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Dépenses publiques, 5G, écologie... Les très larges conditions posées par la Commission européenne sur les plans de relance

La Commission ne veut pas raser gratis. L'accord adopté en juillet par les pays de l'Union européenne (UE) prévoit qu'ils devront faire valider une feuille de route par leurs pairs afin de débloquer leur part du plan de relance, et que les versements pourront ensuite être bloqués en cours de route. S'appuyant sur ce texte, la Commission veut mettre en place un contrôle très resserré : selon un guide qu'elle a publié ce vendredi 17 septembre, les Etats devraient détailler dans leur projet leurs objectifs, leurs futures mesures et des indicateurs de performance à atteindre. Et le tout devrait s'inscrire dans la continuité de précédentes recommandations adressées aux États, dont celles envoyées à la France faisaient la part belle à la maîtrise des déficits et à la déréglementation.

Les pays de l'UE se sont accordés sur un plan de relance commun de 750 milliards d'euros en juillet. Cette somme sera empruntée par la Commission, avant d'être répartie entre les Etats : 360 milliards seront octroyés sous forme de prêts à rembourser, le reste à travers des subventions, le tout étant versé de 2021 à 2023. Mais l'octroi de ces subsides ne se fera pas à l'aveugle. Les Etats doivent "élaborer des plans nationaux (...) décrivant leur calendrier de réformes et d'investissements de 2021 à 2023", précise l'accord. Cette feuille de route sera ensuite évaluée par la Commission, dont l'avis sera transmis au Conseil de l'UE, l'instance qui représente les gouvernements des pays membres. Les plans devront être approuvés "à la majorité qualifiée" par cet organe, qui pourra aussi bloquer les versements en cas de mise en oeuvre jugée insatisfaisante : le texte indique que ces transferts sont "subordonné[s] à la réalisation satisfaisante des jalons et objectifs" prévus.

Consignes remises au goût du jour

Dans le cadre de cette procédure, la Commission a publié le 17 septembre des consignes sur le contenu des futurs plans de relance, dans laquelle l'institution décrit des grandes orientations à suivre. Ces dernières sont notamment sur l'écologie et le numérique, alors que l'accord de juillet prévoit "[qu']une contribution effective aux transitions verte et numérique sera un prérequis pour la validation" du plan. "Les Etats sont invités à préciser comment le plan contribuera à atteindre les objectifs climatiques pour 2030", indique ainsi la Commission, qui "propose que le plan inclue un niveau minimum de 20% de dépenses liées au numérique". Sur ce second aspect, le texte évoque un objectif plus précis : "S'assurer que, d'ici 2025, il y ait une couverture 5G ininterrompue la plus vaste possible pour toutes les régions".

Surtout, les plans de relance devraient "contribuer à répondre aux défis identifiésdans les recommandations" élaborées dans le cadre du "Semestre européen", affirme le guide de la Commission. Envoyées en juillet de chaque année aux Etats, ces préconisations visent à coordonner leurs politiques économiques, notamment dans le sens de la "convergence" entre pays et de "la solidité des finances publiques". Un rôle crucial leur sera réservé dans la validation des plans de relance, comme le prévoit l'accord de juillet : parmi d'autres critères, le texte affirme que la "cohérence vis-à-vis des recommandations faites aux Etats sera capitale dans l'évaluation" des projets. En conséquence, le document de la Commission réclame "une explication détaillée de la manière dont les mesures proposées répondront aux recommandations", "notamment à celles de 2019 et de 2020".

Levier inédit

Quelle est la teneur de ces préconisations ? Celles adressées à la France laissent une large place à la maîtrise budgétaire et à la réduction des normes : l'édition 2019 enjoignait de mener des économies "correspond[ant] à un ajustement structurel annuel de 0,6 % du PIB, [d']utiliser les recettes exceptionnelles pour accélérer la réduction du ratio de la dette publique", et de "réduire les dépenses (...) dans tous les sous-secteurs des administrations". Le document poussait également l'exécutif "à réduire les restrictions réglementaires, notamment dans le secteur des services". Autre voie suggérée, sur laquelle s'engagera le gouvernement Macron quelques mois plus tard : "Réformer le système de retraite pour uniformiser progressivement les règles des différents régimes (...) en vue de renforcer [leur] équité et [leur] soutenabilité".

Un an plus tard, la cuvée 2020 est dominée par la crise du Covid-19 et des appels à l'investissement, mais anticipe aussi la fin de la parenthèse. La France y est ainsi encouragée "à parvenir à des positions budgétaires à moyen terme prudentes et à garantir la soutenabilité de la dette", "lorsque la situation économique le permettra". S'y ajoute une incitation "à continuer à améliorer l’environnement réglementaire" et "à réduire les charges administratives pesant sur les entreprises".

Ces recommandations ne constituent aujourd'hui que des indications, dont la France et les autres pays restent libres de les suivre ou non. "Mais si elles deviennent une condition au versement des aides [du plan de relance] on aurait quelque chose de beaucoup plus contraignant", soulève Sébastien Adalid, professeur de droit public à l'Université du Havre. "À titre d’exemple, s’il est recommandé à la France de réformer son système des retraites, et que la réforme ne se fait pas ou prend du retard, les aides à la relance pour la France pourraient être suspendues", notait le chercheur dans un article publié fin juillet.

Contrôle minutieux

Afin d'être évalués sur le respect de ces directives, les Etats doivent transmettre une foule de détails sur leur plan de relance à la Commission. Après avoir décrit l'ambition générale de leur projet, ils doivent ainsi le diviser en différents thèmes (tels que "marché du travail" ou "administration publique"). Pour chacune de ces catégories, ils doivent ensuite détailler les réformes et investissements associés, leur impact attendu, leur coût et des "jalons et objectifs" qui devront permettre de mesurer leur efficacité. De plus, "tous les jalons et objectifs seront associés à une date à laquelle on attendra qu'ils soient remplis", et "les versement seront liés à [leur] réalisation satisfaisante", précise le texte. De quoi surveiller la mise en place des plans de relance, dont une mauvaise application pourra entraîner la coupure des subsides.

Ces modalités ne représentent toutefois qu'une proposition de la Commission à l'heure actuelle, et doivent encore être validées par les instances de l'UE. "La procédure doit être adoptée à l'identique par le Parlement européen et le Conseil [qui représente les gouvernements, ndlr]. Cela ne devrait pas poser trop de problème du côté du Conseil, parce que l'esprit du texte est similaire à celui de l'accord de juillet", analyse Sébastien Adalid. Car l'accord conclu entre les 27 prévoyait notamment déjà une possible suspension des virements, ainsi que la nécessaire cohérence avec les recommandations économiques formulées chaque année...

Si la procédure prévue par la Commission était bel et bien validée, l'instance dirigée par Ursula von der Leyen resterait tout de même limitée dans ses velléités de contrôle. Car elle devrait obtenir à chaque étape l'accord des pays membres, que ce soit pour valider les plans de relance ou pour interrompre le versement des subventions. Ces décisions devront en effet être prises par le Conseil à la majorité qualifiée, c'est-à-dire avec les votes d'au moins 15 Etats, qui doivent aussi regrouper 65% de la population de l'UE. Dans les faits, un plan de relance serait donc bloqué s'il est rejeté par des pays rassemblant plus de 35% des citoyens européens. A titre d'exemple, une coalition formée par les pays dits "frugaux" (les Pays-Bas, le Danemark, la Suède, l'Autriche et la Finlande), longtemps réticents au plan de relance, et l'Allemagne représenterait 29% de la population de l'Union. De quoi veiller à ce que le sérieux budgétaire et les "réformes structurelles" trouvent une place dans les futures mesures ?

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