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Réforme du CAPES : pourquoi faire prof quand on peut être coach de vie ?

Dans notre école moderne, le tout n'est pas de savoir transmettre mais plutôt de savoir résister le plus longtemps possible aux pressions des élèves, des parents, et de la hiérarchie. Pourquoi alors s'encombrer de connaissances inutiles ? Le ministère l'a bien compris et entend donc supprimer un des deux oraux d'admission du concours pour le remplacer par un entretien de « motivation », évalué par un jury extérieur à la profession.

On a déjà hâte de découvrir quel oral supprimer dans le cas des disciplines conjointes comme l'histoire-géographie ou la physique-chimie. Pourquoi d'ailleurs en conserver une? Ne serait-il pas plus simple de supprimer les deux et de ne garder que l'entretien d'embauche, pardon, de « motivation » ? Cela n'irait-il pas dans le sens de l'histoire puisque jusqu'en 2010, il y avait encore trois épreuves orales ?

Vous n'avez pas le niveau pour être prof ? Abaissons le niveau

D'ailleurs, cela fait longtemps qu'on nous explique qu'il faut privilégier l'enseignement « transversal » ou « pluridisciplinaire » au détriment de l'enseignement de la matière proprement dite. Pourquoi le professeur serait-il le seul à devoir engranger des connaissances quand elles sont devenues obsolètes pour tous les élèves ? Cela permettrait également d'aligner le concours sur Pôle Emploi, où de plus en plus de professeurs sont recrutés, notamment en mathématiques.

Le ministère semble enfin avoir trouvé la solution à la crise des vocations qui affecte la profession depuis des années. Vous n'avez pas le niveau pour être prof ? Abaissons le niveau. Vous hésitez à vous lancer dans cette voie ? On vous paye la formation - 600 euros mensuels pour 8 heures de cours hebdomadaires pour les étudiants en Master- et on fait ainsi des économies sur des milliers de postes de stagiaires en passant. Vous craignez de ne pas vous faire respecter en classe ? On ne tardera pas à généraliser le télétravail. Et voilà comment on résout le fait que chaque année, le nombre de candidats baisse, au point que certains postes mis au concours ne sont même pas pourvus.

Révéler à chaque élève le VRP qui est en lui

Le fameux entretien de motivation n'entend pas seulement évaluer « la motivation du candidat » mais également « sa connaissance de l’environnement et des enjeux du service public de l’éducation ». Autrement dit, il doit savoir s'adapter à son public et ne surtout pas trop exiger de lui si « le climat de l'établissement » ne le permet pas. L'entretien vise aussi à examiner chez le candidat « sa capacité à incarner et verbaliser les valeurs de la République et à se positionner en fonctionnaire ». Toute position allongée ou à quatre pattes sera bien entendu valorisée. Enfin, le candidat doit être capable de « faire valoir son parcours » et de prouver ainsi qu'il a bien compris la mission essentielle de l'école de la République : révéler à chaque élève le VRP qui est en lui.

Dans certaines matières, la réforme de la seconde épreuve orale s'accompagne d'autres changements tout aussi pertinents. En Lettres modernes, l’explication de texte disparaît au profit d'une « leçon » n’étant autre qu’une « conception et animation de séance d’enseignement » chargée de mettre en valeur les compétences pédagogiques. À l'écrit, les candidats auront la chance de découvrir l'épreuve de « discipline appliquée », appuyée sur la mise à disposition de ressources documentaires et numériques afin de construire une séquence. Les nouveaux professeurs doivent avant tout prouver qu'ils sont des champions de didactique et d'internet. Et tout le reste est littérature.

Ne pas "faire des vagues"

Bref, le nouveau CAPES 2022 valide définitivement la victoire des compétences sur la culture, de la « transversalité » sur les disciplines et du « tout pédagogique » sur la transmission. Grâce aux stages soumis à validation, on veillera également à recruter de fidèles serviteurs peu prompts à « faire des vagues » et à ternir l'image de l'institution.

Gageons qu'avec toutes ces réformes, le professeur sera enfin cet animateur pluridisciplinaire, à l'écoute des élèves et de sa hiérarchie, capable d'aider chaque « apprenant » à s'épanouir, à penser comme il faut et à « maximiser ses compétences » en vue de faire à son tour la promotion de lui-même qui lui ouvrira les portes du marché du travail.

Samuel Piquet

Source : Marianne

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