· 

En Californie, l’air pur est un privilège et un luxueux business

 

Longtemps, la Californie ne fut pas que le divin royaume du lait et du miel, une corne d’abondance fantasmée pour les Yankees de l’Est ou les immigré·es, en quête de vies nouvelles ou de richesses qu’il ne restait qu’à cueillir.

Comme l’écrit le Los Angeles Times dans un article sur la question, certains journaux de la fin du 18e siècle louaient également l’État, au développement industriel plus tardif, pour la pureté thérapeutique de l’air que l’on pouvait y respirer, le qualifiant de «pays des fruits et des sanatoriums».

Cela n’aura pas échappé à celles ou ceux qui ont vu, ces dernières semaines, des images de l’actuelle atmosphère californienne. Déjà encrassé par une intense activité industrielle, doublée d’un trafic routier si polluant que l’État interdira la vente de véhicules à essence dès 2035, l’air du pays est devenu littéralement irrespirable avec la venue d’une nouvelle série d’incendies de très grande ampleur, dont les denses fumées ont fini par atteindre New York.

Ajoutons à cet apocalyptique tableau un SARS-CoV-2 aéroporté et les confinements domestiques: le désastre est total. Pas pour tout le monde néanmoins. Car en Californie, le marché de l’air pur fleurit d’autant plus fort.

California Breathin’

Les secteurs du BTP et de l’immobilier se frottent ainsi les mains. Les premiers parce qu’ils peuvent proposer aux riches personnes bâtissant de nouvelles demeures de très coûteux systèmes complets d’assainissement de l’air. Dernier cri, proches de ceux adoptés dans les hôpitaux modernes, ils renouvellent intégralement l’atmosphère d’un lieu plusieurs fois par jour, et peuvent coûter jusqu’à 200.000 dollars.

Il ne s’agit là que de la «simple» climatisation, filtration et aération de l’espace. À ceci, il faut ajouter le surcoût élevé de fondations conçues pour éviter de dangereuses remontées de gaz toxiques comme le radon, habituelles dans un coin où les industries ont également laissé quelques traces sales et dangereuses.

Les agent·es immobiliers, de leur côté, sont aux anges: les biens qu’ils et elles vendent, s’ils sont déjà dotés de cette luxueuse garantie d’air pur, sont devenus si prisés que leurs prix explosent.

Le Los Angeles Times a ainsi interrogé Carl Gambino, spécialisé dans les demeures de luxe. Il explique que la ventilation et la filtration sont devenues des conditions sine qua non pour nombre de client·es fortuné·es depuis les incendies de 2019, et qu’ils ou elles sont prêtes à y mettre le prix.

Il cite notamment deux demeures récemment vendues, l’une dans la San Fernando Valley pour la modique somme de 14,1 millions de dollars [12,1 millions d’euros], l’autre à Brentwood pour 20,2 millions de dollars [17,3 millions d’euros].

Malgré des normes locales resserrées en 2019 pour l’ensemble des constructions, respirer un air véritablement sain est donc devenu le privilège de celles et ceux qui peuvent se l’offrir –et se payer, au passage, quelques années supplémentaires d’espérance de vie.

Si cette ligne de démarcation entre atmosphère saine et pollutions meurtrières est une réalité historique de l’urbanisme du monde entier, l’irruption de la technologie, de son coût et des crises nouvelles creuse encore un peu plus les inégalités.

Korii Slate, 25 septembre 2020

Source Anti K

Écrire commentaire

Commentaires: 0