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"Les retraites doivent être discutées" : Bruxelles réclame des réformes en échange du plan de relance européen

Les bonnes vieilles "réformes structurelles" font leur retour à Bruxelles. La Commission l'a déjà -officieusement- signifié à certains Etats, dont l'Allemagne, venus frapper à sa porte pour bénéficier du plan de relance. Et la France va devoir faire des efforts. Ce mardi 9 février, le Parlement européen doit justement adopter un règlement encadrant ce plan.

Le Parlement européen votera ce mardi 9 février un règlement sur le plan de relance européen, qui doit mettre en musique l'accord conclu en juillet 2020. Sans attendre son adoption, des échanges ont déjà débuté entre les Etats et la Commission européenne, chargée d'évaluer le sérieux des feuilles de route nationales. Et l'équipe d'Ursula von Der Leyen y a rappelé une exigence phare : à côté de mesures d'investissement, les gouvernements doivent prévoir des "réformes structurelles", en reprenant des préconisations adressées aux pays membres ces dernières années. Celles de la France incluaient notamment la maîtrise du déficit budgétaire et une réforme du système de retraites.

Le texte examiné ce mardi est le fruit d'un compromis entre les institutions européennes conclu mi-décembre, et a donc toutes les chances d'être adopté dans les mêmes termes par le Parlement. Il rappelle d'abord les deux volets du plan de relance, tels que prévus par l'accord de juillet : jusqu'à 360 milliards d'euros pourront être versés aux Etats sous forme de prêts à rembourser, et 312 milliards à travers des subventions. Le montant des aides allouées à chaque pays est ensuite détaillé. La France recevra ainsi 39 milliards d'euros, tandis que l'Espagne et l'Italie percevront toutes les deux environ 69 milliards. De son côté, l'Allemagne encaissera "seulement" 25 milliards d'euros.

Relance au compte-gouttes

Le document expose également les conditions à remplir pour toucher ces fonds. Les plans nationaux devront notamment contribuer aux transitions écologique et numérique, auxquelles une part minimale des fonds devra être consacrée. L'écologie devra ainsi capter au moins 37% des subventions, et le "digital" 20%. Autre condition d'importance : les plans nationaux doivent être "cohérents avec les défis et priorités identifiées" dans le cadre du "Semestre européen", un programme qui voit la Commission adresser chaque année des recommandations aux Etats. Celles-ci visent à coordonner les politiques économiques nationales, notamment dans le sens de la "convergence" entre pays et de "la solidité des finances publiques".

Une fois le règlement adopté, les pays membres auront jusqu'au 30 avril pour rendre leur projet à la Commission. L'exécutif européen aura ensuite deux mois pour préparer son évaluation, et rendre un avis positif ou négatif. Il reviendra alors au Conseil de l'Union européenne (UE), l'instance qui représente les gouvernements des pays membres, de valider les plans de relance. Il faudra pour cela réunir une majorité qualifiée, c'est-à-dire les votes d'au moins 15 Etats, qui doivent regrouper ensemble deux tiers de la population de l'UE. Les aides arriveront ensuite au compte-gouttes : les Etats ne pourront toucher qu'au maximum 13% de leurs subventions en 2021, soit 5 milliards d'euros pour la France. Les versements s'étaleront ensuite jusqu'en 2023.

Dans les faits, les pays membres ont déjà commencé à échanger avec la Commission autour de leurs projets de dépenses. Selon le journal allemand Handelsblatt, le gouvernement d'Angela Merkel a ainsi envoyé une première version de son plan. Mais s'est vu intimer de revoir sa copie : sa feuille de route ne contient pas assez de réformes aux goûts de Bruxelles, raconte le quotidien économique. A notre voisin allemand déjà largement libéralisé, la Commission réclame une réforme pour "améliorer" son système de retraite, et la suppression d'une option fiscale qui "décourage de travailler plus d'heures", poursuit le Handelsblatt. Qui rapporte un argument mis en avant par les négociateurs européens : "Si l'Allemagne ne mène pas de réformes, les autres Etats ne voudront pas le faire non plus, argumente-t-on à Bruxelles".

"Une remarque adressée à plusieurs pays"

L'Allemagne n'est d'ailleurs pas la seule à s'être fait remonter les bretelles. "Nous avons effectivement reçu le plan allemand. Sur ce point, c'est-à-dire le fait que les plans sont plutôt orientés vers l'investissement et moins sur les réformes structurelles, c'est une remarque que l'on a adressée à plusieurs pays", explique en effet à Marianne un porte-parole de l'exécutif européen. Car les réformes liées au Semestre européen sont un critère incontournable aux yeux de la Commission, au même titre que l'investissement vert ou numérique. "Toutes les briques sont importantes. On veut s'assurer qu'il y a un bon équilibre entre investissements et réformes", poursuit notre interlocuteur.

Qu'en est-il pour la France ? Le gouvernement a "déjà entamé des discussions informelles avec la Commission européenne", qui "progressent de manière satisfaisante", indique le ministère de l'Economie à Marianne. Bercy ajoute que le plan de relance français "n’est toutefois pas encore complet à ce stade", sans préciser si Bruxelles a déjà demandé des modifications.

Pour respecter le règlement en cours d'adoption, le projet français devrait s'inspirer des recommandations reçues ces dernières années. L'édition 2019 enjoignait par exemple la France de "réduire les restrictions réglementaires, notamment dans le secteur des services". Autre voie suggérée : "Réformer le système de retraite pour uniformiser progressivement les règles des différents régimes (...) en vue de renforcer [leur] équité et [leur] soutenabilité". Le gouvernement Macron devra-t-il remettre sa réforme des retraites sur le métier ? "Les recommandations pointaient qu'il était souhaitable d'harmoniser les différents systèmes de retraite, en 2019 et déjà auparavant. Et ce défi est un constat partagé avec la France. Donc ça doit être discuté dans le cadre du plan de relance", nous répond la Commission. Tout en précisant qu'il n'y a "pas de prérequis", c'est-à-dire qu'aucune mesure n'est fixée d'avance comme une condition incontournable.

Les préconisations de 2019 appellaient également la France à faire des économies, notamment en "rédui[sant] les dépenses (...) dans tous les sous-secteurs des administrations". Un an plus tard, la cuvée 2020 se montrait moins pressante sur ce point, mais anticipait aussi la fin du "quoi qu'il en coûte" de la crise sanitaire. L'Etat français y était ainsi encouragé "à parvenir à des positions budgétaires à moyen terme prudentes et à garantir la soutenabilité de la dette", "lorsque la situation économique le permettra".

Concessions en amont

Si elle estimait une feuille de route insuffisante, la Commission pourrait rendre un avis négatif sur sa validation. L'accès aux subventions serait-il dès lors bloqué pour le pays concerné ? Le projet de règlement ne précise pas clairement cet aspect, pourtant déterminant pour le pouvoir de négociation de Bruxelles. "La Commission doit transmettre son évaluation au Conseil [où siègent les gouvernements, N.D.L.R.]. Mais ensuite, le Conseil n'est pas tenu par l'avis de la Commission, et est libre de modifier la décision proposée", interprète Sébastien Adalid, professeur de droit public à l'Université du Havre. Selon ce spécialiste des règles européennes, les Etats pourraient donc valider un plan malgré l'opposition de Bruxelles. Sans le dire aussi nettement, Bercy semble sur la même ligne : "Le Conseil approuve les plans (...) sur la base de l'avis de la Commission", nous indique le ministère de l'Economie.


Mais la Commission pourrait peser sur la décision finale même en l'absence d'un droit de veto. "Politiquement, sur ces sujets-là, c'est assez peu fréquent qu'un avis négatif de la Commission soit renversé, assure en ce sens le porte-parole de Bruxelles. Car il s'inscrit dans l'intérêt commun et respecte les échanges que nous avons eu". Même son de cloche côté français : "En pratique c'est très compliqué de réunir une majorité qualifiée qui est différente de l'avis de l'exécutif européen", souligne le ministère de l'Economie. Au demeurant, la Commission affiche de bons espoirs qu'une telle extrémité ne se présentera pas. "Personne n'envisage qu'un Etat n'ait pas de plan de relance à la fin, grâce aux efforts réguliers de discussion avec les pays membres". En clair, d'éventuels désaccords devraient se régler avant que Bruxelles ne rende son avis. Et les précieuses réformes trouver leur place dans les agendas nationaux.

Source: Marianne

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