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Extinction Rebellion : désobéissance fertile

Des ponts bloqués plusieurs jours d’affilée, des activistes enchaînés à des bâtiments ou perchés sur le toit des rames de métro, 55 lignes de bus déviées… En avril, moins de six mois après sa création, le groupe écologiste radical Extinction Rebellion (XR) a paralysé pendant une dizaine de jours des quartiers entiers de Londres par des actions de désobéissance civile.

 

Ses militants entendent bien remettre le couvert à partir de ce lundi, avec une nouvelle semaine de «rébellion» qui sera pour la première fois internationale. Amsterdam, New York, Berlin, Sydney et une cinquantaine d’autres capitales seront la cible de ces écologistes pacifistes, mais remontés. Partout ils portent les trois mêmes revendications : la reconnaissance publique de la gravité de la crise écologique, la neutralité carbone d’ici à 2025 et la constitution d’assemblées citoyennes.

 

A Paris, ils devraient être plusieurs centaines sur chaque blocage. Beaucoup ont pris des congés «pour pouvoir être présents au maximum de choses», comme Sophie, ingénieure parisienne : «Je vais être danseuse, bloqueuse, donner des petites conférences sur le fonctionnement d’Extinction Rebellion et participer à la gazette, un petit journal qu’on va publier toute la semaine. Il y a tant à faire !» Des actions sont prévues presque tous les jours, avec l’occupation ce lundi après-midi «d’un point névralgique» de la capitale, «envahi» par des ateliers de permaculture et des assemblées citoyennes ou le blocage de la Seine jeudi, pour alerter sur le nombre grandissant de déplacés climatiques.

 

Derrière ces projets, des semaines voire des mois d’organisation. «Ça me paraît fou de me dire qu’on y est presque, qu’on va rentrer dans ce bâtiment pour l’occuper, après tant d’heures à regarder les plans et à faire des repérages», lâchait à la veille de l’action et avec un peu d’incrédulité dans la voix une des organisatrices du blocage du centre commercial Italie 2 qui a eu lieu samedi à Paris, avant le début officiel de la mobilisation.

 

«Garder le silence»

 

Comme elle, les dizaines d’autres personnes qui ont pensé les blocages de la semaine ont travaillé dans une discrétion absolue. Leurs échanges se font par des messageries chiffrées ou sur le forum du mouvement, appelé «la Base». Les lieux de blocage sont tenus secrets jusqu’au tout dernier moment, même pour les participants. «L’information avance petit à petit, explique Leah, membre de XR en France depuis ses prémices. Il faut éviter les fuites, mais aussi faire en sorte que chacun en sache assez pour être relativement autonome. Pour cela, un briefing est organisé avant chaque blocage avec tous les participants.»

 

Vendredi soir, pour l’occupation d’Italie 2, ils sont arrivés par grappes, au fil des passages du RER, au lieu de rendez-vous, fixé dans une zone résidentielle à l’ombre des tours de la Défense (Hauts-de-Seine). En guise de préambule, Sarah (1), une des organisatrices, leur a rappelé que «chacun [était] libre de quitter le blocage à tout moment», avant de lister posément les délits qu’ils se préparaient à commettre le lendemain. «Pour participation à une manifestation non déclarée, vous risquez six mois de prison, pour dégradations matérielles légères, deux ans. Mais ce sont les peines maximales qui ne sont que très rarement atteintes. Le vrai risque juridique auquel vous vous exposez, c’est la garde à vue, détaille-t-elle. Si vous êtes arrêtés, on vous conseille de vous borner à donner votre identité puis de garder le silence pour limiter les poursuites.»

 

Le mouvement assume l’illégalité de ses actions de désobéissance civile, mais en France, aucun «rebelle» n’a pour l’heure été confronté aux tribunaux. Et contrairement à leurs homologues britanniques, les policiers français ont jusqu’ici procédé à peu d’arrestations, préférant la dispersion par la force aux gardes à vue. Avant de se séparer, les participants se répartissent les tâches - bloqueurs, médiateurs et vidéastes. Cette pluralité des rôles, indispensable au bon déroulement d’une action, permet de mobiliser largement (lire témoignages ci-dessous). 

 

Ceux qui ne sont pas prêts à faire face frontalement à la police peuvent tout de même rejoindre le mouvement, en choisissant des rôles moins exposés que celui de bloqueur. Chaque activiste se fixe les limites des risques qu’il est prêt à prendre. Jusqu’ici, les militants français n’ont pas été jusqu’à se mettre en danger physiquement comme en Grande-Bretagne, en s’enchaînant à des rails ou en se collant à des grilles avec de la colle extra-forte. Nombre d’entre eux craignent trop la réaction des policiers français, moins portés sur le dialogue qu’outre-Manche, pour risquer la peau de leurs doigts.

 

Depuis le début de l’année, la machine XR étend ses rouages en France. Plus de 11 000 personnes sont inscrites sur la Base et 60 groupes locaux se sont constitués un peu partout dans le pays. Une croissance impressionnante pour un mouvement uniquement porté par des bénévoles qui sacrifient leur temps libre et financé par des dons de particuliers. Pour préserver le caractère horizontal de l’organisation, les coordinateurs des groupes doivent laisser la main tous les six mois et chacun est invité à tester différentes tâches.

 

Fusion des forces militantes

 

Pour les rebelles français, cette semaine de mobilisation est aussi une entrée dans l’inconnu, celles d’actions massives, avec plusieurs centaines voire milliers de personnes. Jusqu’à ce week-end, le plus gros blocage organisé par Extinction Rebellion en France avait été celui du pont de Sully en juin. Environ 300 personnes y avaient pris part. En passant à des actions réclamant plutôt un millier de participants, le mouvement va devoir s’appuyer sur des personnes qui ne sont pas forcément formées à la désobéissance civile, et moins imprégnées du principe d’action non-violente que les membres expérimentés. La fin un peu chaotique de l’occupation du centre commercial Italie 2 et les quelques dégradations qui ont eu lieu dans la nuit de samedi à dimanche ont montré que cette fusion des forces militantes n’était pas gagnée d’avance. Plus grande inconnue encore, la réaction de la police à des blocages qui s’annoncent d’une ampleur inégalée en France.

 

(1) Le prénom a été modifié.

Nelly Didelot

Source : Libération

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