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Au lycée, les silences et l'abandon

Cher Monsieur l'inspecteur de l'Académie de Versailles,

Nous vous écrivons aujourd'hui car nous sommes en colère. En colère, contre les silences et l'abandon que nous avons tous ressentis depuis la rentrée de septembre. En colère contre le mépris évident de notre institution à notre égard, qui s'exprime de façon désormais explicite et éclatante. En colère face aux décisions absurdes et dangereuses qui nous imposent d'enseigner dans des conditions qui n'assurent pas la sécurité des élèves, des personnels et des familles. En colère, contre un ministre qui remercie vainement et hypocritement ses enseignants sans jamais prendre la peine de les écouter.

Nous avons assumé avec courage une rentrée très difficile. Nous avons fait face aux conséquences du confinement chez les élèves : décrochages, lacunes, hétérogénéités inédites, difficultés pour certains à revenir à une simple posture d'élèves, fragilités psychologiques...

Nous avons enseigné avec résilience dans des conditions extrêmement fatigantes et angoissantes. Parmi celles- ci, le port du masque, qui est une entrave dans la transmission de nos cours et dans la communication avec nos élèves, a aussi des conséquences physiques chez les élèves et chez les professeurs. Fatigue, maux de tête, extinction de voix : beaucoup d'entre nous ont été arrêtés pour surmenage.

Et nous avons assumé cette rentrée sans qu'aucune mesure ne soit prise, dans des classes toujours aussi chargées, à 35 élèves (37 parfois !), avec des programmes toujours aussi lourds. On nous avait promis qu'un allègement de programme nous serait communiqué rapidement, nous l'attendons toujours... En revanche, nous avons appris par weblettres que le programme de grammaire en première se verrait cette année augmenté des notions jusqu’ici abordées en classe de seconde. Faut-il ajouter foi à cette information ? Et si oui, jusqu’où ira-t-on dans les exigences intenables ?

La seule chose que nous avons reçue, ce sont cinq masques, qui ont été jugés inefficaces, puis dénoncés comme nocifs. Comment ne pas voir dans ce morceau de tissu toxique donné par le ministère l’expression du profond mépris dans lequel il nous tient ?

A ces difficultés, viennent s'ajouter les conditions spécifiques de chaque établissement. A Léonard de Vinci, sur toute une des longueurs du lycée, les fenêtres côté rue ne s'ouvrent pas à cause de l'architecture du bâtiment ; côté cour, elles s'ouvrent, mais nous avons depuis le début du mois de septembre des travaux aux marteaux-piqueurs incessants qui nous obligent à choisir entre être entendus ou aérer.

Aujourd'hui, alors que la situation est désastreuse et que nous nous apprêtons à subir une vraie catastrophe sanitaire, alors que des mesures de confinement sont partout mises en place, que le télétravail est partout préconisé, notre ministre nous propose de continuer comme si de rien n'était. Le seul changement proposé par le ministre est le port du masque dès 6 ans (mesure dont il verrait bien lui-même le caractère dérisoire s'il se donnait la peine de venir voir dans les lycées et collèges combien celle-ci est déjà compliquée à faire respecter) ; il préconise également, « si c'est possible », des aménagements pour éviter le brassage des élèves. Mais comment maintenir les classes isolées puisqu'il n'y a plus de classe au lycée général depuis sa réforme : doit-on en conclure que le ministre souffre d'amnésie ?

Nous connaissons mieux que quiconque les méfaits du confinement sur les élèves les plus fragiles, nous sommes convaincus mieux que quiconque des bienfaits de l'école. Mais nous ne sommes pas dupes, nous savons aussi que l'effort pour maintenir un minimum d'activité économique dans le pays repose en grande partie sur la prise en charge des enfants par les enseignants. Mais alors que des justes mesures de soutien sont accordées dans beaucoup de secteurs, nous avons droit à bien peu de considération et bien peu d'écoute.

Car en effet, on ne nous a ni consultés ni entendus, puisqu'il est absolument certain que l'écrasante majorité des professeurs ne veut pas continuer d'enseigner dans des classes surchargées et souhaite que soient constitués des groupes à effectifs réduits. Cette solution n'est pas dictée par le désir d'alléger notre charge de travail (ou contraire, elle sera supérieure, comme pendant le précédent confinement), mais par le simple bon sens et la cohérence. Pourquoi interdire aux personnes des réunions au delà de six et autoriser les classes à 35 ? Comment faire comprendre aux jeunes qu'ils doivent se confiner, ne pas se réunir, mais qu'il peuvent s'entasser dans des salles de classe pour étudier ?

Nous voulons un allègement des effectifs dans toutes les classes de collège et de lycée ; pour ne pas défavoriser les élèves les plus fragiles ou les moins bien équipés, nous sommes davantage favorables à un enseignement en demi- groupes qu'à un enseignement hybride. Nous voulons que cette mesure soit décidée en amont, par le gouvernement, et non selon le bon vouloir des chefs d'établissement, pour conserver l'égalité d'éducation pour tous. Nous voulons qu'on allège les programmes, et que ce soit fait au niveau national, pour la même raison. Nous voulons aussi qu'on nous fournisse des masques et qu'on puisse également équiper les élèves qui viennent avec des masques défectueux. Nous voulons que les professeurs les plus fragiles puissent rester chez eux et ne soient pas mis en danger. Nous ne parlons pas ici de prime de risque ni d'augmentation (qui seraient bienvenues !), nous parlons uniquement du minimum pour continuer à enseigner en limitant les risques sanitaires !

Voilà pourquoi aujourd'hui nous vous adressons à la fois notre écœurement ainsi que nos demandes bien légitimes, et nous vous demandons de bien vouloir les transmettre.

Fait à Paris, le 1er novembre 2020

Anne Sophie Perlat et Christine Carry, coordinatrices, pour la grande majorité des professeurs de lettres du Lycée Léonard de Vinci

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