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visite de l’entrepôt Amazon de Boves

 

Quand j’ai dit que j’allais visiter l’entrepôt Amazon de Boves, Laurent Dégousée de la
Fédération SUD Commerces et Services
, m’avait prévenue : "Attention c’est l’entrepôt Potemkine !"
J'étais donc préparée, mais j'étais loin d'imaginer jusqu'où ça irait ! Explications⤵️⤵️
Le "village Potemkine" est un trompe-l'œil créé à des fins de propagande.
Selon une légende, de luxueuses façades en carton-pâte auraient été érigées lors de la visite de l'impératrice Catherine II en Crimée en 1787 pour masquer la pauvreté des villages.👉https://fr.wikipedia.org/wiki/Village_Potemkine
Je ne m’attendais donc pas à une visite objective, mais là on me montrait que le travail à Amazon c'était une vie Disneyland !
Accueil dans un barnum "have fun", déco de Noël sur fond de «all I want for Xmas », planning des animations et messages de motivation sur les murs.
Nous avons rdv à 14h pour la visite officielle de l’entrepôt. On arrive sur le site 2h avant afin de rencontrer les délégués syndicaux.
Étape obligatoire pour nous... Mais non prévue par les relations publiques d’Amazon... Et ça ne semble pas leur plaire !
Arrivent d'abord le directeur du site et 2 chargées des relations publiques venues de Paris spécialement pour nous.
Manifestement embarrassés : “Les délégués n’ont pas fait de demande d’autorisation pour vous recevoir avant la visite, ce n’est pas conforme au protocole.”
Les syndicalistes arrivent à leur tour : “Depuis quand on doit demander l’autorisation de recevoir qqn dans notre local ?!”. Le directeur, style bonhomme sympa qu'on sent contraint par la hiérarchie, après avoir consulté les chargées de com', nous propose deux options.
Nous avons "le choix" : réunion dans une salle avec les syndicalistes mais AUSSI avec le directeur et SANS le journaliste de
Libération
qui nous accompagne.
Ou avec les syndicalistes et le journaliste avant la visite officielle... sur le parking.
Nous choisirons la seconde option.
Au parking donc, les syndicalistes nous briefent : “Les gens que vous allez croiser lors de votre visite ne sont pas des figurants mais vous serez dans un circuit encadré, vous n’irez pas partout, et l'horaire est choisi pour éviter le moment de rush avec les camions"
Illusion!
Ils nous racontent l’envers du décor :
💸Les caristes renommés agents polyvalents pour les payer moins cher.
🗑️Les discours officiels sur l'écologie et la zone que nous ne visiterons pas, dédiée aux centaines de produits à jeter car défectueux ou périmés.
Ici ce n’est pas évident de convaincre les travailleurs de faire valoir leurs droits. "Dans notre coin les gens ont connu le chômage, ils ne veulent pas y retourner. Amazon sait très bien pourquoi ils se sont implantés ici."
On pense aux Goodyear et Whirlpool d'Amiens.
14h, début de la visite de l'entrepôt.
Dans les allées, le son des machines est couvert par les haut-parleurs qui diffusent "Girls Just Want to Have Fun". Ironie de la playlist alors que le slogan d'Amazon "Work hard, have fun, make history" est affiché sur tous les murs !
L'anglais est partout : novlangue managériale, nuages de "principes" disséminés sur les murs, témoignages de clients placardées format XXL.
Peu importe que les "associates" parlent la langue de Bezos, ce qui compte c'est qu'ils fassent corps avec sa grande famille de Seattle. Flèche vers la droite avec pointe vers le bas
Notre guide et la chargée de com’ arborent des badges autour de leurs cou. Ils les collectionnent, nous explique qu’on les gagne lors de journées spéciales, de tâches effectuées, on peut les échanger avec ses collègues.
Tout en écoutant les commentaires de nos guides sur l'ergonomie des "process" de la zone de réception à la zone d'emballage, en passant par la récupération des objets par des "pickers" sur des étagères de stockage hautes de plus de 6m, nous observons les travailleurs.
On assiste à la symbiose des travailleurs et des machines dont les gestes se mêlent. Qui sert qui ? La machine au service de la personne ou l’inverse ? “L’ordi nous dit la taille du carton à prendre. L'objet dedans, du papier pour protéger, scotch et hop sur le tapis roulant".
Distributeurs de gel hydroalcoolique et masques en libre service. Marquages au sol pour éviter de se croiser. Partout des affiches rappellent la distanciation obligatoire de 2 mètres. Des panneaux de plexi séparent les postes de travail. Consignes sanitaires + que respectées.
Mais l'impression que la distanciation imposée entre les travailleurs tourne à l'avantage d’une organisation du travail dans les entrepôts Amazon où tout est fait pour limiter au maximum les échanges humains pendant le temps de travail.
Les délégués ns avaient dit : "Ce panneau c’est pour mettre la pression. Imagine qd le compteur indique 100 jours et qu'à cause de toi il retombe à 0, les autres te regardent bizarre.Alors ça incite à souffrir en silence plutôt que déclarer qd il t'arrive un accident du travail."
"3 days without an accident", c'est aussi la pancarte de la centrale nucléaire de Springfield dans le générique des Simpson !
Le soir dans ses draps satinés, Jeff Bezos se rêverait-il en Monsieur Burns ?
En partant un appel à candidature interne pour une mission d'“ambassadeurs" nous alerte : consacrer une partie de son temps de travail à parler d'Amazon sur les réseaux sociaux... Peu courant, mais machiavélique et diablement efficace.
Sur Twitter leurs profils commencent par @AmazonFC. Allez y jeter un oeil ça vaut le coup.
Il faut se présenter comme "Amazonien" et jouer à fond la carte de l'employé épanoui. Un blason redoré sur les réseaux sociaux, et à peu de frais !
Le monde parfait, le pavillon témoin de l'entreprise bienfaitrice !
Bien loin des témoignages que j'ai collecté lors de mes auditions des travailleurs d'Amazon : ici surmenage, souffrance au travail, pression hiérarchique et autres discriminations syndicales n'existent pas !
Vraiment un grand merci à la direction d'Amazon pour cette immersion dans la communication hyper contrôlée d'Amazon !
Un monde parfait, un peu flippant

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