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Notre-Dame : déferlement de cléricalisme

 

Le dramatique incendie de Notre-Dame à peine maîtrisé, nous assistons à un déferlement – prévisible – de cléricalisme. Les journalistes médiatiques, le plus souvent sans faire preuve d’une once de culture historique, et les éditorialistes commentateurs triés sur le volet, du Figaro à Challenge, rivalisent : l’occasion est trop belle !

Derrière eux, les Arnaud et les Pinault annoncent des « dons » prodigieux – on peut parier qu’Auteuil-Neuilly-Passy vont se mobiliser – pour contribuer à la « grande souscription nationale » aussitôt annoncée par Jupiter soudain converti en Saint-Louis, bâtisseur de cathédrales.

Le journal Le Monde va jusqu’à écrire : « La cathédrale a résisté aux nazis, elle ne va pas nous lâcher maintenant » ! Drôle de façon de réécrire l’histoire.

Comme on le sait, Notre-Dame n’a pas résisté aux nazis et l’Église catholique a été depuis le début et jusqu’à la dernière heure, pétainiste à fond.

Le cardinal Suhard, archevêque de Paris, anti-communiste et anti-gaulliste, était résolument du côté du régime de Vichy, il était opposé à toute forme de résistance contre l’occupant. Le 26 août 1944, il lui a été interdit d’accueillir le général de Gaulle à Notre-Dame, lors de la messe de Te Deum. Il a été consigné dans ses appartements. C’est tout dire !

Ce cardinal-archevêque avait accueilli la tournée triomphale de Pétain en avril 1944, et avait également présidé aux obsèques nationales du collaborateur en chef, Philippe Henriot, antisémite notoire, fondateur de la Légion et dirigeant de la Milice, exécuté en juin 1944 par la Résistance.

Il avait négocié avec l’amiral Darlan, le ministre de l’Éducation nationale, Jérôme Carcopino et le ministre de l’Intérieur, Pierre Pucheu, un système de financement de l’école privée catholique, par des subventions de l’État (juillet 1941). Ces subventions étaient réparties par les préfets, dans chaque département. Un horaire commode d’enseignement religieux facultatif fut aussi instauré dans l’enseignement public.

Le cardinal Baudrillard voyait dans « la noble entreprise » menée par l’Allemagne nazie une « nouvelle croisade ». Comme l’archevêque de Paris, il a condamné « les appels à la violence et les actes de terrorisme, qui déchirent aujourd’hui le pays, provoquent l’assassinat des personnes et le pillage des demeures » (appel des évêques de février 1944).

Aucun prélat n’a rallié Londres pendant la guerre. Si certains d’entre eux ont couvert des actes de Résistance ou même appuyé la Résistance, si bien sûr des catholiques ont été des résistants (Témoignage chrétien a été créé dans la Résistance), l’Église dans son ensemble est restée fidèle à Pétain jusqu’au bout.

Inutile d’évoquer, en plus, le rôle bien connu du Pape Pie XII pendant la Seconde Guerre mondiale….

Laisser entendre que Notre-Dame ait résisté aux nazis, laisse rêveur…

Tout le siècle précédant ces épisodes avait été marqué par les luttes entre l’Église et la République. Monarchiste tant que cela a été possible, hostile à la démocratie, l’Église a dénoncé et combattu l’esprit et le projet de la Révolution française.

Elle a tout fait pour préserver son emprise sur les jeunes esprits, obtenant des régimes conservateurs successifs (Restauration, Second Empire) le rétablissement et la préservation de ses privilèges en matière d’enseignement, elle a combattu de toutes ses forces l’enseignement laïc, public et obligatoire ; elle s’est opposée à l’éducation des filles. Elle s’est constamment opposée à toutes les formes d’émancipation, suffrage universel, luttes des prolétaires contre le patronat « de droit divin », droits des femmes, divorce, contraception, interruption de grossesse. J’en passe.

Quand on dit « l’Église », il faut préciser le clergé, depuis la tête – le Pape – jusqu’à chaque curé de chaque paroisse, en passant par les ecclésiastiques (évêques, archevêques, cardinaux), les ordres et les congrégations, le catéchisme, l’immense presse confessionnelle, le culte des saints (Sainte-Vierge, Jeanne d’Arc, Bernadette Soubirous, Thérèse de Lisieux), les processions publiques, les cérémonies officielles. D’où le nécessaire anticléricalisme républicain, d’où le combat jamais achevé pour la laïcité et pour la séparation de l’Église et de l’État, comme condition de la libération de la population vis à vis de la tutelle religieuse.

La réaction reste, en France, alignée sur ce que l’Église a de plus conservateur. Celle-ci reste, pour les élites privilégiées, l’ultime garant de l’ordre moral et social – comme l’armée et, de nos jours, les médias dominants qui se moquent comme d’une guigne que la majorité des Français sont sans affiliation religieuse. Pour ces raisons, pour les progressistes, plus que jamais, « l’anticléricalisme, c’est l’asepsie », comme on disait, dans les milieux républicains qui n’étaient pas encore majoritaires et se mobilisaient dos au mur, dans les années 1900.

Notre-Dame, cette enclume plantée au cœur de l’île de la Cité, a longtemps symbolisé le pouvoir ecclésiastique aussi bien que le pouvoir royal. Quoi qu’il en soit de sa beauté architecturale portant l’empreinte du génie de ses constructeurs et du travail des milliers d’ouvriers qui l’ont édifiée, quoi qu’il en soit de l’œuvre de Victor Hugo qui a voulu magnifier sa dimension populaire, son caractère symbolique écrasant – qu’on a si bien su imiter et renouveler en édifiant le Sacré-Cœur – ne se laisse pas ignorer. Elle reste un lieu dont les puissants qui viennent s’y faire consacrer – souvenons-nous de la messe pour Mitterrand – usent et abusent pour signifier qu’ils restent les maîtres.

Michel Pinault

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