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Alexis Kraland et Gaspard Glanz arrêtés, une atteinte grave à la liberté d'informer

L’arrestation samedi 20 avril de deux journalistes, Alexis Kraland et Gaspard Glanz, alors qu’ils rendaient compte de la manifestation des gilets jaunes nous semble constituer un fait extrêmement grave en ce qui concerne la liberté d’informer dans notre pays. 

La police a notamment utilisé le délit « de participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations » afin de les placer en garde à vue. Cette infraction scélérate, qui ne vise que l'intention supposée, devra, tôt ou tard, être abrogée. En effet, l'usage de ce délit contre manifestants et journalistes est massif. Il a ainsi déjà servi le 16 mars dernier, lors de la marche des solidarités, pour retenir le photographe Gwen Melin en garde à vue pendant sept heures. 

Ces arrestations ne débouchent pratiquement jamais sur des poursuites car tel n’est pas leur but. En fait, le délit de participation à un groupement est utilisé par la police et le parquet non seulement pour criminaliser la simple participation à une manifestation mais également pour cibler des journalistes, les intimider, les empêcher de travailler, de faire des images, de les faire circuler, et donc aussi de les vendre et de vivre. 

Le journalisme ne vit que s’il se réinvente et interroge les limites de la visibilité et de ce qui est public. L’invention d’un nouveau type de journalisme des luttes dont Gaspard Glanz et Alexis Kraland sont, avec beaucoup d’autres, des représentants, s’inscrit dans l’histoire du journalisme et de ses conquêtes successives contre les habitudes et les délimitations instituées. 

Nous vivons aujourd’hui dans un monde où la police peut détenir un journaliste dérangeant plusieurs heures et l’empêcher de produire des images et d’être témoin de ce qui se passe. Il a été dit à Alexis Kraland que sa caméra était « une arme par destination » pour justifier son interpellation, ce qui est clairement illégal car le délit de port d’arme par destination est inexistant.

Il n’est ainsi pas rare de voir aujourd’hui la police et le parquet prendre des mesures manifestement illégales, comme les nombreuses interpellations et garde à vue préventives que le procureur de Paris a validé même « lorsque les faits ne sont pas constitués ». Puisque le gouvernement parle si souvent du nécessaire « respect de l’État de droit »,  il ne faudrait pas qu’il oublie d’y rappeler ses parquetiers et policiers…

Aujourd'hui c'est en fait la question de l’indépendance de la presse qui se pose. Car au final, ce qui est arrivé à Gaspard Glanz et Alexis Kraland montre que tout journaliste vit sous la menace de l'arrestation pour le simple fait qu'il exerce son métier, qu'il est là, dans une manifestation. Un journaliste ne peut travailler qu’à condition que la police ne l’arrête pas. Ce qui revient à dire que c’est la police qui décide qui peut produire des images et qui ne peut pas, quel récit peut circuler et quel récit ne peut pas, quelle personne peut travailler et quelle personne ne peut pas – ce qui entrave nécessairement l’exercice critique du métier de journaliste, notamment par rapport aux pratiques policières.

Cette soumission du journalisme à l’ordre policier est intolérable en démocratie et doit s’arrêter. Nous exprimons notre plus vive inquiétude relativement à ce qui s’est produit ce samedi 20 avril 2019

Pour que le journalisme soit indépendant, il doit aussi être indépendant de la police. Et il doit donc dénoncer ces actes d'intimidation et de rappels à l'ordre qui ont visé, à travers Alexis Kraland et Gaspard Glanz, toute la profession, comme si la police avait dit aux journalistes : restez tranquille, montrez ce que nous voulons que vous montriez sinon, voilà ce qui vous arrivera.

SIGNATAIRES

Geoffroy de Lagasnerie, philosophe et sociologue

Raphaël Kempf, Aïnoha Pascual, Boris Rosenthal, Vincent Fillola, avocats de Gaspard Glanz

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