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Affaire Didier Lemaire : "Un bon laïque est un laïque mort"

Didier Lemaire pourrait être un héros, mais comme Mila, il a le mauvais goût d'évoquer des sujets autorisés uniquement au lendemain des attentats. En pareil cas, on oublie vite que Charlie Hebdo était victime des mêmes critiques avant 2015 et que l'Education nationale était loin d'être unie derrière Samuel Paty. Hélas, il semble que les évènements récents ne nous aient rien appris et qu'il en faille peu pour discréditer les défenseurs de la laïcité et leur combat contre l'obscurantisme dont on sait désormais qu'il peut se payer au prix fort. Critiquer l'islamisme en aval, c'est très courageux. Mais le faire en amont, c'est d'extrême droite. Heureusement, les thuriféraires du « vivre-à côté et presque ensemble » veillent et nous assurent que le professeur de philosophie, qui s'inquiète de la montée du communautarisme à Trappes, ne serait pas irréprochable. Peut-être même qu'en cherchant bien, on pourrait trouver chez lui, comble pour un être humain, une ou deux failles dont il ne serait pas très fier. Le préfet des Yvelines, Jean-Jacques Brot, en a trouvé une : Lemaire a déclaré être « sous escorte policière armée » alors qu'en réalité le préfet avait seulement mis en place… des patrouilles policières aléatoires devant le lycée et le domicile de Didier Lemaire.

Il n'en fallait pas plus pour que certains crient à la mythomanie et pour que le journaliste Claude Askolovitch se fende d'une vidéo dans laquelle il accuse le professeur de propager des mensonges. Plusieurs élus lui ont emboîté le pas, préférant s'attacher à ces possibles exagérations de l'enseignant nécessairement « instrumentalisé » qu'à ce qui illustre si parfaitement son propos : l'attitude du maire de Trappes, Ali Rabeh. Car il y a un fait sur lequel tout le monde devrait s'accorder : si on respecte ses concitoyens, si on croit en l'école républicaine et en sa capacité à former des individus capables de penser par eux-mêmes, on ne peut en aucun cas se servir de l'enceinte d'un établissement scolaire pour faire de la politique et distribuer des tracts comme il l'a fait. Cela n'a pas empêché Benoît Hamon, Yannick Jadot Eric Piolle de le soutenir.

La laïcité comme slogan

Jadot voit en Rabeh « un maire qui défend sa ville ». Hamon, quant à lui, salue sur France Info le texte écrit par le maire aux lycéens, décrivant une lettre « d'une bienveillance incroyable ». On peut se demander quelle aurait été sa réaction si un adversaire politique s'était livré à une telle opération de communication. Pour Piolle, c'est bien Ali Rabeh qui est « au chevet de la République du matin au soir ». Le maire serait donc au chevet d'une République qui n'est pourtant pas malade ? Et les professeurs, qui doivent quotidiennement faire face à l'entrisme grandissant et à la contestation de leur savoir, piétinent son cadavre, peut-être ?

Bref, la laïcité, c'est bien, à condition qu'elle reste un slogan qu'on brandit après coup et surtout pas un principe qu'on tente de mettre en œuvre. Inutile de « jeter de l'huile sur le feu » ou de « caricaturer » les problèmes au risque de les amplifier. Zineb El Rhazoui ? Trop véhémente, Mila ? "Islamophobe" et vulgaire, Fatiha Boudjahlat ? Dangereuse. Comment pourrait-on prendre au sérieux les mises en garde de gens qui ne sont ni suffisamment bienveillants ni purs idéologiquement ?

Il est urgent d'attendre le prochain drame

Pour reparler sereinement de ces sujets, il est urgent d'attendre le prochain drame. Si Didier Lemaire est attaqué, il sera toujours temps de retourner sa veste, comme on l'a fait pour Charlie ou Samuel Paty. Alors, pendant deux ou trois jours, on parlera de son courage, on regrettera qu'il n'ait pas été davantage écouté, on invitera des Républicains sur France Inter à qui on demandera naïvement comment en est on arrivé là. Puis de nouveaux contrefeux viendront encercler les cendres fumantes des récentes victimes de notre lâcheté. Et après avoir étendu les frontières de l'extrême droite jusqu'à Causeur, on les étirera jusqu'à Marianne et Le Point. On allumera des bougies pour ne jamais souffler sur les braises et on priera pour que les extrémistes soient touchés par nos cœurs avec les doigts.

La vie reprendra son cours. On entendra ronronner ceux qui dénoncent sans cesse la récupération, l'instrumentalisation, ceux qui invitent à ne surtout pas « faire le jeu de » sans jamais se rendre compte qu'ils sont les idiots utiles de l'islamisme. Un islamisme de moins en moins rampant mais qu'on fait semblant de pouvoir écraser avec le talon comme une vipère. Des militants avides de morceler la France en autant de parcelles qu'il y a d'identités et qui sont le marchepied de ceux qui ne s'embarrassent pas de tant de détails et qui souhaitent simplement la couper en deux.

Le temps presse

Il ne nous restera plus qu'à crier « Je suis Charlie » une ou deux fois par an pour oublier qu'à force de déni nous ne sommes plus rien, sinon des automates à peine capables d'ânonner des mots vidés de leur sens par notre inaction même, des résistants de la dernière heure convaincus que les indignations post mortem peuvent nous ressusciter.

Avons-nous le courage de nous tenir debout quand la menace est réelle ou préférons-nous rester couchés pour ne jamais être dans le viseur des islamistes ou de ceux qui leur déroulent le tapis rouge avec obséquiosité ? Croyons-nous encore en la seule communauté reconnue par la République, celle, indivisible, de « tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion » ? Il n'est peut-être pas trop tard pour se poser honnêtement ces questions. Mais le temps presse.

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