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Le Masque & la Plume touché à l'unanimité par "La petite dernière" de Fatima Daas

Le livre présenté par Jérôme Garcin 

Elle a été sans conteste la révélation de cette rentrée littéraire. Elle a même fait la Une des Inrocks. Elle a 25 ans, et c'est Notabilia qui publie son premier roman. J'ai hésité à le résumer et je me suis dit que le mieux, c'était d'en lire quelques phrases : 

« Je m’appelle Fatima Daas. Je suis la mazoziya, la petite dernière. Celle à laquelle on ne s’est pas préparé. Française d’origine algérienne. Musulmane pratiquante. Clichoise qui passe plus de trois heures par jour dans les transports. Je suis une menteuse, une pécheresse. L’amour, c’était tabou à la maison, les marques de tendresse, la sexualité aussi. Je me croyais polyamoureuse. Lorsque Nina a débarqué dans ma vie, je ne savais plus du tout ce dont j’avais besoin et ce qu’il me manquait ».

Cette jeune homosexuelle musulmane signe plutôt une autofiction dont le rythme et le refrain "je m'appelle Fatima Daas" qui revient presque à toutes les pages, m'ont souvent fait penser à du slam. 

Il fallait oser. Elle l'a fait. Elle rencontre un grand succès ! 

"J'ai adoré forcément. J'ai absolument adoré. Quand je préparais la rentrée littéraire, tout d'un coup, j'ai vu qu'il y avait quelqu'un, qu'il se passait quelque chose, il y avait une vraie voix littéraire. J'aime le rythme. 

 

J'étais absolument sous le charme

 

C'est effectivement une forme de slam, de rap, une façon de parler quand on est asthmatique et qu'on n'arrive pas à reprendre son souffle. Chaque chapitre commence par "Je m'appelle Fatima" ou "Je m'appelle Fatima Daas". Et, à chaque fois, c'est comme une sorte de Rubik's cube ou de kaléidoscope. À chaque chapitre, elle aborde une facette de sa personnalité ou une facette de sa vie, comme s'il y avait quelque chose qu'elle n'arrivait pas à dire, et qu'elle essaie de saisir et qui est, pour moi, absolument le propre de la littérature ! 

 

Ce qu'elle exprime, c'est sa vie de jeune femme à Clichy-Sous-Bois : elle fait deux heures de transport par jour pour aller à Paris, elle se sent à la fois banlieusarde et parisienne ou ni l'un ni l'autre ; musulmane d'origine algérienne et française ; dans sa famille elle est la seule à être née en France, c'est la petite dernière ; elle est à la fois croyante et, en même temps, elle est d'une religion où elle ne trouve pas sa place du tout en tant que lesbienne qui rejette l'homosexualité ; et elle est à la fois homosexuelle et elle assume. Ça, elle veut le vivre. 

 

Ce que je trouve bouleversant, c'est qu'il y ait quelqu'un aujourd'hui qui écrive ce conflit. Je trouve que la littérature, c'est la douleur, c'est le conflit, c'est quelque chose qui n'est pas inconciliable sinon c'est de la propagande, c'est de la publicité. 

 

C'est de la littérature ! Elle s'inscrit dans une voie littéraire qui travaille ce qui n'est pas réconciliable ou difficilement conciliable et raconte comment elle va s'en sortir en écrivant". 

 

 

Arnaud Viviant salue un texte littéraire poignant, unique en son genre, qui relève du spectaculaire 

 

"Je pense que ce livre comprend quelque chose qui est en train de naître dans la littérature française, et qui était déjà présent dans la littérature américaine. C'est l'idée de prise de parole. On pense évidemment à Edouard Louis. 

 

On attend plus qu'un livre, on attend un spectacle, une mise en scène de ce texte. C'est un texte plus qu'un livre.

 

On attendait aussi ce qu'on appelle l'intersectionnalité, on est en plein dedans : elle est française musulmane et lesbienne. C'est exactement ce qu'on appelle aux Etats-Unis "l'intersectionnalité". On voit d'ailleurs que c'est aussi une intertextualité, c'est ça qui m'a intéressé. Mais aussi la présence de l'arabe dans ce texte, c'est superbe. C'est pour ça aussi que l'on a envie d'entendre ce texte ! Le livre audio pourrait être une solution parce que là on est vraiment dans le mélange des langues, et on a évidemment plus envie de l'écouter que de le résumer ! 

 

La seule chose qui me met sur la réserve c'est cette citation de Virginie Despentes par laquelle le livre commence et que je n'ai pas tout à fait comprise. 

 

J'ai surtout le sentiment qu'avec ce conflit entre sexualité et religion, elle fait allusion à l'homosexualité planquée de François Mauriac, liée à son catholicisme également. Parce que c'est ça qui est fort. Parce qu'elle est croyante ,Fatima Daas ne dit pas qu'elle ne croit plus : elle est lesbienne et croyante. D'ailleurs, il y a une scène absolument fascinante quand elle va voir l'imam , et qu'elle ne le confie pas d'elle-même. La réponse de l'imam est très belle. 

 

Ce texte est poignant et sans doute important, non pas d'un point de vue littéraire, mais d'un point de vue politique au sens le plus noble du terme.

 

C'est aussi Clichy sans clichés. Il y a une vision de la banlieue qui n'est absolument pas misérabiliste et qui reste très vivante". 

 

Patricia Martin bouleversée par l'intelligence littéraire de Fatima Daas

 

"Je le salue complètement. C'est un livre qui m'a bouleversée. Je mettrais juste un bémol quant à l'autofiction parce qu'elle ne se revendique vraiment pas de ça. 

 

Quant à son rapport à la religion, sa relation est extraordinaire. Certes, il y a le poids du péché qui est là, de A jusqu'à Z. Elle dit qu'elle se convertit à l'islam en permanence. 

 

Je trouve ça magnifique et surtout très intelligent que d'envisager la religion par des chemins détournés.

 

C'est une fille qui a quelque chose dans le cerveau. 

 

C'est une psalmodie hurlante. C'est comme ça que je l'ai entendue. Avec des mots dont on a l'impression qu'ils lui viennent tout seul, des mots qui se heurtent les uns les autres et que les phrases se répètent sans même qu'elle le veuille. 

 

Elle est toujours à côté d'elle-même et à côté des autres, elle est un peu comme dans une psychanalyse où on n'a rien d'autre à regarder que le plafond. Sauf que, malgré tout, c'est très tourné par les autres : quand vous le lisez, il produit un effet extraordinairement fort".

 

Touché, Michel Ciment juge lui aussi que le texte est fait pour être entendu et mis sur scène

 

"Je suis tout à fait d'accord mais je suis plutôt de ceux qui pensent que ce texte est très fait pour la scène, il est fait pour être dit et psalmodié. Comme on peut se souvenir de certaines lectures (du poète) Allen Ginsberg. 

 

Je suis un peu gêné par le côté théoriquement idéal du texte. Il ne manque rien. Il y a tout ce qu'il faut pour "être d'époque" malgré Virginie Despentes qui vient là comme une sorte de tampon définitif. Bon... pourquoi pas, mais moi ça ne m'a pas touché au-delà du raisonnable. 

 

J'aimerais bien qu'elle soit en scène, j'aimerais bien l'entendre.

 

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