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Gilets jaunes. Où en est le nouveau monde ?

Christelle Quiniou, sans emploi : « J’étais barmaid dans le quartier de la Gare. Je suivais ce qui se passait sur les réseaux sociaux. Et ce jour-là, le samedi 17 novembre 2018, je les ai vus passer devant le bar. Je me suis dit enfin ! Ça faisait longtemps que j’attendais quelque chose. Je n’avais jamais adhéré à un parti ou à un syndicat. Et là je me suis dit : on y est ! ». Christelle attendra le 25 décembre pour rejoindre Troyalac’h. « Les discussions, les deux petites tentes, la cabane, le grand feu. C’était une forme de résistance différente de la manif. Nous avions tous la même envie de justice sociale et fiscale ».

Tristan Ouvrard, autoentrepreneur dans le bâtiment : « Le déclic a été la taxe sur le gasoil. Dès le départ j’étais parmi les organisateurs de l’opération escargot. Il y a eu ensuite Troyalac’h, un beau moment dont je me souviendrai toujours tant il y avait de solidarité. On sentait que tout le monde exprimait un ras-le-bol ». On se souviendra de ses traits tirés et de son exaltation après des nuits blanches sur le rond-point.

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Tristan Ouvrard, l’un des visages de Troyalac’h. (Le Télégramme/Ronan Larvor)

Franck Clary, chauffeur de VTC à Quimper : « Grâce à la page Facebook ouverte, et à nos relations, plus de 400 automobiles et 200 motos étaient présentes le 17 novembre. On était impressionnés. Surtout quand nous sommes arrivés au centre-ville où 3 000 personnes nous attendaient. C’était la première fois que j’étais devant pour organiser quelque chose. J’ai assumé le rôle. J’ai déclaré les manifestations les samedis suivants ».

Antoinette, retraitée : « Je n’y étais pas le premier jour. J’étais agent de service à l’hôpital et j’ai été autonome toute ma vie. Mais je me suis dit que je ne pouvais pas laisser des gens qui avaient besoin d’aide et criaient au secours. J’ai rempli une Thermos de café, pris des gâteaux et je suis allée à Troyalac’h par solidarité. Il y avait un feu, on était bien. Je suis revenue tous les jours j’ai mis un gilet jaune. Je ne l’ai jamais quitté. J’étais marquée par la belle fraternité sur place. Il y avait une liberté de parole. Les gens étaient soulagés de savoir qu’ils n’étaient pas seuls ».


La durée


Gilbert Macrez, qui a une « vie professionnelle atypique avec plusieurs boulots dont autoentrepreneur, parfois 70 heures par semaine sans pouvoir vraiment boucler les fins de mois », a rejoint le mouvement avec l’envie de structurer les revendications. Le chantier sera laborieux : « Dès la fin novembre, je me suis dit qu’il fallait se réunir autour d’une table pour se concerter. Le Café des gilets jaunes est né le 22 décembre ». Des rencontres ont lieu avec le maire, la députée. La réflexion se met en place. « Le gouvernement a annoncé un grand débat qu’il a instrumentalisé pour pouvoir garder son cap. Nous avons alors lancé le vrai débat ». Il aboutira en juin à un manifeste de 30 pages.

Antoine Rio-Cabello, ingénieur en biologie marine sans emploi : « Je viens du mouvement écologiste. Mais il a critiqué au départ les gilets jaunes alors que ce sont ceux qui ont le moins qui polluent le moins. Nous avons créé des lieux de fraternité en dehors des institutions. Le rapport de force a été créé dans la rue. Un mouvement social qui dure un an malgré la répression policière, judiciaire, c’est inédit. Le pouvoir a été ébranlé mais les problèmes sont toujours là. Les milliards annoncés par le gouvernement c’est de la com’. Aujourd’hui, on ne peut pas dire ce que ce mouvement va devenir. Il a permis aux plus modestes de retrouver la parole, mais la précarité n’a pas changé ».

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Antoine Rio-Cabello et Philippe Germain. Pour le premier, « le pouvoir a été ébranlé mais les problèmes sont toujours là ». (Le Télégramme/Ronan Larvor)
Il a permis aux plus modestes de retrouver la parole, mais la précarité n’a pas changé

La désillusion


Gilbert : « On avait pu croire que Macron ferait quelque chose de nouveau. Or il fait toujours l’inverse de ce qu’il dit que ce soit sur le social, l’environnement… L’existence continue à se précariser. On le sent même dans le bénévolat et l’engagement citoyen qui se réduisent vu les problèmes financiers ».

Antoinette : « Ce qui est dommage c’est que des groupes se sont créés et les gens se sont divisés, pas sur des problèmes politiques mais sur des questions d’ego, des problèmes de personnes ».

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Antoinette regrette les divisions qui se sont instaurées entre plusieurs groupes du mouvement des gilets jaunes.

Franck : « Je me suis investi pendant trois mois, tous les week-ends. Cela devenait compliqué pour la vie familiale. J’ai organisé une dernière manifestation à Quimper fin janvier. Il y avait 3 000 personnes. Ensuite, c’est tombé. J’ai quand même continué en constituant un groupe de street medics grâce à mes compétences d’ambulancier et de secourisme. Mais au bout d’un moment cela ne servait plus à rien. Les annonces du gouvernement à cette époque, les milliards d’euros, c’était du foutage de gueule, on n’a rien vu. Je suis déçu. Ça n’a servi à rien, alors qu’en décembre il manquait très peu de choses pour que le gouvernement craque et qu’il écoute vraiment le peuple sur le pouvoir d’achat. Aujourd’hui il donne d’un côté et il retire de l’autre. Les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent. Je suis plutôt pessimiste pour 2020 ».

Les gens se sont divisés, pas sur des problèmes politiques mais sur des questions d’ego, des problèmes de personnes

L’avenir


Franck : « De tout cela j’ai appris qu’il fallait se battre mais en gardant une cohésion. Le politique ? J’aurai pu aller aux municipales si j’avais été sollicité. Mais malheureusement… ».

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Franck Clary, l’un des leaders quimpérois du mouvement.

Gilbert : « L’association les Glaziks a été créé pour mettre en place les outils pour agir localement. Nous organisons régulièrement des débats, faisons des propositions pour interpeller les politiques. Nous faisons un travail de fond pour aller vers une Sixième République. Je crois en la convergence des luttes et donc au rassemblement du 5 décembre prochain ».

Antoinette : « Il y a peu j’étais désespérée, désabusée avec la sensation d’être impuissante. Où sont les milliards annoncés ? Où est la devise Liberté, Égalité, Fraternité ? Mais je constate que des gens se sont réveillés dans beaucoup de pays, en Algérie, au Chili, à Hong Kong. Il y a un constat d’échec sur les retraites, l’hôpital, mais on ne baisse pas les bras. Même si on est critiqués, insultés, on restera gilets jaunes. Il faudrait surtout que les jeunes nous rejoignent ».

Christelle : « Pour changer le système, il faut rentrer dedans. La démocratie démarre ici, pas à Paris. Il faut arrêter la centralisation et redonner le pouvoir au local, décider ici des services publics. J’ai appris beaucoup de choses pendant cette année. Aujourd’hui je pense que l’on peut être acteur de l’avenir. Nous avons encore plus de raisons d’aller dans la rue pour montrer que ce sont les gens qui ont le pouvoir. Je suis utopiste, pas découragée. Je sais que ce sera long ». Christelle a rejoint la liste de la Coopérative écologique et sociale pour les municipales.

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Christelle Quiniou veut changer le système à l’échelle locale. (Le Télégramme/Ronan Larvor)
Aujourd’hui je pense que l’on peut être acteur de l’avenir

Tristan : « Je ne suis pas fermé sur une participation aux municipales. Il faut que les personnes qui ont été dans le besoin puissent faire remonter des choses. Je pense que tout peut repartir très vite. Je ne suis pas découragé. Ce mouvement a créé des liens comme une famille ».

Source : Le Télégramme

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