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En ex-Allemagne de l’Est, la gauche s’impose devant une extrême droite galopante

La Thuringe a déjà été le théâtre de révolutions religieuse (la Réforme protestante), littéraire (le classicisme allemand), artistique (le Bauhaus), politique (la République de Weimar) et démocratique (la fin de la dictature communiste de RDA). Dimanche 27 octobre, ce Land du centre-est de l’Allemagne a aussi connu une révolution électorale : pour la première fois de l’histoire de la République fédérale, un parti de gauche, Die Linke, et un parti d’extrême droite, Alternative pour l’Allemagne (AfD), sont arrivés aux deux premières places d’une élection régionale, reléguant derrière eux les vieux partis traditionnels de la CDU (conservateurs) et de la SPD (sociaux-démocrates).

vec 31 % des voix, Die Linke, qui gouverne la région depuis cinq ans avec le SPD et les Verts, améliore de 2,8 points son score de 2014. La formation a pu capitaliser sur la popularité du ministre-président Bodo Ramelow, qui a d’ailleurs axé une bonne partie de sa campagne sur sa personne (« Proximité, fiabilité, franchise » était son slogan) plutôt que sur son parti (le logo de Die Linke était ainsi absent de certaines affiches de campagne).

 

Ses partenaires de la coalition, eux, s’affaissent : les sociaux-démocrates, qui n’ont pas su présenter un programme les différenciant réellement de Die Linke et qui pâtissent de leur engagement dans l’impopulaire « grande coalition » au pouvoir à Berlin, chutent de 4,2 points et les écologistes, qui ont peiné à séduire leur électorat habituel, plutôt urbain, dans cette région rurale, perdent 0,5 point.

 

L’AfD, elle, fait plus que doubler son score, passant de 10,6 % à 23,4 % des suffrages exprimés. Cette percée renforce un peu plus l’ancrage du parti d’extrême droite dans l’est de l’Allemagne, après ses succès glanés en Saxe et dans le Brandebourg en septembre.

 

La participation au scrutin de 2019 s’est élevée à 64,9 %, en hausse de 12,2 points par rapport à 2014. © DH

 

Avec seulement 42 sièges remportés sur les 90 que compte l’Assemblée de Thuringe, la coalition « rouge-rouge-verte » ne dispose plus de la majorité suffisante pour régir seule l’exécutif régional, sauf à mettre en place un gouvernement minoritaire. Et l’hypothèse, inimaginable jusqu’à présent, d’un accord entre Die Linke et la CDU commence à faire son chemin dans les rangs conservateurs. « Nous sommes prêts à endosser une telle responsabilité mais devons d’abord réfléchir à ce que cela signifie pour la Thuringe, a expliqué lundi le chef de file de la CDU Mike Mohring. Pour moi, la stabilité de la région est plus importante que de simples intérêts politiques. »

 

Mike Mohring va ainsi à l’encontre des instances fédérales de son parti. « Nous excluons qu’il y ait une coalition avec les extrêmes, avec Die Linke à gauche comme avec l’AfD à droite. Ce qui était valable avant les élections doit le rester après les élections », soutenait dimanche le secrétaire général de la CDU Raymond Walk, rejoint sur ce point par le vice-président du parti Volker Bouffier. « Je m’en tiens à ma position : pas de coalition avec la gauche. » Qu’importe, pour Mike Mohring : « Je n’ai pas besoin de Berlin pour savoir ce qui est important pour la Thuringe. »

 

Mike Mohring lors d’une réunion publique à Erfurt, le 17 octobre. À l’instar d’autres candidats aux régionales, la tête de liste de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) a révélé le 20 octobre avoir reçu par email des menaces de mort, qu’il attribue à l'extrême droite. Signe d’une campagne qui, après l’attentat de Halle, s'est déroulée dans un climat délétère. © DH Mike Mohring lors d’une réunion publique à Erfurt, le 17 octobre. À l’instar d’autres candidats aux régionales, la tête de liste de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) a révélé le 20 octobre avoir reçu par email des menaces de mort, qu’il attribue à l'extrême droite. Signe d’une campagne qui, après l’attentat de Halle, s'est déroulée dans un climat délétère. © DH

 

La déroute des chrétiens-démocrates, qui furent à la tête de la région sans interruption de 1990 à 2014, risque d’affaiblir encore plus la présidente du parti Annegret Kramp-Karrenbauer, dix mois après son élection et à quatre semaines du congrès de la CDU, organisé à Leipzig les 22 et 23 novembre. En cette fin d’année 2019, « AKK », qui est aussi ministre de la défense, comptait sur les régionales en Saxe, dans le Brandebourg et en Thuringe pour asseoir son statut d’héritière d’Angela Merkel à la fonction suprême de chancelière. C’est raté, la CDU perdant respectivement 7,3, 7,4 et 11,7 points dans ces trois Länder d’ex-RDA par rapport à ses précédents scores de 2014.

 

Au-delà de l’échec des conservateurs, c’est le triomphe de l’extrême droite qui constitue le grand enseignement du vote de dimanche. D’autant plus que son leader régional, Björn Höcke, est l’homme derrière Der Flügel (« l’aile »), le courant radical et identitaire de l’AfD, classé comme organisation « soupçonnée » d’extrémisme par l’Office fédéral de protection de la Constitution, le service de renseignement chargé d’observer les activités hostiles à la Loi fondamentale.

 

En appelant lors de sa campagne à une nouvelle « révolution pacifique », celle qui amena en 1989 le Mur de Berlin à s’écrouler, estimant que l’Allemagne actuelle se trouve dans une situation analogue à celle de la RDA finissante, Björn Höcke a joué habilement sur la peur du déclassement d’une partie de la population de l’ex-Allemagne de l’Est où, bientôt trente ans après la réunification, le contexte socioéconomique demeure morose. Fait notable : la formation d’extrême droite arrive, selon cette étude du quotidien berlinois Der Tagesspiegel, en première position dans toutes les catégories d’âge, sauf chez les plus de 60 ans.

 

Avant le scrutin, l’AfD locale a pourtant été accusée d’avoir préparé le terrain idéologique de l’auteur de l’attentat de Halle, dans l’État voisin de Saxe-Anhalt, où, le 9 octobre, un néonazi a tué deux personnes et tenté de commettre un massacre dans une synagogue. En 2017, Björn Höcke avait notamment qualifié le Mémorial de la Shoah à Berlin de « monument de la honte » et a aussi défendu l’idée d'une « Allemagne millénaire », façon de signifier que l’histoire nationale dépasse la seule période du Troisième Reich. « Je trouve que Höcke est un nazi. D’autres aussi l’ont établi », avait tranché le CDU Mike Mohring, lorsqu’on lui avait demandé si une alliance avec l’AfD à l’échelle régionale lui semblait envisageable.

 

Lundi, plusieurs représentants de la communauté juive allemande, habituellement peu enclins à commenter les résultats électoraux, se sont émus des gains du parti de Björn Höcke. « C’est un nouveau signal effrayant, qui laisse craindre un nouveau renforcement des attitudes d’extrême droite en Allemagne », a déclaré à l’agence dpa Christoph Heubner, vice-président du Comité international d’Auschwitz, basé à Berlin et fondé par des survivants du camp d’extermination.

 

« Ceux qui votent pour l’AfD votent en faveur d’une Allemagne antidémocratique »a renchéri le président de la communauté juive allemande Josef Schuster. « Beaucoup d’électeurs ont soutenu un parti qui prépare depuis des années le terrain à l’exclusion et la violence d’extrême droite », s’inquiète Charlotte Knobloch, présidente de la communauté juive de Munich, dans un communiqué, qui dénonce également la « minimisation de la période nazie, son nationalisme décomplexé », et l’incitation « à la haine des minorités ».

 

Pour sa part, Björn Höcke a rejeté ces critiques et s’est félicité que ses électeurs n’aient pas cédé aux « campagnes de diffamation le visant ».

Source : Médiapart

 

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