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En finir avec les idées fausses sur la pauvreté

En cette fin d’année, alors que la crise sanitaire se renforce accentuant la précarité des plus fragiles, les associations humanitaires tirent la sonnette d’alarme. D’après les estimations de la Fondation Abbé Pierre, la France compte 300 000 personnes sans abris, un chiffre qui a doublé depuis 2012. De son côté le Secours Catholique - Caritas France publie son rapport annuel sur l’état de la pauvreté en France en faisant un focus sur le budget des ménages. Et la conclusion de l’association "n’est pas réellement une suprise : la pauvreté se traduit par… un manque de ressources monétaires".

Les dimensions de la pauvreté 

 

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Les stéréotypes sur les personnes vivant des situations de précarité sont encore prégnantes dans les esprits. En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté, ouvrage produit par le mouvement ATD Quart Monde pose en préambule une citation de l’historien Marc Bloch : "Une fausse nouvelle naît toujours de représentations collectives qui préexistent à sa naissance. (…) Les imaginations sont déjà préparées et fermentent sourdement. (…) On ne dira jamais assez à quel point l’émotion et la fatigue détruisent le sens critique.", (Réflexions d’un historien sur les fausses nouvelles se la guerre, 1921.).

La première idée fausse de l’ouvrage est : "La définition de la pauvreté est subjective". Le constat est pourtant sans appel : "la pauvreté n’est pas qu’une notion relative. Un millionnaire ne sera jamais pauvre dans un pays de millardaires. Il existe bien un moment où, à force de cumuler des précarités dans plusieurs domaines, une personne se trouve dans une situation de rupture et d’exclusion qui la prive d’une existence sociale et de ses droits fondamentaux."

Ainsi, la pauvreté, ce n’est pas seulement des statistiques. Derrière les chiffres se vivent des situations complexes. Comme le montre Tout est lié, rien n’est figé, une étude systémique pour comprendre les dimensions de la pauvreté en croisant les savoirs. Menée en partenariat par le Mouvement ATD-Quart Monde, le Secours Catholique - Caritas France et l’Université d’Oxford, l’étude s’est déroulée entre 2017 et 2019 dans six pays (Bangladesh, Bolivie, États-Unis, France et Tanzanie). Huit dimensions de la pauvreté apparaissent, liées entre elles et ayant une influence les unes sur les autres : la maltraitance institutionnelle ; les peurs et les souffrances ; les contraintes de temps et d’espace ; la dégradation physique et mentale ; les compétences acquises et non reconnues ; la maltraitance sociale ; l’isolement ; les privations matérielles et de droits. L’étude met en avant que la personne en situation de pauvreté vit alors deux expériences transversales : le combat (lutte quotidienne, faire face, résister) et la dépendance (sous l’autorité partielle ou totale d’une tierce personne, physique ou morale instaurant une relation de domination).

Gérer l’ingérable

L’idée persistante est que les pauvres "ne savent pas gérer leur budget", (idée fausse 25). Le livre d’ATD Quart Monde explique : "même avec une grande attention portée aux dépenses, la faiblesse des minima sociaux, des salaires, des emplois précaires et l’augmentation des prix font que de nombreuses familles ne mangent pas à leur faim et doivent s’endetter." Marie-France Zimmer, militante du mouvement, témoigne : "En réalité, on gère comme on peut quelque choses qui est ingérable, et souvent mieux que ceux qui ont des revenus importants."

Cette année, le Secours Catholique - Caritas France fait le focus sur les budgets des ménages dans son État de la pauvreté en France 2020. Le titre est implacable : "Des choix impossibles".  Quelques chiffres clés de l’étude : 1 393 000 personnes rencontrées dont 654 000 enfants en 2019 ; 1/3 des ménages accueillis sont éligibles au RSA et ne le perçoivent pas ; 50% des adultes rencontrés sont des femmes ; 1/4 des ménages accueillis disposent de 4 euro par jour et par personne de reste pour vivre. Pour l’association : "Les ressources des personnes reçues par le Secours Catholique, qui étaient déjà très faibles, n’ont pas progressés en dix ans."

 

 

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Protéger les plus faibles

Le livre d’ATD Quart Monde consacre un chapitre sur les idées fausses concernant la protection sociale. Ainsi, "nous avons la protection sociale la plus coûteuse d’Europe", (idée fausse 98). "Pas si simple", écrivent les auteurs. Son coût est important, mais elle profite à tous. La lutte contre la pauvreté ne représente qu’une infime partie de ses dépenses." Ainsi, la protection sociale dépasse largement la pauvreté en recouvrant la santé, la vieillesse, la famille, l’emploi et le logement, "dont tout le monde bénéficie."

L’idée fausse 99 enchaîne : "La protection sociale creuse la dette publique." La réponse est claire : "Non, ce sont surtout le manque de recettes fiscales et la crise qui creusent la dette." "On ne doit pas laisser de dettes à nos enfants" ?, (idée fausse 101) "Eh bien si. Car, en réalité, nos enfants héritent d’un patrimoine et non d’une dette." Ainsi, "le patrimoine public (en immobilier et en participations financières des administrations publiques dans les entreprises) est supérieur à la dette publique. C’est donc bien un patrimoine que nous léguons à nos enfants », insistent les

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auteurs pour qui « le discours sur la dette publique sert surtout à essayer de convaincre l’opinion de déconstruire les services publics."

L’impôt devient alors un enjeu fondamental. "Les citoyens paient trop d’impôts" (idée fausse 103) ne tient pas face à l’analyse. "Le bon sens nous fait dire que si chacun payait moins d’impôts, on disposerait de plus de moyens pour investir et pour consommer, donc pour favoriser l’emploi. Mais cela ne doit pas conduire à sous-imposer les plus fortunés, comme c’est le cas dans la plupart des pays depuis les années 1980." Un constat s’impose : "Si le niveau d’impôts et de transferts d’il y a quarante ans était en vigueur, les inégalités seraient 40% plus faibles dans les pays de l’OCDE." Et d’énumérer "le manque à gagner de l’impôt sur le revenu pour l’État français" :  de 120 à 140 milliards par an en cumulant environ 40 milliards annuels de niches fiscales ; entre 80 et 100 milliards de fraude estimée et au moins 4 milliards dues aux baisses d’impôts depuis les années 1990.

Sur la protection sociale, qui pose le principe de solidarité, l’idée énonçant que "notre protection sociale est inefficace" s’avère contredite là aussi par les analyses. Au contraire, la protection sociale "réduit la pauvreté de moitié", conclut l’ouvrage. Le Secours Catholique - Caritas France propose une solution pour résorber la pauvreté : "Assurer un revenu minimum à tous" à "893 euros, (…) montant que devrait atteindre un revenu minimum garanti". Pour l’association,  "ce revenu doit pouvoir être un véritable revenu socle, inaliénable. Il ne doit pas être soumis à des conditionnalités ou à des contreparties qui minent le fait qu’il est d’abord un droit et qui constituent un facteur clé du non-recours. Notre société doit pouvoir assurer une sécurité de revenu à tous ses membres, en particulier au plus fragiles, conformément à l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) sur la création du revenu universel d’activité, paru en juin 2020."

 

Bibliographie

ATD Quart Monde, En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté. Les éditions de l’Atelier, Éditions Quart Monde, 2020. 272 pages.

Collectif. Comprendre les dimensions de la pauvreté en croisant les savoirs « Tout est lié, rien n’est figé ». ATD Quart Monde, Secours Catholique - Caritas France. 2019. 72 pages.

Secours Catholique - Caritas France, État de la pauvreté en France 2020. Budget des ménages. des choix impossibles. 2020. 146 pages.

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