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Française des jeux: les préparatifs d’une sulfureuse privatisation

Ce pouvoir ne veut décidément rien entendre. En réponse au mouvement des « gilets jaunes », il a beau avoir dit qu’il serait désormais à l’écoute du pays et qu’il tiendrait compte des critiques qui lui sont adressées, il continue à n’en faire qu’à sa tête. Et ce qui est vrai de la politique sociale l’est tout autant des privatisations : ses projets ont beau être très vivement contestés, il n’entend pas moins les mener à bien.

Dans cette guerre de positions que mène le gouvernement contre le mouvement social, il sait pourtant qu’il lui faut changer parfois de front ou manœuvrer. C’est donc ce qu’il a choisi de faire dans le cas des privatisations. Dans l’immédiat, le projet qui lui tient le plus à cœur, la cession d’Aéroports de Paris (ADP), est impossible. La proposition de loi visant à organiser un référendum d’initiative partagée pour le maintien du caractère de service public de l’exploitation des aéroports est soumise à la signature des citoyens depuis le 13 juin (pour signer, c’est ici) et la pétition ne sera close que le 12 mars 2020. Dans l’intervalle, le gouvernement est donc dans l’obligation d’attendre.

Du même coup, on aurait pu penser qu’il aurait aussi la sagesse de suspendre toutes les autres privatisations envisagées. Eh bien, non ! Il a au contraire choisi de forcer le pas. Et comme il ne peut pas livrer ADP aux puissants appétits financiers qui le convoitent, il a décidé de lancer une privatisation tout aussi sulfureuse, celle de la Française des jeux (FDJ). Depuis plusieurs semaines, le ministre des finances, Bruno Le Maire, court donc micros et caméras pour annoncer que la privatisation de la FDJ aura lieu en novembre prochain.

Seulement voilà ! Une telle privatisation n’est pas possible sans procéder au préalable à une réforme de la régulation du secteur des jeux. En 2010, Nicolas Sarkozy avait déjà engagé une très forte dérégulation de ce secteur, en offrant la possibilité à ses amis du capitalisme du Fouquet’s de prendre pied sur le marché des jeux en ligne. Le monopole de la FDJ avait donc été mis en cause, et certains segments de ce marché hautement spéculatif avaient été ouverts à la convoitise de quelques milliardaires proches du régime. Publié par l’Observatoire des jeux, le tableau ci-dessous montre les effets de cette première dérégulation, survenue au terme de la loi du 12 mai 2010.

observatoire
Mais cette réforme avait eu une cascade d’effets pervers. D’abord, elle avait ouvert la porte d’un marché à des conglomérats financiers soucieux de profits rapides, alors que les jeux d’argent posent de graves problèmes de santé publique, comme l’addiction, et peuvent être menacés par des groupements mafieux ou des pratiques de blanchiment d’argent. Accessoirement, cette réforme avait conduit à un système de régulation affreusement complexe, chacun des acteurs des jeux étant soumis à des tutelles différentes. Les casinos, qui détiennent le monopole des machines à sous, sont restés sous la surveillance du ministère de l’intérieur. Le Pari mutuel urbain (PMU) est placé sous la co-régulation des ministères du budget et de l’agriculture. Le ministère du budget a la haute main sur la FDJ et c’est à lui que revient la fixation de ce que l’on appelle le taux de retour aux joueurs (TRJ – la part des mises qui reviennent aux joueurs sous la forme des gains), lequel TRJ joue un rôle majeur dans les addictions. Et, depuis 2010, une autorité administrative indépendante, l’Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel), a été créée, pour réguler le secteur des jeux en ligne ouvert aux nouveaux opérateurs dans les domaines des paris sportifs en ligne, des paris hippiques en ligne et pour le poker en ligne.

Avec la privatisation de la FDJ, il n’était plus possible de maintenir ce système, le ministère du budget ne pouvant plus garder la tutelle de l’entreprise une fois abandonnée à des opérateurs privés, même si l’État compte garder 20 % du capital contre 72 % actuellement.

À l’occasion du conseil des ministres de ce mercredi 2 octobre, le ministre du budget a donc présenté une ordonnance qui modifie en profondeur la régulation du secteur. En résumé, l’Arjel est supprimée, et une nouvelle autorité administrative indépendante va voir le jour, l’Autorité nationale des jeux (ANJ), à compter du 1er janvier 2020. Cette autorité aura donc des compétences élargies, englobant les secteurs des jeux en ligne contrôlés auparavant par l’Arjel, mais aussi tous les autres, dont la FDJ, à la seule exception des casinos qui resteront sur la tutelle du ministère de l’intérieur, pour des raisons d’ordre public et de contrôle des mouvements de blanchiment d’argent.

Cette autorité aura ainsi un pouvoir élargi et renforcé. Sa première mission ? Veiller à l’équilibre des différentes filières de jeux, de sorte qu’elles puissent coexister entre elles. C’est du moins la présentation qu’en fait le gouvernement, cherchant à faire croire que la surveillance et le contrôle, qui sont au cœur des problématiques de ce secteur, resteront, après la privatisation, aussi efficaces que lorsqu'elles étaient placées sous l’égide de l’État.

Mais il est évidemment permis d’en douter (très fortement). Car on connaît la fragilité des autorités administratives indépendantes quand elles sont confrontées à la force et la violence des puissances d’argent. L’exemple de l’Autorité des marchés financiers (AMF) est là pour le prouver : elle régule (un peu) les marchés financiers mais elle n’ose guère les sanctionner en cas d’irrégularités, ou en tout cas pas souvent, et de préférence pas les plus gros acteurs. Quant à l’Arjel, elle est déjà dans l’incapacité d’exercer un contrôle véritable sur les plateformes de jeux en ligne, qui sont logées à 90 % à Malte, si compréhensive pour les capitaux illicites ou douteux.

En bref, l’État va prendre non seulement la très grave responsabilité d’abandonner au privé une entreprise comme la FDJ, qui est une véritable machine à cash, lui offrant bon an mal an une manne budgétaire de 3 milliards d’euros. Mais de surcroît, il prend le risque que les impératifs de santé ou de sécurité publique soient sacrifiés au profit d'intérêts privés.

Mais il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. La privatisation de la FDJ est donc lancée : la création de cette nouvelle autorité de régulation en constitue les premiers préparatifs…

Par , Mediapart

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