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Les nouveaux malandrins!

Je sais, il faudrait pouvoir les éviter, les contourner, oublier les autoroutes et choisir d’emprunter les nationales ou les départementales. Mais ce n’est pas facile ; il y aura toujours un moment, une urgence, ou une nécessité matérielle liée à vos déplacements, qui vous obligeront à utiliser le réseau payant. 

Tenez, mon exemple personnel vaut ce qu’il vaut, mais il est frappé au sceau de milliers de kilomètres parcourus en diagonale, régulièrement, entre les Alpes et la Bretagne.

D’ordinaire, je choisis mes jours de voyage pour traverser le pays : en général le samedi ou le dimanche quand les norias de camions qui traversent en trombe l’hexagone sont aux arrêts de rigueur. Chaussée tranquille. Un seul mot d’ordre: penser aux radars !

Depuis le Vercors, je m’arrange donc pour n’avoir aucune redevance à régler. Je prends mon temps et apprécie le paysage : route nationale par Tarare, Roanne, Montluçon, puis voie express gratuite via Guéret, et à nouveau nationale par Poitiers puis Parthenay, enfin voie express gratuite depuis Bressuire et Nantes, jusque dans le Finistère. Cela représente un millier de bornes pour treize heures de route, hors pauses. Le coût en carburant s’avère modéré car la vitesse moyenne tourne autour de 75 km/h.  Au total je débourse donc entre 70 et 75 euros.

Le prix d'une baguette tous les dix kilomètres ! Ici péage APRR de Clermont-Ferrand © Patrice Morel (septembre 2020) Le prix d'une baguette tous les dix kilomètres ! Ici péage APRR de Clermont-Ferrand © Patrice Morel (septembre 2020)

Or, ce mercredi 23 septembre, pour des raisons familiales, je ne pouvais faire autrement qu’utiliser le réseau autoroutier. Il faut savoir qu’entre Brest et Grenoble, vous devez  emprunter environ 300 km de voie express gratuite en pays breton, puis 800 kilomètres d’autoroute à péage par Nantes, Tours, Lyon. Au final onze heures de trajet sans charme, la jambe droite crispée, et une tension permanente au volant due au flot incessant de bahuts dangereux, en excès de vitesse très souvent, abusant fréquemment de dépassements interminables. Bref, la moyenne horaire s’établit dès lors à 100 Km/h, pour 85 euros d’essence,  et ... tenez-vous bien, 80 euros de péage ! Total 165 euros. Le double de mon trajet habituel pour un gain de temps finalement minime.

Des zones de travaux à n'en plus finir, vitesse réduite, une seule file, et le même tarif que d'habitude à la barrière de péage © Patrice Morel (septembre 2020) Des zones de travaux à n'en plus finir, vitesse réduite, une seule file, et le même tarif que d'habitude à la barrière de péage © Patrice Morel (septembre 2020)

La première escroquerie s’affiche ainsi dans le tarif kilométrique réclamé par les sociétés du racket autoroutier : environ un euro les dix kilomètres. L’autre abus réside dans la fréquence des zones de travaux émaillant le réseau : ce 23 septembre 2020 j’ai compté une douzaine de ces zones, soit au-moins 70 kilomètres de secteurs en chantier, avec vitesse réduite à 90 ou 70 km/h, et voie à double sens le plus souvent. Evidemment, vous payez le péage plein pot comme d’habitude ! C’est un vol manifeste car le service rendu ne correspond plus à ce que vous attendez de la voie rapide utilisée.

Nantes - Grenoble : 78,60 euros ! © Patrice Morel (septembre 2020) Nantes - Grenoble : 78,60 euros ! © Patrice Morel (septembre 2020)

Bon, je ne suis pas fort en calcul, mais là, franchement, sans vouloir passer pour un pingre, l’abus est insupportable. Je pense aux personnes à revenu modeste qui sont obligées de prendre quotidiennement l’autoroute pour se rendre au travail. Comment justifier de telles pratiques tarifaires ? 

Lorsque fin 2019 les gilets jaunes mirent le feu à une barrière de péage dans le midi de la France, tous nos grands chroniqueurs et experts médiatiques, tous nos politiciens en pantoufles, et ce gouvernement de monarchie dorée condamnèrent avec indignation et cris d’orfraie l’action insoutenable des voyous du midi !

Mais sans chercher à justifier ce vandalisme dirigé contre les excès d’un marché fou, je me pose la question : qui sont réellement les vrais malfaiteurs aujourd’hui  ? 

Le truandage des bords de chaussée était jadis l’apanage de crapules sans pitié. J’y pense souvent quand je passe devant l’auberge rouge de Peyrebeille, sur la RN 102 en haute Ardèche à Lanarce (voir chemin du 29 octobre 2019, intitulé «route de la grande zigouille» ).

Choisir les routes nationales, le week-end de préférence © Patrice Morel (Loire, automne 2019) Choisir les routes nationales, le week-end de préférence © Patrice Morel (Loire, automne 2019)

Désormais, les «coupeurs de bourses» sont invisibles, anonymes, n’ont pas d’arme à feu ou de hache, ne font pas couler le sang, et échappent à toute justice. Ils prennent l’argent du peuple avec vice caché et approbation des élus. Ils se planquent derrière des sociétés écrans et distribuent des dividendes énormes à des coquins et des copains. Ils envisagent même avec un culot immodéré de faire payer un jour l’usage des routes nationales. Dans quel monde vivons-nous ? Et qu’attend-on pour lancer une grève générale du péage autoroutier ? La fripouille fait dans l’orgie, au vu et au su de tous.  Existe-t-il encore des syndicats pour défendre les usagers du goudron ? 

Face à cette inertie, je crois que si mes guiboles le permettent, j’aurai finalement le dernier mot : j’achèterai une mule, et je «monterai» en Bretagne par les sentiers et les vicinaux,    sur les «chemins noirs» de la belle France comme les appelle Tesson. Je prendrai un bâton et je mettrai une carotte au bout d’une ficelle pour qu’avance à mon pas tranquille l’animal têtu. Je préfère engueuler de temps en temps un mammifère herbivore et ongulé que de pester à longueur de  trajet automobile contre les gangsters de l’asphalte !

La beauté des simples routes de France ... © Patrice Morel (Loire, automne 2019) La beauté des simples routes de France ... © Patrice Morel (Loire, automne 2019)
Source : médiapart,

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