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«Huit millions de Français ont besoin de l’aide alimentaire pour vivre»

Vivre avec moins de neuf euros par jour, tel est le quotidien vécu par la moitié des 55 400 ménages français accueillis par le Secours catholique en 2019, avant même la crise liée au Covid. Publié ce jeudi, le rapport de l’ONG sur l’état de la pauvreté en France en 2019 pointe notamment du doigt la forte dégradation du niveau de vie des ménages et les choix impossibles auxquels ces derniers sont contraints pour survivre. Vincent Destival, délégué général du Secours Catholique, revient pour Libération sur le «drame silencieux» mis en lumière par ce bilan annuel.

Comment font ces ménages pour survivre avec si peu de ressources ?

Cette situation donne malheureusement naissance à de nombreux impayés. Lorsqu’on doit nourrir sa famille, on donne la priorité à la nourriture des enfants et on n’arrive plus à payer son loyer. Parmi les personnes qui ont un logement stable, 60 % d’entre elles viennent nous voir parce qu’elles ont des impayés de loyer ou de facture de chauffage. D’autres essayent de mettre de l’argent de côté, craignant l’arrivée d’imprévus, mais il ne leur reste ensuite plus rien pour manger. C’est comme cela que l’on se retrouve avec 8 millions de personnes, soit environ 10 % de la population française, qui a besoin de l’aide alimentaire pour vivre [contre 5 millions en 2018, ndlr]. C’est la solution la plus utilisée mais qui est faite à contrecœur, car beaucoup considèrent cette action comme étant humiliante. Ensuite, il y a tous les arbitrages qui vont être mis en place et qui vont détruire le lien social : par exemple une personne qui est invitée chez des amis va se sentir obligée de dire non car elle ne pourra pas rendre l’invitation, et le fait de ne pas avoir de ressources va couper petit à petit tous les liens sociaux. Chacun essaye de faire tout ce qui est en son pouvoir pour éviter de sombrer.

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La pauvreté touche des millions de personnes mais votre rapport relève que les stéréotypes sur les pauvres persistent. Comment l’expliquer ?

Pour faire tomber les stéréotypes, il faut accepter de regarder les choses en face, accepter de rencontrer les personnes concernées. C’est ce qui manque terriblement dans notre société, chacun vit avec des murs qui le séparent des autres… Cette idée que les pauvres gèrent mal leur budget par exemple, ou cette idée qui guide la politique du gouvernement selon laquelle si on donnait plus d’argent aux pauvres, ils s’installeraient dans une forme de passivité, tout ça c’est une méconnaissance de la réalité. Lorsqu’on maintient des personnes dans une situation financière si fragile, on ne peut pas imaginer qu’elles puissent se projeter. Comme l’explique très bien la prix Nobel d’économie Esther Duflo, si on veut permettre à ces personnes de pouvoir s’engager dans le milieu professionnel par exemple, il faut qu’elles aient un revenu suffisant.

En quoi la crise sanitaire actuelle aggrave-t-elle la situation ?

On constate que de plus en plus de personnes qui arrivaient à s’en sortir ont perdu une part très importante de leur revenu ces derniers mois. Si la crise est temporaire, elles peuvent avoir une capacité de rebond. D’autres ont poussé pour la première fois les portes de nos lieux d’accueil en ayant faim : les jeunes. Beaucoup vivaient avec des petits boulots, mais tout s’est arrêté pendant la pandémie. Certains comptaient mettre un peu d’argent de côté cet été en travaillant pour pouvoir passer l’année scolaire mais ils n’ont pas pu. C’est un vrai souci. Des équipes sont en train de se mettre en place spécifiquement sur les lieux de vie des jeunes pour pouvoir être à leurs côtés. Nous essayons donc à notre échelle d’aider au maximum, mais c’est aussi aux pouvoirs publics de prendre le relais.

Vous sentez-vous soutenu par le gouvernement ?

 

On est content qu’un certain nombre de mesures d’urgence aient été mises en place pour les personnes en précarité, dont une aide exceptionnelle versée au printemps à l’occasion du premier confinement, et une deuxième aide qui va être versée d’ici la fin du mois de novembre. Mais ce n’est pas à la hauteur des chiffres évoqués. Ce n’est pas avec des mesures d’urgence qu’on répond à une crise structurelle comme nous sommes en train de vivre. Nous souhaitons donc que le RSA soit porté à 50 % du revenu médian, donc un peu moins de 900 euros [contre 564 euros pour une personne seule, ndlr], pour donner cette sécurité dont les gens ont besoin pour se projeter, et qu’il soit élargi aux jeunes. Concernant les logements aussi, des mesures sont également mises en place, avec le fonds de solidarité logement, mais nous demandons que ces mesures soient renforcées pour permettre aux ménages et aux propriétaires de passer le cap des impayés de loyers. Enfin, nous aimerions une mesure de justice sociale et écologique pour s’attaquer aux passoires énergétiques.

Aurore Savarit-Lebrère

Source : Libération

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