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La vague de plans sociaux, annoncée pour la rentrée de septembre, va bien déferler sur la France, mais début 2021

Je pense que nous allons affronter une tempête : une tempête économique, une tempête sanitaire, peut-être une tempête sociale. Les temps qui viennent vont être difficiles » ÉDOUARD PHILIPPE, LE 16 SEPTEMBRE

 

SOCIAL Tous l'annonçaient de concert… Après la paralysie de l'économie, l'explosion du nombre de chômeurs et la contraction sans précédent du PIB, la crise qui s'est abattue sur la France devait provoquer un tsunami de plans sociaux à la rentrée, que le chef de l'État pronostiquait lui-même début juin comme « difficile ». Après un été passé à essayer de mesurer les dégâts à venir sur leur activité, les entreprises devaient se décider, ou non, à tailler dans leur masse salariale pour assurer leur survie en espérant que les carnets de commandes finissent par se remplir de nouveau. Mais force est de constater que la vague annoncée n'a toujours pas submergé le tissu économique français.

 

D'après le ministère du Travail, le nombre de plans de sauvegarde de l'emploi (PSE) – obligatoires pour les entreprises de 50 salariés minimum lorsque le projet de licenciement concerne 10 salariés minimum – s'élève à 394 depuis mars, contre 249 sur la même période l'an dernier. Une augmenta-tion certes de 58 %, mais qui reste toutefois mesurée au regard des premiers effets dévastateurs de la crise sur l'emploi. Dans le cadre de ces plans, près de 57 000 ruptures de contrats de travail sont ainsi envisagées par les entreprises contre 18 500 ruptures effectives sur la même période en 2019. Le fossé est plus important, mais, là encore, les craintes étaient plus grandes et la réalité s'en retrouve plus nuancée. En se gardant de tout triomphalisme, la situation est donc plus clémente que prévu.

 

« C'était notre pronostic et notre discours : les prévisions les plus sombres ne se réaliseraient pas. Et l'on voit que c'est le cas pour l'instant. De la même manière, les prévisions de croissance, sans être bonnes, sont moins catastrophiques que ce que tous avaient annoncé. Il faut rester prudent avec les prophéties autoréalisatrices car, à force de crier au loup, il finit par arriver », avertit Patrick Martin, président délégué du Medef.

 

Terrain porteur

 

Et ce d'autant plus, qu'avant la crise, de nombreux indicateurs sur le front de l'emploi étaient bien orientés. Les créations d'emplois étaient dans le vert depuis 2015 pour tangenter la barre du million en cinq ans, et le taux de chômage tendait vers l'objectif des 7 %, fixé par le gouvernement pour 2022. Un terrain porteur qui a permis d'éviter des plans sociaux en cascade dès cette rentrée.

 

Autre élément majeur qui pèse dans la balance : l'État a déployé durant la crise une myriade d'aides pour maintenir l'économie sous oxygène. Par le biais du dispositif de chômage partiel, il a pris à sa charge la rémunération de plus de 8,8 millions de salariés du privé au plus haut de la crise. Du côté de la trésorerie, les entreprises ont pu bénéficier du report de charges, du fonds de solidarité ou des prêts garantis par l'État (PGE). Des aides salvatrices qui ont pu éloigner la nécessité de recourir tout de suite à une restructuration. D'autant plus qu'à partir d'octobre le chômage partiel va coûter plus cher aux entreprises et que les remboursements des PGE vont démarrer en avril 2021.

 

La vague tant redoutée pour septembre arrivera donc plus tard que prévu. « Malgré toutes ces aides, certaines entreprises qui ne relèvent pas la tête vont se dire qu'il faut arrêter les frais. Le chômage partiel ne peut plus les aider, car les autres dépenses et charges continuent de s'accumuler. Dans cette optique, les restructurations sont nécessaires et même inévitables pour que les entreprises puissent se réorganiser », analyse Stéphane Carcillo, chef de la division emploi et revenus à l'OCDE. Mais toutes ces procédures sont longues, car complexes. Un PSE ne se négocie pas en un claquement de doigts. « Avec tous les délais de consultation et de négociation à respecter, les entreprises anticipent des plans sociaux dans les trois à six mois à venir », détaille Benoît Serre, vice-président délégué de l'Association nationale des directeurs de ressources humaines (ANDRH).

 

En coulisse, les cabinets spécialisés dans les restructurations sont déjà en ordre de bataille. « Après des mois de juin et juillet étonnamment calmes du fait d'un certain attentisme, il y a eu une précipitation des entreprises qui sont venues nous voir à partir de la mi-août pour travailler sur leur restructuration. Tout va s'accélérer d'ici à l'hiver », avoue Marine Roussannes, directrice de la « practice mutations des entreprises et restructurations » au sein du cabinet LHH.

 

Coupes importantes

 

Au-delà d'une multiplication des procédures attendues dans les prochains mois, la véritable différence se fera également dans la volumétrie des coupes. Habituellement, le cabinet travaille sur des réorganisations qui comptent entre 50 et 500 suppressions de postes. Désormais, l'ordre de grandeur va jusqu'à… 6 000 emplois. « Nous comptons un grand bataillon de plans qui prévoient entre 400 et 1 000 licenciements. On est vraiment au-dessus de la fourchette normale », ajoute la spécialiste.

 

Toutes ces procédures longues s'avèrent de surcroît très coû-teuses. « Un plan social, c'est entre un an et demi et deux ans de salaires à débourser immédiatement pour chaque personne. Et quand il s'agit d'un trou d'air temporaire, il n'est pas intéressant de licencier pour recruter derrière des intérimaires ou des contrats courts, une fois que l'activité aura repris », estime Olivier Angotti, avocat au sein du cabinet FTMS. Dès lors, les entreprises pourraient plutôt se tourner vers des procédures de départs vo-lontaires, socialement moins violentes et nettement moins visibles.

 

Manifestation, le 17 septembre, devant l'usine du fabricant de pneumatiques Bridgestone, à Béthune, dans le Pas-de-Calais.DENIS CHARLET/AFP

 

Mais aussi, et surtout, vers les outils d'activité partielle de longue durée (APLD) ou d'accords de performance collective (APC) en espérant passer cette période difficile. C'est du moins ce que souhaite l'exécutif, qui appelle les employeurs à s'emparer de ces deux outils pour éviter une pluie de plans sociaux compliqués à gérer politiquement. Pour autant, les PSE ne reflètent pas à eux seuls la situation de l'emploi en France. En s'adressant uniquement aux grandes entreprises, ils éclipsent la réalité des plus petites entreprises, les PME et TPE, qui n'ont d'autres choix que de multiplier les départs individuels passant sous les radars. « Comme toujours, on se focalise surtout sur les grandes entreprises, mais c'est l'arbre qui cache la forêt », estime Éric Chevée, vice-président de la CPME. ¦

 

7 octobre

 

 

Date redoutée en matière de dépôts de bilan qui pourraient exploser. Le 7 octobre marque la fin du délai de 45 jours, post-période d'urgence sanitaire, au cours duquel les entreprises en difficulté pouvaient ne pas demander leur placement en redressement ou liquidation judiciaire.

 

 

 

« Le recours à l'activité partielle recule à nouveau en août : 1,3 million de salariés en bénéficient, contre près de 9 millions au plus fort de la crise. La reprise de l'activité économique se poursuit ! » ÉLISABETH BORNE, MINISTRE DU TRAVAIL ET DE L'EMPLOI, LE 23 SEPTEMBRE

 

Fin août, plus de la moitié des salariés étaient retournés sur site et le chômage partiel complet ne concernait plus que 3 % des salariés représentant 77 millions d'heures chômées. Si 60 % sont employés dans des entreprises dont l'activité est inchangée, 7 % travaillent dans une structure dont le business est à l'arrêt ou amputé de moitié. Les causes n'ont pas changé : la perte de débouchés, loin devant les fermetures administratives ou le manque de personnel. Les difficultés liées à la gestion des questions sanitaires sont quant à elles toujours en hausse.

 

+ 9,8 % Hausse du nombre de déclarations d'embauche de plus d'un mois (hors intérim) en août. Elle porte à + 2,2 % l'évolution sur un an de cet indicateur, qui repasse dans le vert pour la première fois depuis le début de la crise

 

par  William Plummer @PlummerWilliam Le Figaro 24/09/2020

 

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