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Hôpitaux : des médecins stagiaires dits "associés" ou "étrangers" payés 1300 euros mensuels, une pratique courante

"On peut parler d'abus. Leur situation est inadmissible dans notre société, comparée aux services qu'ils nous rendent et à ce que négocient des médecins intérimaires qui touchent en une garde, facilement le double de leur salaire mensuel", s'exclame Pascal Lamarche le délégué de CGT-Santé à l'hôpital d'Alençon-Mamers, dans l'Orne. Des mercenaires face aux esclaves des temps modernes? On peut sincèrement s'interroger en découvrant cette situation.

La CGT-Santé de l'Orne vient d'obtenir les chiffres. Ils sont 71 médecins stagiaires associés et praticiens attachés (des médecins étrangers plus expérimentés et un tout petit mieux payés) à l'hôpital d'Alençon-Mamers. "C'est beaucoup ! on les utilise vraiment. C'est totalement ce qu'on peut appeler de la main d'oeuvre à pas cher. Et nos hôpitaux, il faut le savoir, tiennent bien souvent grâce à eux. Ils permettent de faire tourner les Urgences, bien souvent."
 

Le Docteur Kingolé dans notre hôpital de l'Aigle fait un travail remarquable et consciencieux. Il est devenu un pilier essentiel du service de médecine qui compte 56 lits. Son départ, je le vivrais comme une catastrophe pour l'hôpital, les patients et le territoire. S'il devait partir, beaucoup de choses s'arrêteraient ici

Dr Isabelle Duval de Laguierce Médecin gastro-entérologue

La CGT-Santé veut les recenser dans tous les départements normands

Pour la première fois, le syndicat CGT-Santé va organiser un grand "comptage" des effectifs dans les hôpitaux publics normands. "Jusqu'à aujourd'hui, on savait que ça existait mais maintenant il faut mesurer l'ampleur que ça a pris. On a besoin d'eux désormais, comme à l'Aigle, où ce médecin congolais a assuré une mission pendant tout le confinement."
La crise sanitaire a mis en évidence ce qu'ils apportent à des hôpitaux en manque de médecins.

"Jetés comme des kleenex et sous-payés": plus pour longtemps peut-être

 
Le Dr Patrick Kingolé veut rester médecin à l'hôpital de l'Aigle et se spécialiser en gastro, une spécialité dont a besoin la structure pour son service de médecine de plus de 56 lits. S'il part, tout s'écroule selon ses collègues.
Le Dr Patrick Kingolé veut rester médecin à l'hôpital de l'Aigle et se spécialiser en gastro, une spécialité dont a besoin la structure pour son service de médecine de plus de 56 lits. S'il part, tout s'écroule selon ses collègues. © Damien Migneau/ France Télévisions

Patrick Kingolé est un jeune médecin de 30 ans, investi pendant la crise sanitaire qui a fait tourner le service de médecine générale de l'hôpital de l'Aigle sans relâche pendant tout le confinement. Il habite ici, Il veut maintenant se spécialiser en gastro et se stabiliser dans notre petite ville le temps de sa formation qui va durer 3 ans. Mais c'est une chance pour nous en plein désert médical. Et on ne veut pas lui prolonger son permis de séjour ? On veut le renvoyer chez lui? C'est incompréhensible. 

Marc Provost, délégué CGT-Santé de l'Hôpital de l'Aigle


Patrick Kingolé a reçu l'entier soutien du chef de service qui l'a recruté et qui parle de déséquilibre dans ses effectifs s'il devait partir, faute de papiers lui permettant de travailler.
L'ARS Normandie et la Préfecture de l'Orne, le ministère de la Santé et d'autres politiques ont été alertés. Son titre de séjour finalement pourrait être renouvelé, vu aussi l'énorme mobilisation autour de lui. 
Par ailleurs, il aura certainement la chance de pouvoir valider plus facilement son diplôme de médecine obtenu au Congo prochainement. Là-bas il a fait 8 ans d'études de médecine et a obtenu tous ses examens. Dans quelques semaines, un decret devrait enfin permettre des équivalences plus simples pour tous ces médecins qui arrivent diplômés. Rien à voir avec un interne qui n'a pas encore achevé son apprentissage. 

 

Quand je suis arrivé à l'hôpital de l'Aigle c'est pas pour gagner de l'argent mais pour soigner des patients, pour combler ce vide et cette difficulté à recruter dans un hôpital comme celui-ci. J'ai pas besoin qu'on m'applaudisse à 20H pendant la crise sanitaire. La meilleure récompense pour moi, c'est qu'on m'accorde un peu de stabilité administrative

Dr Patrick Kingolé, médecin stagiaire associé à l'Hopital de l'Aigle

Chaque jour de service ou de nuits de garde, le Dr Patrick Kingolé a la responsabilité d'un service de médecine générale comptant 56 lits. "C'est une pression psychologique importante, je n'ai pas besoin qu'on me rajoute celle des titres de séjour. Tous les 3 mois, je dois consacrer une journée préfecture. C'est usant, alors qu'on m'attend ici."
 

Des medecins étrangers indispensables dans les déserts médicaux

Le personnel hospitalier connaît depuis une vingtaine d'année, ces médecins venus d'Afrique bien souvent, d'Amérique du Sud parfois. Ils sont dans les textes formés hors CEE et leur statut est issu d'une convention, basé sur du donnant-donnant. 

Dominique Gillot, sénatrice du Val d'Oise  interrogeait en 2014 la ministre des affaires sociales et de la santé sur la circulaire interministérielle n° DIMM/BIP/DGOS/RH4/2012/111 du 7 mars 2012 relative aux conditions d'accueil et de recrutement des stagiaires associés :  "Cette directive prévoit qu'à l'issue de son stage, le stagiaire associé doit retourner dans son pays et ne peut donc se maintenir en France sous un autre statut. L'engorgement de certains services particuliers de centres hospitaliers est malheureusement une réalité. Certains établissements font appel à des médecins ou parfois même à des stagiaires, y compris étrangers – en vertu de conventions bipartites - pour maintenir la qualité de la prise en charge de leurs patients." Et puis à l'issue des 6 mois (ou un an) renouvelables une fois, plus rien.

On les fait venir, on les sous-paye ce qui ne leur permet pas d'obtenir le visa pour leur épouse ou leurs enfants, puis on les renvoie, en attendant le prochain. Et dans les services, les équipes accusent le coup de cette valse incessante et du manque de stabilité professionnel. Alors que bien souvent, ils sont compétents et investis. On aimerait les voir rester.

Pascal Lamarche, CGT-Santé Hôpital d'Alençon et infirmier de Réanimation

Un salaire à 1300 euros, plus les gardes

1300 euros net par mois pour un médecin, c'est moins que le salaire moyen d'une infirmière diplômé d'Etat. Les salaires à l'hôpital sont très variables mais il y a quelques repères.
"Un praticien hospitalier (médecin titulaire) gagne souvent trois fois ça ses premières années et peut finir à 7 000 euros, en fin de carrière", explique Pascal Lamarche. 

Certes, le salaire des médecins à l'hôpital, bien inférieur à ce qui peut être négocié en clinique, n'a jamais fait rêver. Mais le montant accordé aux médecins stagiaires associés peut surprendre à double titre.

Sous-payés face aux intérimaires-mercenaires

Il est faible pour le niveau d'étude et ne correspond pas du tout au montant versé aux autres médecins de l'hôpital.

Car il existe un autre type de renfort : les intérimaires. Bien connus dans tous types d'entreprises, les intérimaires interviennent au contrat. "Chez nous c'est à la journée bien souvent, correspondant à une garde de 18h à 8h. Les médecins intérimaires ont la plupart du temps négocié le montant de leur prestation. Et il faut savoir qu'ils facturent bien souvent à l'hôpital une garde à 2000 ou 3000 euros, plus les frais payés de voyage, etc. En une journée ou une nuit de 14 heures, ils gagnent deux ou trois fois le salaire mensuel d'un médecin stagiaire associé, c'est à dire jeune et étranger." Ils viennent de partout, ne résident pas forcément dans la région où ils travaillent.

Les intérimaires n'ont pas toujours beaucoup d'expérience et certains sont parfois totalement perdus en arrivant pour une nuit dans un service qu'ils ne connaissent pas.
"C'est ni stable, ni sécurisant pour le service. On préfère souvent travailler avec un médecin qui nous connaît et à qui on n'a pas besoin d'expliquer le pourquoi du comment. C'est plus efficace et plus stable. Plus sécurisant , aussi, pour le malade en bout de chaîne", raconte Pascal Lamarche. 

Un médecin stagiaire associé va toucher, lui, une prime de 100 euros pour sa garde, à peine plus. " Voilà pourquoi, à côté on peut comparer les intérimaires à des mercenaires !", assurent les représentants de la CGT-Santé. 

Après une année de travail en France, renouvelable une fois, ces médecins stagiaires doivent repartir dans leur pays d'origine, où ils ont suivi leur formation. Certains peuvent passer une équivalence de diplôme en France mais il existe un quota. Beaucoup restent donc sur le bord de la route, après tout ce temps passé aux chevets de nos malades dans des hopitaux de campagne, bien souvent boudés par nos jeunes diplômés.
 

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