur de la polémique, la consigne avive les passions. Sous couvert de remettre au goût du jour une mesure plébiscitée par les Français, le texte ouvre la voie à une privatisation de la collecte et du recyclage au profit de grands groupes industriels. Le président de la commission sénatoriale, Hervé Maurey (UDI-UC), dénonce rien de moins qu’une « régression écologique ».

« Le gouvernement a exclu de son dispositif les bouteilles en verre »

À l’origine demeure un flou savamment cultivé par le gouvernement. « Un jeu sur les mots qui frise l’escroquerie », fustige le parlementaire Guillaume Gontard, vice-président de la Commission aménagement du territoire et développement durable au Sénat. Par consigne, le gouvernement entend simplement le recyclage des bouteilles en plastique à usage unique et non le réemploi des emballages ménagers. Dans le scénario prévu par le projet de loi, le consommateur devra payer une consigne fixée à environ 15 centimes d’euros en plus du prix de sa bouteille ou de sa canette. Il sera remboursé s’il rapporte sa bouteille dans les points de collecte afin que celle-ci soit recyclée.

« L’objectif visé est d’améliorer le tri, explique Laura Chatel, chargée de mission au sein de l’association Zero Waste. L’incitation économique permettrait sûrement une meilleure performance. Mais nous sommes très loin de l’idée traditionnelle de la consigne, celle d’antan, de nos grands-parents avec leurs bouteilles de lait ou de vin  », précise-t-elle. À l’époque, la consigne était utilisée pour récupérer l’emballage en bon état, le laver et le remplir à nouveau. Elle se concentrait surtout sur le verre. En moyenne, les bouteilles en verre pouvaient être réemployées entre 20 et 50 fois. Une manière d’étendre la durée de vie de l’emballage et d’éviter la surproduction de déchets.

« Au cours des quarante dernières années, cette consigne en verre a peu à peu disparu », observe Laura Chatel. Elle subsiste dans quelques brasseries en Alsace ou dans le secteur des cafés-hôtels-restaurants mais elle reste marginale. À l’inverse de l’Allemagne où 42 % de l’ensemble des bouteilles mises sur le marché sont réutilisées.

« Le gouvernement a exclu de sa consigne les bouteilles en verre pour se focaliser sur le recyclage des bouteilles en plastique, déplore Laura Chatel. Il fait donc l’impasse sur le réemploi alors que c’est la meilleure manière de basculer massivement et rapidement de l’emballage jetable vers le réutilisable. »

Le dispositif prôné par le gouvernement pourrait avoir des effets pervers, estime le sénateur Guillaume Gontard. « Il pérenniserait l’usage de la bouteille en plastique à usage unique en “verdissant” son image. Puisque la bouteille plastique est recyclée, on créé l’illusion que cet emballage serait propre et durable. » Pour lui, « la priorité est d’abord de sortir de la surconsommation de plastique. Malheureusement rien n’est proposé dans ce texte pour réduire à la source la production de déchets ou lutter contre le suremballage », regrette-t-il.

« Le recyclage ne permet pas d’utiliser la matière à l’infini, ajoute Laura Chatel. Les pertes en ligne sont importantes et la consommation de nouvelles ressources à chaque cycle inévitable. » Les emballages plastiques sont rarement recyclés plus d’une fois et leur taux de recyclage stagne autour de 25 %.

Cette mesure aurait donc un intérêt écologique assez faible. D’autant plus qu’en se concentrant uniquement sur les bouteilles, le dispositif ne traite pas des autres déchets plastiques qui ne trouvent aucune solution aujourd’hui : les pots de yaourts, les barquettes et autres emballages. Nicolas Garnier, délégué général au sein de l’association Amorce, qui regroupe des collectivités territoriales, rappelle quelques chiffres : « Nous produisons chaque année en France 1,1 million de tonnes de déchets plastiques ménagers, dont 360.000 tonnes de bouteilles. 200.000 sont déjà recyclées. Soit 56 %. Le taux de collecte sélective de la bouteille ménagère est le meilleur parmi tous les objets plastiques. Le gouvernement se focalise sur le gisement qui fonctionne le mieux mais ne fait rien sur le reste — les 700.000 tonnes de déchets orphelins qui ne sont recyclés qu’à hauteur de 4 %. »

La porte ouverte aux industriels privés ?

Le gouvernement espère, pour se conformer aux directives européennes, collecter à l’horizon 2020 90 % des bouteilles en plastique ménagères. Il voit dans la consigne l’élément clé pour y parvenir. Ce dispositif nécessiterait cependant des investissements conséquents. Selon le rapport d’expertise de Jacques Verdier, missionné à ce sujet par le ministère de l’écologie, il faudrait développer de nombreux points de collecte : 110.000 points de reprise, 27.000 machines de déconsignation sur l’ensemble du territoire. Pour un coût total avoisinant le milliard d’euros.

Le rapport s’appuie lui-même sur une étude du « collectif boisson » qui rassemble les grandes entreprises privées comme Coca-Cola, Nestlé ou Danone. « Le travail de ce collectif est la seule étude d’impact qui a été réalisée sur la consigne, peste le sénateur Hervé Mauroy. Normal, ce projet est directement poussé par les industriels du soda et de la boisson ! »

Au-delà de l’image écolo que ces grands groupes pourraient obtenir grâce à la consigne, se joue aussi une bataille d’ordre financière. Aujourd’hui, les professionnels de la boisson paient le « point vert », une taxe de 1 centime d’euro par bouteille destinée à financer le recyclage. La somme récoltée chaque année avoisine les 160 millions d’euros. S’il voit le jour, le projet de consigne remplacerait cette taxe et pourrait rapporter gros aux industriels. Si 10 % des acheteurs ne rendaient pas leur bouteille, 240 millions d’euros par an ne seraient pas remboursés. Qui s’occupera de ce pactole ? Les industriels du collectif boisson se positionnent pour prendre la tête de l’éco-organisme qui gérera cette somme.

« Voilà une belle manière de transformer une taxe en redevance payée par le consommateur, s’offusque Guillaume Gontard qui pointe une autre conséquence jugée néfaste. Cette consigne risque de pénaliser les collectivités territoriales qui mènent déjà ce travail de collecte, de broyage et de recyclage. On va les mettre en concurrence avec les industriels privés et leur retirer une rentrée d’argent conséquente. » En toile de fond, la marchandisation du recyclage se profile. « D’un côté, les gens pourront gagner de l’argent avec Carrefour ; de l’autre, avec les collectivités territoriales, on leur demandera de faire un effort gratuit pour trier les papiers, les cartons… On va dégrader l’image du service public du recyclage au profit de ces industriels. »

Brune Poirson s’en défend : « L’objectif du gouvernement est de travailler avec les collectivités locales pour que le projet de loi anti-gaspillage leur réaffirme toutes les garanties nécessaires pour que leurs budgets et leurs moyens d’action ne soient pas pénalisés », écrit son ministère.

Mais le doute demeure et le texte de loi a de fortes chances d’être modifié au Sénat. Les sénateurs ont proposé différents amendements pour recentrer la consigne sur le réemploi.

Laura Chatel, de Zero Waste, espère que le débat pourra ainsi s’approfondir, car « il ne suffit pas de déclarer dans une loi le retour de la consigne. Il faut également lever les freins d’ordre technique, économique et réglementaire qui incitent aujourd’hui au tout jetable ». Elle préconise le financement de laveuses industrielles qui n’existent plus et demande aussi à ce que les grandes entreprises productrices de boissons soient obligées de fabriquer un minimum d’emballages réutilisables.

La consigne pour réemploi ne pourra pas non plus fonctionner « sans une standardisation des bouteilles, des boîtes, pots et bocaux pour limiter le nombre de formats disponibles et permettre une mutualisation des emballages entre plusieurs marques » , dit Laura Chatel. Une mesure que les multinationales de la boisson ne sont pas prêtes d’accepter puisqu’elles ont fait de l’emballage un produit marketing…

Source : Reporterre

 

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