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analyses ce que dit la Convention de la droite du week-end dernier


Deux regards, ceux de l’historien Gérard Noiriel et du directeur de Reporterre Hervé Kempf, publiés ci-dessous, analysent ce qu'en dit la Convention de la droite du week-end dernier, au travers particulièrement de l’intervention d’Éric Zemmour – faut-il le considérer comme son idéologue ?
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Les médias sont complices. Les faits et les arguments pointés dans les interventions De Noiriel et de Kempf en sont la démonstration.
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Il ne faudrait pas croire que cet esprit pétainiste est confiné dans cette droite. En sont l’illustration, les évolutions des rôles de la police et de la justice, les appels à la délation, les mensonges d’état, la guerre à l’intelligence, le débat que Macron veut relancer sur l’étranger et les lois qui ont durci encore le sort des immigrés, la casse des services publics de la culture et de l’information…
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Même François Sureau, un ex conseiller de Fillon et Macron en vient à se poser la question : "Avons-nous renoncé à la liberté ?" (https://www.franceculture.fr/…/avons-nous-renonce-a-la-libe…) Des citoyens en viennent à dire : « Nous ne ferons plus barrage ».( https://blogs.mediapart.fr/…/29…/nous-ne-ferons-plus-barrage)
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Cette offensive, que certains n’hésitent plus à nommer « néo-fasciste » à un but : préserver les intérêts d’une minorité de puissants qui ont de plus en plus de mal à imposer leur choix par les moyens démocratiques et les rapports de conviction.
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C’est pour cela que nous croyons que le terrain des luttes – climatiques, sociales et démocratiques - est un des éléments déterminant de la réponse. C’est pour cela que nous soutenons toutes les initiatives naissantes de convergence, celle des associations écologistes et les gilets jaunes, celle de l’unité syndicale et des Gilets jaunes qui semble se construire pour la grève du 5 décembre…. Et il faudra bien entendu aller plus loin.
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Communistes Insoumis.e.s
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Gérard Noiriel : «Les propos d'Eric Zemmour sont une incitation à demi-mot à la guerre civile»
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Pour l'historien, spécialiste de l'immigration en France, le polémiste utilise la même grammaire identitaire que l'écrivain antisémite Edouard Drumont. Il pointe la responsabilité des chaînes de télévision qui lui accordent une tribune.
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Le discours prononcé par Eric Zemmour à la «convention de la droite» samedi et sa retransmission intégrale, et en direct, sur la chaîne LCI, ont suscité une indignation compréhensible. Ce qui est surprenant néanmoins, c’est que beaucoup semblent découvrir aujourd’hui en quoi consiste le fonds de commerce de ce journaliste polémiste et de ceux qui le soutiennent.
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Comme à son habitude, le polémiste a prononcé un discours de haine reprenant les grandes lignes de l’histoire identitaire qu’il ressasse dans ses livres. Pour ceux qui n’auraient pas encore compris, le message est politique : «Nous devons être conservateurs de notre identité» et plus loin «la question identitaire du peuple français précède toutes les autres». Alors que le mouvement des gilets jaunes avait replacé les inégalités économiques et sociales au premier plan, ce rassemblement avait pour but de séduire un électorat socialement hétéroclite qui fait encore défaut à l’extrême droite. Voilà pourquoi Zemmour affirme dans son discours que «cette question de l’identité est aussi la plus rassembleuse car elle réunit les classes populaires et les classes moyennes et même une partie de la bourgeoisie».
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La spécificité de son discours repose sur sa grammaire identitaire qui présente la situation de la France sur un mode tragique («Vous avez raison d’avoir peur») mobilisant un récit (emprunté à la rubrique des faits divers qu’il généralise) centré sur deux principaux personnages : la France (la victime) et l’Islam (l’agresseur). Ainsi les attentats islamistes annonceraient une «guerre de civilisation» risquant de transformer le pays en une «République islamique française». Toute la vision du passé et du présent est organisée à partir de ce clivage central par emboîtement de couples antagonistes : étrangers-français, musulmans-chrétiens, progressistes-conservateurs, universalistes-nationalistes. Rhétorique complotiste Une autre règle fondamentale dans la rhétorique zemmourienne consiste à inverser les relations entre dominants et dominés : les minorités (musulmans, féministes, homosexuels) sont accusées d’exercer leur domination sur le «nous Français» auquel l’auteur s’identifie lui-même. Ce «nous» lui permet notamment d’enrôler sous sa bannière des «ouvriers blancs» punis aujourd’hui, dit-il, parce qu’ils ont profité autrefois de la colonisation.
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Etant donné que la France est une victime, et qu’Eric Zemmour parle au nom de la France, il faut logiquement qu’il persuade son public qu’il est lui aussi une victime. Humilié par l’élite universitaire et brimé par les médias qui l’empêchent de s’exprimer, le polémiste reprend à son compte la rhétorique complotiste qui vise à dénoncer l'«appareil de propagande qui réunit télévision, radio, cinéma, publicité». Il va même jusqu’à parler de «dictature» en comparant notre démocratie à une forme nouvelle de «totalitarisme», alors même que son discours est retransmis en direct par LCI et que CNews s’apprête à lui redonner une chronique quotidienne.
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La multiplication des scandales dans lesquels Eric Zemmour a été impliqué depuis une quinzaine d’années explique aussi sa posture de victime, de façon à ce qu’il apparaisse comme celui qui dit tout haut ce que le peuple pense tout bas. Des pamphlétaires comme Zemmour n’existent effet qu’à la condition d’entretenir constamment le feu de la polémique. Voilà pourquoi dans son discours de samedi, il s’en prend à la minorité qu’il appelle «LGBTQ, X, Y, Z» ; et à Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement, qu’il présente ironiquement comme le «sommet de la distinction française».
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Si Zemmour a besoin de faire scandale, il doit cependant éviter les condamnations par la justice qui ternissent son image. Pour cela, le journaliste recourt à «la rhétorique du demi-mot» dans le prolongement des «petites phrases» de Jean-Marie Le Pen. Comme lorsqu’il reprend ses attaques contre la justice sans toutefois contester explicitement les condamnations qui l’ont frappé. Ou quand il évoque la thèse du «grand remplacement» de l’écrivain Renaud Camus, qu’il ne reprend jamais explicitement à son compte tout en annonçant le «remplacement d’un peuple par un autre peuple». Les islamistes s’apprêtant à «coloniser la France», Zemmour pose la question : «Les jeunes Français seront-ils majoritaires sur la terre de leurs ancêtres ?» et il enchaîne en se tournant vers le public : «Qui seront leurs Indiens et leurs esclaves ? C’est vous.»
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Bouleversements récents des médias audiovisuels A la question : «Comment se battre ?» Eric Zemmour répond que les vieux mots de la République (laïcité, intégration, droits de l’homme) n’ont plus de sens. «Jaurès et Blum n’appelleraient plus "République" ce que nous appelons aujourd’hui "République".» Ces débats sont dépassés ajoute-t-il, car aujourd’hui, «c’est le jihad partout pour tous», «l’alliance de la kalach et de la djellaba». «Les jeunes Français vont-ils accepter de vivre en minorité sur la terre de leurs ancêtres ? Si oui ils méritent leur colonisation, sinon ils devront se battre pour leur libération.»
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Implicitement, à demi-mot, ces propos sont une incitation à la guerre civile. Ce condensé de grammaire identitaire a une histoire propre. Il a été inventé par Edouard Drumont dans la France juive (1886). Pour que celle-ci puisse fonctionner, deux conditions ont été nécessaires : l’intégration des classes populaires au sein de l’Etat nation et l’émergence d’un espace public structuré par une grande presse ayant familiarisé ses lecteurs aux faits divers (crimes, attentats, scandales, «affaires»). On ne peut pas comprendre l’audience de ce pamphlet antisémite (premier best-seller politique de la IIIe République) si on ne voit pas qu’il a été publié au moment où sont nés les grands quotidiens de masse, se livrant une concurrence acharnée pour élargir leur audience. De la même manière que le personnage sulfureux de Drumont a joué un rôle majeur dans la diffusion de ses thèses antisémites, l’audience acquise par Eric Zemmour s’explique par les bouleversements récents des médias audiovisuels et des réseaux sociaux (information en continu et logique du clash).
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Les images de la chaîne LCI sont à cet égard révélatrices : Zemmour en posture du conférencier, mains cramponnées au pupitre, trémolos dans la voix, prenant à témoin son auditoire ; zoom sur le public, gros plan sur Marion Maréchal et la caution intellectuelle du jour, Raphaël Enthoven ; propos suivis d’applaudissements, de manière à convaincre les téléspectateurs qu’ils ont écouté en direct un grand penseur et un authentique résistant. Il suffit de consulter les réseaux sociaux pour constater que tous ceux qui s’identifient à Eric Zemmour savent compléter ses allusions au point de voir dans son discours des encouragements à combattre les musulmans par des moyens violents.
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On retrouve ici un processus que les historiens et les sociologues appellent «les prophéties autoréalisatrices» : les discours de haine peuvent susciter les catastrophes qu’ils annoncent en créant les conditions de leur engrenage. Et s’il faut, bien évidemment, combattre par tous les moyens ceux qui prônent le jihad, cela ne peut en aucun cas justifier la publicité faite aux thèses d’Eric Zemmour sur LCI. De même, accorder une tribune quotidienne à Zemmour sur CNews, autre chaîne d’information en continu, pour grappiller quelques points d’audimat, c’est jouer avec le feu. Si un fanatique du «grand remplacement» commet un massacre comme celui qui s’est produit il y a quelques mois aux Etats-Unis, ces chaînes télévisées en porteront une lourde responsabilité.
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La montée du fascisme - Kempf Hervé, Reporterre.fr
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En affirmant qu’« une guerre d’extermination contre l’homme blanc hétérosexuel » se livrait, Éric Zemmour a rompu une digue, marquant la progression constante des idées fascistes dans le pays. Sans que l’oligarchie y répugne vraiment. Ce qui est en jeu dans la bataille politique d’aujourd’hui, c’est notre commune humanité.
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Des mots terribles, prononcés samedi 28 septembre, ont à peine choqué. Un essayiste réputé, ayant table ouverte sur — au moins — deux grands médias du pays (Le Figaro et CNews) a pu dire que se livre « une guerre d’extermination contre l’homme blanc hétérosexuel » (à 10’20’’). Le choix du mot est terrible : « extermination ». « Action de tuer entièrement, jusqu’au dernier », nous dit le dictionnaire. Ce que, précisément, le nazisme a voulu faire au peuple juif. Parfaitement conscient de ce que les mots veulent dire, M. Zemmour a évoqué le nazisme pour désigner « l’islamisme » qui menacerait notre société. Le discours de M. Zemmour le 28 septembre M. Zemmour a pu proférer ces mensonges, cet appel à la haine, cette vision du monde terriblement régressive, sans hésiter, devant une salle pleine réunie pour « la convention de la droite ». Son discours a même été retransmis, quasi in extenso, sur LCI, une chaîne filiale de TF1, appartenant au groupe Bouygues.
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De nouveau, une digue a lâché. Pendant que les médias et une foule nostalgique célèbrent Jacques Chirac — dont un des titres de gloire aura été d’avoir posé une limite ferme entre la droite «républicaine » et l’extrême droite —, cette dernière prospère et continue à répandre ses idées avec la complaisance d’un système médiatique aux mains de l’oligarchie. Oligarchie dont un des principaux organes, le Medef, n’avait pas hésité à inviter Marion Maréchal Le Pen à son université d’été (avant d’y renoncer). Cette digue des concepts et des mots est la deuxième à lâcher, après celle des libertés publiques et de l’État de droit. Nous nous sommes habitués depuis des années à accepter que la police et l’État puissent piétiner les libertés publiques, arrêter des personnes sans motif, empêcher les gens de manifester, tuer en banlieue et éborgner dans les centres-villes.
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À ce que, en fait, l’État puisse enfreindre en permanence, plusieurs des règles qui définissent une démocratie. Ouvrant la voie à l’arbitraire généralisé quand un parti n’ayant plus les quelques prétentions démocratiques qui subsistent chez les dirigeants d’aujourd’hui parviendrait au pouvoir. Depuis quelques semestres, un débat discret agite la gauche radicale : sommes-nous ou non en voie de fascisation ? Le capitalisme n’évolue-t-il pas, pour maintenir son ordre inégalitaire et son système croissanciste, vers une forme politique que le terme d’autoritarisme ne suffit plus à définir ? On n’entrera pas ici dans ce débat un poil académique quoique très intéressant. Mais on suivra Mathieu Rigouste, un des meilleurs spécialistes des politiques répressives, quand il résume ainsi la situation : « Miliciarisation et militarisation, unification d’un bloc bourgeois autour des droites extrêmes, massification carcérale et de l’internement des “indésirables”, écrasement des résistances populaires.
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Face à la crise globale, les classes dominantes savent très bien ce qu’elles préparent. » Et de rappeler la phrase de Brecht : « Le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie mais son évolution en temps de crise. » Nous en sommes là. Est-il besoin de dire que, tant du côté de M. Zemmour que de celui du bloc bourgeois, la question écologique est ignorée ? Pour maintenir le peuple dans la soumission à l’ordre, pour le détourner de l’essentiel, il faut lui désigner un ennemi. Mais ce que nous dit ce moment Zemmour, c’est une chose vitale : l’enjeu de la question écologique est celui de notre commune humanité. Aujourd’hui, pour la défendre, il faut apprendre à résister : aux mots vicieux tout autant qu’aux barbares violences policières.

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