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Peste porcine, grippe aviaire… L’élevage industriel, source d’explosions épidémiques

Pour le meilleur et pour le pire, la population humaine a dépassé en nombre celle de tous les grands mammifères ayant sillonné la planète. L’Homo sapiens produit des protéines pour vivre. En moyenne, il élève 70 milliards d’animaux par an. Trois fois plus qu’il y a trente ans. Jamais dans l’histoire de l’humanité nous n’avions élevé autant de bêtes.

 

Ces animaux sont de plus en plus frappés par les virus infectieux. Quels genres de virus ? Des petits, des gros, des moyens, des résistants et des moins résistants. Certaines maladies anciennes émergent à nouveau sous une forme radicalement nouvelle et des maladies inconnues jusqu’alors se diffusent d’une façon fulgurante. Les chèvres connaissent des épisodes sans précédent de la fièvre Q, les poulets affrontent des sous-types hautement pathogènes de la grippe aviaire, les moutons contractent la maladie « de la langue bleue » [1].

 

Il y a deux ans, en Chine, le virus de la peste porcine se diffusait dans de nombreuses fermes à l’est du pays. Forte fièvre, perte d’appétit, hémorragie. En vingt-quatre mois, il a réduit de moitié le nombre de porcs en Chine. Sévissant déjà en Europe centrale, le virus a été détecté en Belgique en 2018. La France et ses voisins craignent désormais son arrivée.

 

Cette pandémie de peste porcine n’est pas une exception. Selon l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) — l’équivalent de l’OMS pour la santé animale —, le nombre d’épidémies dans l’élevage a presque triplé dans les quinze dernières années [2]. Les conséquences pour le bétail sont réels. Ils le sont aussi pour Homo sapiens : certaines maladies animales se transmettent à l’humain, on les appelle zoonoses.

 

Face aux flambées épidémiques, il existe une réponse commune à tous les pays : la « biosécurité »

 

Comment comprendre cet emballement infectieux ? Il nous faut réunir les pièces du puzzle. Les épisodes successifs des maladies partagent des circonstances communes. Pour les retrouver, il faut s’intéresser à une période historique précise, celle de la naissance d’un certain mode de production : l’élevage industriel.

 

Nous avons transformé de vastes enclos en fermes-usines produisant en série des animaux aux systèmes immunitaires fragiles. En 2003, des infectiologues prouvaient qu’une infection touche plus durement une population d’animaux standardisés, avec un code génétique unique. En 2007, une étude scientifique établissait une relation entre les doses d’antibiotiques que reçoivent, pour survivre, les animaux de l’industrie et les épidémies. En 2008, des experts mondiaux en maladies zoonotiques émergentes se rassemblaient pour discuter du possible lien de causalité entre ces quantités d’animaux d’élevage affaiblis et les explosions pandémiques.

 

Manifestation contre la ferme des Mille Vaches lors du Salon de l’agriculture 2014.

 

Et maintenant ? Sur une planète qui ne connaît plus l’isolement, face à ces flambées épidémiques transfrontalières, il existe une réponse commune à tous les pays. La pensée de la « biosécurité » vient de la stratégie militaire : après l’épisode des lettres à l’anthrax aux États-Unis (les enveloppes contenaient des bactéries qui contaminent l’humain), la recherche consacrée à la théorie contre les armes chimiques s’est intensifiée. Cette théorie a été appliquée à l’agriculture, à partir d’un constat simple : les fermes sont devenues dangereuses.

 

« La biosécurité désigne les mesures qui doivent être prises pour minimiser le risque d’introduction de virus » dans les unités de production agricole, annonçait l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) [3] dès la fin des années 1990. Pour l’appliquer, les fermes doivent mettre en place un isolement des animaux derrières des lignes Maginot biologiques. Clôtures, bâtiments, sas sanitaire, l’objectif est de confiner les animaux en permanence. Le contrôle d’un virus, qui peut paraître technique, engage en réalité un ensemble de choix économiques et politiques.

 

L’élevage est vu comme un ensemble à placer en sûreté, hors de la nature

 

Une seule vision émerge. « Les unités de production de grande taille peuvent être physiquement isolées et peuvent mettre en place des barrières de protection efficace », poursuivait la FAO. Les grandes fermes industrielles sont présentées comme la solution. L’élevage est vu comme un ensemble à placer en sûreté, hors de la nature. Les animaux doivent rester intacts, non intégrés à leur milieu mais intégrés aux chaînes d’approvisionnement de l’agro-industrie, dans une bulle créée par l’humain. Tout ce qui n’est pas industriel est perçu comme une menace.

 

Extrait d’un tableau produit par la FAO : toutes les mesures de biosécurité peuvent être mises en place dans le cas d’une grosse ferme industrielle.

 

Évidemment, c’est dérangeant. Les élevages industriels — avec leurs cages bondées et la promiscuité ambiante — sont propices aux maladies infectieuses, donc cette théorie pourrait s’avérer catastrophique et les épidémies s’accélérer. Après la croyance en un développement universel et sans limite sur toute la planète, nous assistons actuellement à l’émergence d’un nouveau mythe occidental : celui d’une biosécurité qui nous protégerait des zoonoses instituées par l’élevage industriel. Il opère aujourd’hui dans la plus grande discrétion. Avec le plus noble des laisser-passer : nous protéger.

 

La biosécurité est devenue un acteur de l’Histoire. Avec son régime de confinement pour tous les animaux, ses normes de taille, ses exigences agro-exportatrices, elle impose des comportements. En France, elle est devenue obligatoire à partir de 2016. Au nom de la sécurité, on n’a jamais autant élargi le règne de la marchandise. Et le danger sanitaire.

Source : Reporterre

 


  • Pandémies, une production industrielle, de Lucile Leclair, éditions Reporterre-Seuil, octobre 2020, 144 p., 12 euros.

 

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