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Eric Piolle : «La position de Gérald Darmanin est dangereuse»

Eric Piolle, maire écologiste de Grenoble, candidat potentiel à l’élection présidentielle de 2022, dénonce une tactique gouvernementale «d’hystérisation» et de «fracturation» de la société française après la décapitation de Samuel Paty. Il s’insurge contre la désignation de «boucs émissaires» par l’utilisation du terme d’«islamo-gauchistes», manœuvre derrière laquelle il voit la main d’Emmanuel Macron. Eric Piolle veut apaiser le débat, remettre au centre les textes fondateurs de la République, dont la loi sur la laïcité, et défend, comme Jean-Luc Mélenchon depuis peu, une vision de la société caractérisée par la «créolisation».

Les propos de Gérald Darmanin sur le «communautarisme menant au séparatisme» vous ont-ils choqué ?

La position de Gérald Darmanin est dangereuse : c’est vraiment incroyable de dire qu’on est choqué par les rayons halal ou cacher dans les supermarchés. Cela dit, ce n’est pas tant de Darmanin dont il s’agit. Derrière lui, Emmanuel Macron prépare le terrain de jeu de 2022 : s’il est aujourd’hui un personnage en guerre, contre le trafic de drogue, contre la Covid, contre l’islamisme radical, c’est que derrière des discours de qualité, comme celui de la Sorbonne la semaine dernière, il cache une logique politique de fracture de la société, dont il a besoin pour survivre. Darmanin et Blanquer sont ses soldats, les soldats d’une conception qui est pour moi structurée, pensée, et qui fait fi de l’histoire de France, de la manière dont elle s’est construite, dans un rapport non pas à l’ethnie mais bien à la citoyenneté. Il y a là un regard qui essentialise alors que nous sommes en réalité tous «multi-appartenants» à des communautés et que cela n’enlève rien à notre capacité d’avoir un rapport direct à la nation, à la République.

Pour Gérald Darmanin, le Comité contre l’islamophobie (CCIF), dont il va proposer la dissolution, est pourtant bien un «ennemi de la République», encouragé par la complaisance d’une gauche taxée d’«islamo-gauchisme»…

 

J’ai été frappé par cette fuite en avant et cette incapacité du gouvernement de se hisser à la hauteur de la gravité du moment. Cette hystérisation de la société nourrit les intérêts de l’islam politique, de l’extrême droite, de ceux qui sont dans des logiques communautaristes, comme l’étaient déjà Nicolas Sarkozy ou Manuel Valls avant Emmanuel Macron. Je suis totalement solidaire de ceux qui, qui comme le Parti communiste, subissent ces accusations de lâcheté, de complaisance, voire de complicité avec l’islam politique. On retrouve là une logique de boucs émissaires, qui va faire des dégâts, comme on le voit avec les attaques contre le CCIF. On doit lutter d’une part contre les discriminations, dont évidemment celles liées à la religion, ou à la religion supposée, et on doit d’un autre côté lutter contre l’islamisme politique et le jihadisme, en ne les confondant pas non plus d’ailleurs. Les ennemis de l’intérieur, les adversaires politiques, ce sont bien cet islamisme militant, nourrit par les Frères musulmans, les salafistes, et cette frange qui bascule dans le jihad, et qui visent deux cibles : les valeurs de la République et la déstabilisation du pays, mais aussi les musulmans eux-mêmes, à l’étranger comme ici. C’est bien sur eux que pèse la première oppression !

 

La gauche n’est-elle pas profondément divisée entre les partisans d’une laïcité «inclusive» et les défenseurs d’une laïcité «de combat» ? L’union à laquelle vous aspirez pour 2022 ne risque-elle pas de se fracasser sur cet écueil ?

 

Il n’y a pas, pour moi, une coupure mais une série de nuances qui s’expriment dans les luttes contre les discriminations. Les grands enjeux sociaux, environnementaux, démocratiques nous rassemblent de façon extrêmement forte. Les points de convergence sont là, dans les principes de ce qu’on veut vivre ensemble. Finalement, ces attaques incroyables portées par un arc qui va de Valls à l’extrême droite contre notre espace de gauche et écologiste, peut l’amener, il me semble, à se retrouver sur l’essentiel, par l’expression de sa solidarité contre cette désignation de boucs émissaires.

 

Au-delà, quel peut être le consensus à gauche sur ces questions de multiculturalisme ? Y a-t-il de la place pour l’islam dans la République sans menace de communautarisme ?

 

Je défends depuis très longtemps le concept de créolisation, cette mise en partage de nos connaissances, de nos arts, de nos patrimoines culturels, et qui n’est en rien du communautarisme ! Nous sommes tous unis au-delà dans un lien à la nation, dans une communauté qui décide de vivre sous les mêmes lois. On en revient à la Constitution !

 

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Dans les périodes de crise, il faut revenir aux sources, aux textes de la République, qui sont limpides. La loi de 1905 dit tout, il faut la relire : la nation reconnaît la liberté de conscience totale, sans limite, et si l’exercice du culte, par tout signe extérieur, est encadré par la loi, il reste libre. Forcer ou empêcher quelqu’un d’exercer un culte est puni par le code pénal. Beaucoup ont oublié cela, il y a là une faillite forte. On doit mettre en partage nos textes fondamentaux, ses principes : il n’y a aucun souci avec aucune des religions puisqu’elles ne fondent pas la base de la politique et de notre vivre ensemble.

François Carrel correspondant à Grenoble

Source : Libération

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