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"Synutra n’avait pas les compétences" : le groupe chinois n'a pas tenu ses promesses en Bretagne

Mirage chinois en Bretagne.
"Synutra n’avait pas les compétences" : Le groupe chinois n'a pas tenu ses promesses en Bretagne.
Quatre ans après avoir implanté une fabrique de poudre de lait, Synutra n’aura jamais tenu ses promesses.
Depuis des mois maintenant, la chaîne de l’usine de poudre de lait infantile de Synutra à Carhaix-Plouguer (Finistère) tourne au ralenti. « On ne traite plus que 50 à 80 tonnes par jour », soupire une employée, loin des 100 000 tonnes par an prévues lors de l’inauguration du site, quatre ans plus tôt.
Ce 28 septembre 2016, entre les deux tours de séchage de 50 mètres de haut se pressent 600 invités, dont 300 Chinois. La zone d’activité de Kergorvo résonne des sons des bagads puis de la pétarade d’un feu d’artifice. Liang Zhang, le PDG de Synutra, va attendre 10 h 08 précises pour couper le ruban. Le 8, symbole de prospérité en Chine, doit placer l’imposant bâtiment sous les meilleurs auspices. Mais le projet ne connaîtra jamais la chance espérée.
Cet investissement chinois de 170 millions d’euros est une aubaine pour les producteurs de lait bretons et pour la première coopérative française, Sodiaal, son principal fournisseur, qui doit l’approvisionner pendant une décennie. Les éleveurs acceptent même une ristourne de 10 à 20 euros tous les 1 000 litres vendus. La fin des quotas se profile. Les laiteries cherchent de nouveaux marchés à l’export. En Chine, entre la fin de la politique de l’enfant unique et l’émergence d’une classe moyenne, la demande de produits laitiers explose. La filière locale est discréditée par plusieurs scandales du lait frelaté. Les importations de poudre augmentent de façon exponentielle. « Toutes les laiteries françaises ont dit aux éleveurs : investissez, produisez plus ! Vous allez avoir plein de débouchés ! », se souvient un ex-adhérent de la Sodiaal.
Le maire de Carhaix, Christian Troadec, déroule le tapis rouge à Synutra. « La Chine est le Pérou pour la Bretagne », lance-t-il à l’occasion d’une visite dans sa commune de l’ambassadeur de Chine en France. L’élu entend saisir cette occasion pour redynamiser la région du Poher. La mairie investit alors 3 millions d’euros pour viabiliser le site. L’usine d’incinération de la ville vend à un prix défiant toute concurrence la vapeur d’eau nécessaire à la production de poudre de lait. La commune cède même à quelques demandes étonnantes, comme ce rond-point construit pour un accès à l’usine par le sud. La Région Bretagne sort aussi le chéquier et subventionne à hauteur de 907 000 euros la construction d’une usine Sodiaal qui alimentera Synutra en lactosérum, indispensable à la fabrication de lait infantile.
Le géant français n’a pas de raison de douter de ce partenaire originaire de Qingdao, dans le nord-est du pays, qu’il connaît depuis plus de trente ans. La coopérative avait été convaincue par cet ex-vendeur de produits pour la musculation de prendre 55 % du capital de son entreprise quand il avait décidé de se lancer dans le lait infantile. Les objectifs affichés par Liang Zhang pour son site de Carhaix sont ambitieux. Le chinois table sur un chiffre d’affaires supérieur à 500 millions d’euros et emploie très vite 350 personnes. Liang Zhang voit grand : il veut créer deux nouvelles usines et un lieu d’hébergement pour accueillir 2 000 visiteurs à l’année. Rien n’est trop beau pour l’or blanc du Poher !
Quatre ans plus tard, le constat est amer. La production de l’usine chinoise n’a jamais décollé. Elle n’emploie plus que 135 personnes. Pour Sodiaal, le coup est rude. La coopérative ne parvient pas à écouler les volumes prévus dans le contrat. Pis, en 2019, Synutra lui doit plus de 40 millions d’impayés. Sodiaal n’a pas d’autre choix que de racheter la moitié de l’usine. Le chinois n’assurera plus que l’activité conditionnement du lait infantile.
« Le projet était bancal depuis le départ, tranche Véronique Le Floc’h, secrétaire générale de la Coordination Rurale. Synutra visait trop haut, c’était impossible à tenir. » Sodiaal explique la débâcle par le manque de savoir-faire du chinois. « Synutra n’avait pas les compétences », lâche un employé de la coopérative. L’industriel n’a pas réussi à prendre « en main » le site, qui nécessite des réglages complexes. « On ne nous écoutait pas, témoigne l’un des 43 anciens employés de Sodiaal recrutés par Synutra. Il n’y avait aucune gestion des risques industriels et quand il y avait une panne, c’est toute l’usine qui s’arrêtait. »
Aujourd’hui, entre Synutra et Sodiaal, la situation est tendue. « Comme Synutra ne paie plus Sodiaal, raconte un employé, l’usine n’a pas été livrée depuis plus d’un mois. » Les rares informations qui circulent sur le groupe chinois sont inquiétantes. Il a disparu des radars après sa sortie du Nasdaq, à la suite de son rachat par Beams Power Investment, domicilié aux îles Vierges britanniques. Un groupe que l’on retrouve dans le réseau de sociétés offshore et d’évasion fiscale cité dans l’affaire des Panama Papers, où l’on apprend qu’il appartient désormais à Xiuqing Meng, l’épouse de Liang Zhang. Selon un officiel français installé en Chine sollicité par le JDD, Synutra a récemment été renfloué par l’État chinois et son fondateur a été remplacé par un membre du parti. À Carhaix, le feu d’artifice a laissé place à la fatalité. Les 135 employés s’attendent « à les voir partir du jour au lendemain ». Le chiffre 8 n’aura pas suffi.
MAËL JOUAN
Source JDD

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