François Ruffin: «Mélenchon m'encourage à ne pas fermer la porte de la présidentielle» (lefigaro.fr-8/03/19)


INTERVIEW - Le député de la Somme, à nouveau sur le devant de la scène avec un livre de combat contre Emmanuel Macron, se pose en successeur du leader des Insoumis.

LE FIGARO. - En même temps qu'un film sur les «gilets jaunes», vous publiez un livre dur et polémique contre Emmanuel Macron? Vous franchissez une ligne rouge?

François RUFFIN. - Le film et le livre sont un diptyque. Un film d'amour, solaire. Un livre de combat sur mes obscurités et celles d'Emmanuel Macron. C'est un livre d'écrivain, pas d'une langue insipide, d'un élu qui calcule pour son avenir. Et lorsque je m'attaque à Emmanuel Macron, ce n'est pas à l'homme privé. C'est une biographie non autorisée. J'ai voulu raconter comment, durant vingt ans, il a mené une stratégie quotidienne de séduction de l'oligarchie, notamment en direction des patrons de presse. François Bayrou l'a dit lui-même: «Une opération Macron a été montée!» Cette préélection par des hyper-électeurs entache considérablement la légitimité démocratique.

À gauche, peut-on dire que vous faites de l'ombre à Jean-Luc Mélenchon?

Dans mon livre, j'évoque les femmes de ménage, les auxiliaires de vie sociale… Mais dans les médias, la vie des gens est effacée derrière la vie des grands. Pourquoi le mouvement des «gilets jaunes» a été aussi populaire? Parce que jusque-là, jamais on ne voyait de camionneur à la télévision, d'aide-soignante…

Tout de même, sur Mélenchon…

Ce qui s'écrit sur nous est souvent faux. Je le vois presque chaque semaine en tête à tête. On ne parle pas de politique, plutôt de littérature, de peinture, d'histoire, de tout ça. Je lui apporte, je crois, un air du dehors, un bol d'air. J'ai même songé à en faire un bouquin, de ces conversations. Je me vois comme un artiste en politique, lui serait un artiste de la politique.

«Quand on a voté comme moi, pendant des années, pour des trucs qui n'atteignaient pas 5 %, avoir un candidat qui monte à 19 % et frise le deuxième tour, ce n'est pas rien»

François Ruffin

Vous étiez méfiant au départ, non? Et vous n'êtes pas tout à fait un Insoumis…

Déjà le groupe, ce n'est pas forcément dans mes habitudes. Méfiance aussi à l'égard de Jean-Luc Mélenchon, sa figure d'autorité. Mais il s'est montré bien plus à l'écoute, ouvert, que je ne le présageais. Surtout, je ne suis pas là par hasard: je considère qu'il a remis la gauche debout, et debout sur ses deux jambes, le social et l'écologie. Quand on a voté comme moi, pendant des années, pour des trucs qui n'atteignaient pas 5 %, avoir un candidat qui monte à 19 % et frise le deuxième tour, ce n'est pas rien.

Dans votre livre, vous glissez une certaine ambition présidentielle. Est-ce compatible avec cette amitié?

La semaine dernière, j'en étais à vouloir sortir de la vie politique, tellement je suis énervé par la réception de mon livre, alors la présidentielle! Quand j'étais adolescent, je pensais que j'allais me faire suer dans la vie. Or, j'écris des livres, je fais des films, je rencontre les gens, je vis des aventures. C'est le bordel et j'aime ça. Je ne dis pas que je vais m'arrêter là, mais c'est mon ambition quotidienne.

Vous avez une autre ambition?

Vous voulez que je vous dise? L'un de ceux qui m'encouragent à ne pas fermer la porte de la présidentielle, c'est justement Jean-Luc Mélenchon. Il me dit: «Si un jour le drapeau est à terre et que c'est toi qui dois le relever, tu le feras et tu le porteras, et puis c'est tout.» Ça a l'air de tomber dessus comme la foudre.

Est-ce probable?

Je ne me vois pas, aujourd'hui, en homme d'État. Je ne dis pas que cela n'arrivera pas, mais je mesure le fossé. Je suis un bon animateur de la démocratie, un représentant du peuple, c'est beau déjà. Aller discuter avec Poutine et Trump, j'ai du mal à me mettre dans le costume… Et puis, quand on voit l'état de notre camp aujourd'hui, la probabilité d'accéder à la présidence paraît limitée. Ma bagarre, c'est pas dans mon camp, mais à cent pour cent avec les gens, et contre l'occupant de l'Élysée.

En attendant, vous aimez la bagarre à l'Assemblée…

Je dénonce le fonctionnement! La loi ne se fait pas à l'Assemblée, c'est du bidon… La loi, ce sont les désirs du président, traduits par les ministères et validés par le Parlement. C'est une chambre d'enregistrement. C'est quand même dingue mais on en vient à envier les monarchies! On se dit que finalement, en Angleterre, les pouvoirs paraissent plus équilibrés que dans notre République.

Vous revendiquez-vous populiste, vous qui vantiez l'union de la gauche?

La définition du populisme, dans le dictionnaire, c'est «courant littéraire s'appliquant à décrire avec réalisme la vie des gens du peuple». Puis: «discours politique qui s'adresse aux classes populaires, fondé sur la critique du système et de ses représentants». Le mien, de gauche, c'est le peuple contre l'oligarchie. C'est sur cette base qu'on parviendra à un rassemblement. Mon modèle, ça reste le Front populaire. Pas seulement un basculement à gauche, mais à l'intérieur de la gauche.

Vous tenez toujours à la gauche?

C'est un drapeau que je me refuse à laisser tomber. Je comprends qu'il soit entaché, tellement l'ont sali, piétiné. Tout comme les sociaux-démocrates, qui n'ont plus rien de social, ni de démocrate. Mais je me rattache à cette histoire, qui part de la Révolution française, qui passe par Jaurès, le Conseil national de la Résistance, Mai 68, Mai 81. La barrière est nette avec l'extrême droite: les électeurs du RN, je veux qu'ils votent pour nous. Mais je leur répète, chez moi comme ailleurs: l'adversaire, ce ne sont pas les réfugiés, les assistés, les immigrés, ce sont les actionnaires.

source: http://www.lefigaro.fr/politique/2019/03/08/01002-20190308ARTFIG00255-francois-ruffin-melenchon-m-encourage-a-ne-pas-fermer-la-porte-de-la-presidentielle.php

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