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Tribune. L’élection américaine marque-t-elle la fin du néolibéralisme ?

 

La victoire de Ronald Reagan contre Jimmy Carter aux élections présidentielles de 1980 avait entraîné les États-Unis dans une politique économique de rupture fondée sur des baisses d’impôt massives, la fin des programmes sociaux et une guerre menée contre le syndicalisme (en début de mandat Reagan licencia 11 000 contrôleurs aériens accusés de mener une grève illégale). »

« Conseillé par l’économiste Milton Friedman, le président américain fut, avec Margaret Thatcher, l’un des principaux acteurs de la révolution néolibérale des années 1980 qui se traduisit par le retour à un État régalien replié sur les domaines sécuritaire et militaire. Comment définir le néolibéralisme ? En deux mots, il s’agit d’une doctrine qui vise à mettre les marchés au cœur de la société. L’idée sous-jacente est que ces derniers doivent fonctionner sans être perturbés par les interventions publiques, au prétexte que la théorie économique aurait prouvé qu’un système de marchés en concurrence serait le moyen le plus efficace pour atteindre l’optimum social. »

« Cette politique fut-elle une réussite ? Non, à l’évidence. »

« Dans les faits, les politiques néolibérales n’impliquent pas d’abandonner toute action économique de l’État. « Un libéral conséquent n’est pas un anarchiste » écrit Friedman dans Capitalisme et liberté (1962). Il s’agit plutôt de mettre l’action publique au service du marché en protégeant les institutions qui lui sont nécessaires : garantir l’état de droit, la propriété, une monnaie stable, surveiller la concurrence et maintenir l’ordre social, quitte à distribuer des allocations aux familles plongées dans la misère. Tout cela sans perturber l’ordre marchand. Il convient donc de réduire le non-marchand, les services publics, de privatiser et de diminuer les dépenses publiques, de favoriser le libre-échange, y compris avec des pays où les salaires et les normes environnementales sont faibles. »

« Cette politique fut-elle une réussite ? Non, à l’évidence. Depuis les années 1980, les inégalités ont explosé. La croissance économique a bénéficié aux seuls ménages les plus riches, tant et si bien que les classes populaires américaines ont à peu près le même niveau de vie aujourd’hui qu’il y a quarante ans. En laissant la finance hors de contrôle, les politiques néolibérales ont ouvert la porte à de nouvelles crises financières. Plus grave, le libre-échange a laminé l’industrie américaine et sa classe ouvrière. Près de 6 millions d’emplois ont ainsi disparu dans l’industrie manufacturière américaine entre 1990 et 2010, tandis que la Chine en profitait pour développer ses exportations et s’industrialiser. »

« L’échec du néolibéralisme a nourri la défiance des classes populaires américaines et explique pourquoi elles ont tendance à se réfugier dans l’abstention. En 2016, le basculement en faveur de Trump du Michigan et de l’Ohio, des États de la région des Grands Lacs victimes de désindustrialisation, explique largement la défaite de Hillary Clinton, perçue comme la candidate du statu quo. Trump martelait alors qu’il romprait avec le libre-échange et l’inaction de l’État. Comme la plupart des populistes, il a su agréger tous les mécontentements en montrant sa détermination à agir dans le domaine économique. Son interventionnisme alla jusqu’à s’attaquer à l’indépendance de la banque centrale et de son président Jerome Powell. »

« Trump reste relativement populaire dans une large frange de la population »

« Au terme de son mandat, Trump reste relativement populaire dans une large frange de la population malgré une gestion calamiteuse de la crise du Covid-19. Il incarne un État fort qui ne laisse à personne, même pas aux marchés, le soin d’organiser la société. C’est cette attitude qui fait de lui le premier président américain à rompre clairement avec l’héritage de Reagan. Car en dépit des baisses d’impôts et le soutien des milieux d’affaires, Trump ne s’est pas comporté comme un néolibéral. »

« À n’en pas douter, cette rupture avec les préceptes néolibéraux sera poursuivie par le président issu des élections du 3 novembre, quel qu’il soit. Dans le camp démocrate, l’ordre néolibéral ne fait plus recette, et il ne sera pas possible pour Joe Biden de renouer avec le libre-échange. De plus, la crise du Covid va nécessiter une large et profonde intervention publique qui ne pourra se limiter à de simples subventions. Enfin, s’il est élu, Biden a promis de faire sortir son pays du pétrole, ce qui passera nécessairement par une action forte et déterminée de l’État. »

« En somme, les États-Unis sont clairement en train de sortir du néolibéralisme. Reste à inventer une nouvelle doctrine de remplacement qui soit compatible avec la démocratie et la paix civile et qui mette vraiment l’économie au service de la société. Sur ce plan, il est clair que la présidence Trump est un échec. »

Article du Ouest France

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